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Kolda : la gouvernance territoriale ne s’accommode pas du pilotage à vue (Par Ibrahima Diouma BA)



Kolda : la gouvernance territoriale ne s’accommode pas du pilotage à vue (Par Ibrahima Diouma BA)
Monsieur le Maire, 
Permettez-moi de vous interpeller de façon citoyenne pour vous inviter à sursoir à votre projet impopulaire de morcellement des quartiers de la Commune, le temps de revenir à l’orthodoxie de la gouvernance territoriale. Celle-ci ne s’accommode point du pilotage à vue. Elle féconde de cartographie, de prospective, donc de planification.

D’abord, la Commune de Kolda ne maîtrise quasiment pas les données qui concernent son territoire et sa population. En dehors de ce que fournit l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), nous n’avons aucun mécanisme connu de production et d’analyse des données malgré un réel potentiel.

Avant votre arrivée à la tête de cette municipalité, je l’avais rappelé à votre prédécesseur. Comprenez alors que c’est une question d’ordre général et d’une importance capitale. C’est quand même honteux que Kolda ne dispose à ce jour d’aucun document de planification digne de ce nom. Pas de Plan de Développement local (PDL), pas de Plan Directeur d’Urbanisme (PDU), pas de Plan Directeur d’Assainissement (PDA), pas de stratégies documentées adaptées au Projet d'Appui Structurel à la Stratégie d'Aménagement Numérique du Territoire (PASSANT) déroulé par l’Etat du Sénégal. Le désert ! 

Selon la Directrice Générale de FABAMA Events, Maty Ndiaye Faye : « Les bases de données représentent le nouveau pouvoir ». Sans la production, la maîtrise et la mise à jour des données spatiales, économiques et sociales, votre gouvernance n’aura pas de base d’évaluation sérieuse et donc pas d’amélioration objective.

Un PDU avait été élaboré en 1989, mais il n’a pas connu de mises à jour. Le document existant est délabré est n’est plus exploitable. En 2012, avec l’appui du Programme National de Développement Local (PNDL), Kolda a étrenné son Plan d’Investissement Communal (PIC, 2012-2017) qui du reste n’a pas été renouvelé d’après nos investigations.

Les chercheurs et les Consultants sont confrontés à d’énormes difficultés quand ils font des travaux sur notre territoire. J’en sais quelque chose pour avoir travaillé sur les stratégies de développement local dans la Commune de Kolda en 2013-2014 dans le cadre de mon mémoire de recherche (Master en Aménagement et gestion urbaine en Afrique/ département de Géographie/Université Cheikh Anta DIOP de Dakar).

Vous avez eu la belle initiative d’abriter l’édition 2025 du Sénégal digital show à Kolda. Au préalable, je rappelle que Kolda n’a ni site internet encore moins de réseaux sociaux institutionnels. Pas de services dématérialisés connus du grand public, à moins que je sois mal informé ! Pourtant, le premier Espace Numérique Ouvert (ENO) inauguré en 20218 se trouve à Kolda. Une infrastructure universitaire (UN-CHK ex UVS) qui offre d’innombrables opportunités en ce qui concerne le numérique et le marketing territorial. Qu’avez-vous prévu avec le Conseil municipal pour capter les dividendes du New Deal Technologique lancé récemment par le Président de la République ? Quelles sont les données disponibles sur notre potentiel entrepreneurial et les infrastructures numériques ?

Ensuite, les quartiers de Kolda sont imbibés d’histoires, d’identités et de marqueurs territoriaux inaliénables. Tous ceux qui ont fait leur enfance et leur adolescence dans ce bout de paradis où toutes les familles sont liées, où tous les hauts lieux sont chargés d’émotions partagées et d’événements historiques, où les faits culturels ont effacé les frontières, peuvent en témoigner. Nous attendons donc d’être convaincus par des arguments fiables et intangibles pour vous donner le feu vert attendu. Dites-vous bien que ce processus s’il aboutit peut porter préjudice à notre mémoire collective et aux spécificités énumérées ici.

« Croissance Urbaine et enjeux de développement local : cas de Kolda », (BALDE, 2005-2006). Dans ce mémoire de recherche, vous trouverez l’historique et la portée culturelle et identitaire des différents quartiers de Kolda.

Créer de nouveaux quartiers suppose que vous avez déjà identifié des réserves foncières pouvant servir à l’avenir de réceptacles des nouvelles infrastructures destinées à leurs habitants. Sinon quelle serait la portée de cette démarche ? Plusieurs voix se sont élevées pour vous accuser de clientélisme politique et de morcellement de l’électorat, à juste titre. Je n’y crois pas jusqu’à preuve du contraire. C’est-à-dire présentation d’idées et d’arguments irréfutables de cette « nécessité » évoquée dans le rapport de présentation des points de l’ordre du jour du Conseil municipal du 28 mars 2025. Dans ce document, il est dit : « certains élus ont exprimé la nécessité pressante de procéder à un remembrement et à la création de nouveaux quartiers dans la Commune de Kolda ». Les Koldois méritent plus amples raisons, motivées par des données fiables. C’est le minimum pour qu’ils puissent s’approprier du bienfondé de votre ambition. Car, tout projet a besoin indéniablement d’une appropriation sociale pour être viable.

Enfin, le combat pour l’extension du périmètre communal aurait dû être le vôtre plus que quiconque, avant de porter celui de son morcellement précipité et sans fondement scientifique ou technique. Au lieu d’assumer pleinement cette idée, qui s’est révélée impopulaire, vous avez cru bien faire en la justifiant par une hypothétique recommandation de l’autorité administrative et des services techniques déconcentrés. Je vous rappelle que vous êtes élu au suffrage universel direct et que l’aménagement du territoire est une compétence transférée.

Revenons-en aux données. Le territoire communal n’est que de 9 km², soit 900 hectares. Il a été fixé par l’arrêté n° 886 APA du 6/02/1952, d’après le PIC de 2012. Nos élites politiques et l’Administration territoriale n’ont pas pu juguler le manque d’espaces pour les équipements collectifs et l’habitat. Certes, Kolda n’est pas un cas isolé dans ce sens, mais, candidat à la Mairie de Kolda, vous étiez Directeur des Domaines. En tant qu’Inspecteur des impôts et domaines, vous êtes une personne ressource pour faire des propositions éclairées dans ce sens.

Un territoire qui n’a pas bénéficié d’un décret d’élargissement depuis plus de soixante ans, peut-il avoir une ou des réserves foncières au point de projeter des « lotissements » ? Expliquez-nous. 

En ce qui concerne la recherche de ressources financières, il est scientifiquement prouvé que la  Commune de Kolda ne parvient pas à recouvrer les taxes et les impôts qui lui reviennent. Vous l’avez, d’ailleurs, rappelé le 28 mars dernier. En 2009 déjà, Ousmane Dramé l’avait bien démontré à travers son mémoire intitulé « les ressources de la Commune de Kolda dans le cadre de la décentralisation », soutenu au département de Géographie à l’UCAD.

Dans un passé récent, sous le magistère d’Abdoulaye BALDE, il était impossible pour certains citoyens de notre commune d’avoir des autorisations de construire en bonne et due forme. Il leur était délivré des autorisations provisoires, conformément à la loi. Les non-initiés ne comprendront pas le pourquoi. Mais, vous savez que cela signifie qu’il y a des anomalies administratives dans l’aménagement et le classement des domaines concernés ou des retards dans le traitement des dossiers. Pourtant, cette équipe municipale avait voté une résolution pour rehausser les frais de bornage à recouvrer (sic).

D’ailleurs, à votre arrivée, vous aviez entamé un projet de restructuration, disons de régularisation, des zones dites irrégulières notamment à Gadapara et Sikilo-Ilèle. Qu’avez-vous à dire à vos administrés par rapport à ces deux ces dossiers ? Convenez avec nous que les réponses à cette question priment sur toute autre décision de remembrement de tels secteurs, sans statut cadastral viable.

Nous avons noté avec désolation et regret des épisodes de tâtonnement au cours de votre gestion. Trois exemples illustratifs : l’arrêt des travaux de la piscine municipale et la reculade concernant la station-service à côté de l’usine glace, dans le lit du fleuve Casamance. Les sites qui accueillent ces édifices sont en principe régis par la convention de Ramsar, document ratifié par le Sénégal. Que dire du stade municipal dont l’emplacement empiète sur le domaine du centre de recherche zootechnique (CRZ) ? C’est surprenant que l’institution municipale fragilise des sites protégés ou bénéficiant d’un statut particulier !

L’élaboration d’un PDU ou d’un Plan d’occupation et d’affectation des sols (POAS) aurait résolu tous les problèmes liés à la délimitation du périmètre communal. La cartographie des zones économiques, des infrastructures et des zones aedificandi et non aedificandi facilitera la mise en œuvre des projets de la municipalité. Elle pourrait ouvrir également de meilleures perspectives et synergies intercommunales notamment dans la gestion des déchets, l’assainissement, l’agriculture périurbaine, l’élevage, l’habitat etc. A ce sujet, je vous invite à aller en « benchmark ING » à Saint-Louis où la Mairie de ville a eu la vision de construire son PDU sur ce qu’il s’est agi d’appeler le « grand Saint-Louis » englobant tout son département en relation avec les autres collectivités.

La réflexion autour du « grand Kolda », comme au nord, est d’autant plus pertinente que l’édile zélé de Saré Bidji, habitant de Kolda de surcroît, dit publiquement que d’autres citoyens ne peuvent pas être propriétaires de champs ou de parcelles à usage d’habitation dans la Commune qu’il administre en violation des lois de la République, en ignorant surtout l’histoire et la géographie de l’occupation du sol. Le 20 septembre 2019, j’avais publié une contribution sur koldanews pour sensibiliser les populations sur les enjeux de la prospective territoriale. Pour rappel, nous sommes plus de cent mille âmes avec nos besoins individuels et collectifs !

Au regard des multiples lettres ouvertes qui vous ont été adressées sur la question du morcellement des quartiers de Kolda, les intellectuels et autres citoyens soucieux de la cohésion sociale et de la cohérence territoriale vous invitent à reconsidérer votre démarche. Ne mettez pas les charrues avant les bœufs. Entendez que les priorités sont ailleurs.

Journaliste-consultant, spécialiste du développement territorial et de l’évaluation environnementale et sociale
badiouma2000@yahoo.fr

Ismaila Mansaly (correspondant)

Mardi 29 Avril 2025 - 17:30


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