Un contexte qui justifie l’initiative
Lors du sommet de l’Union Africaine, les dirigeants africains ont décidé de créer une agence de notation financière panafricaine. L’objectif affiché est de contrer les évaluations jugées « parfois arbitraires » des grandes agences internationales (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings), qui dominent 85 % du marché mondial du rating.
Il faut rappeler que ces agences évaluent la capacité des États et des entreprises à honorer leurs dettes, influençant ainsi leur accès aux financements internationaux. Leur rôle est devenu crucial dans un contexte où les garanties classiques (hypothèques, nantissements) ne suffisent plus à rassurer les investisseurs. Une bonne notation permet d’obtenir des taux d’intérêt plus favorables et d’accéder plus facilement aux marchés financiers.
L’Afrique, confrontée à des défis économiques majeurs, semble pouvoir justifier cette volonté de créer sa propre agence de notation par trois raisons principales :
Un endettement préoccupant
La dette des pays africains atteint des niveaux critiques.
L’accès au financement devient de plus en plus difficile, surtout avec la guerre en Ukraine, la persistance des effets du COVID-19 et l’inflation mondiale.
La volatilité du pétrole et du dollar aggrave encore la situation.
Un effondrement des investissements étrangers
En 2023, les flux d'IDE vers l'Afrique ont diminué de 3 % pour atteindre 53 milliards de dollars, selon le Rapport sur l'investissement dans le monde publié par la CNUCED. les envois de fonds des migrants ont chuté de 9 %; l’Afrique représente moins de 3,5% des IDE mondiaux
Face à ces perspectives incertaines, de nombreux pays comptent sur l’endettement pour combler le manque de financement.
Un sentiment d’injustice face aux agences internationales
Certains pays africains dénoncent une sévérité excessive à leur égard.
Les notations sont parfois plus indulgentes envers des pays développés pourtant lourdement endettés.
Un projet ambitieux mais semé d’obstacles
Si l’initiative est intéressante d’un point de vue symbolique, elle doit être analysée avec lucidité. Plusieurs obstacles majeurs rendent la viabilité d’une agence panafricaine incertaine.
1. Une crédibilité difficile à établir
Les agences de notation internationales ont bâti leur réputation sur plus d’un siècle d’existence. Elles jouissent de la confiance des investisseurs grâce à leur expertise et à des réglementations strictes imposées par des institutions comme la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis et l'Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF) en Europe. Une agence panafricaine devra démontrer son indépendance, sa compétence et sa transparence pour être prise au sérieux.
2. Des barrières financières et réglementaires élevées
Une agence de notation viable doit disposer d’importants moyens financiers pour évaluer des milliers d’émetteurs. Elle doit aussi respecter des normes internationales rigoureuses en matière de méthodologie et de gouvernance. Or, l’Afrique a déjà connu des expériences malheureuses avec des institutions financières panafricaines comme la Banque Régionale de Solidarité (BRS), qui a échoué à cause d’une mauvaise gouvernance et d’un défaut de remboursement massif.
3. Une potentielle influence politique
L’une des principales critiques adressées aux institutions africaines est leur manque d’indépendance vis-à-vis des gouvernements en place. Une agence de notation pourrait être soumise à des pressions politiques pour éviter des notes défavorables à certains États. Cela risquerait d’entacher sa crédibilité aux yeux des investisseurs internationaux.
4. Une reconnaissance incertaine par les marchés financiers
Même si l’Afrique crée son agence de notation, rien ne garantit que les investisseurs mondiaux l’accepteront comme une référence. La finance internationale reste dominée par les États-Unis et l’Europe, tandis que la Chine et les pays du Golfe jouent un rôle croissant. Imposer un nouvel acteur nécessiterait un long travail de diplomatie et de persuasion.
Les vraies priorités pour l’Afrique
Plutôt que de se lancer dans un projet incertain, l’Afrique gagnerait à concentrer ses efforts sur des réformes économiques structurelles pour renforcer sa souveraineté financière. Quatre axes majeurs devraient être privilégiés :
Adopter des politiques économiques solides et lutter contre la corruption
La transparence et la rigueur budgétaire sont essentielles pour restaurer la confiance des investisseurs.
Optimiser la gestion des finances publiques
Éviter le gaspillage des ressources et maximiser l’autofinancement des projets.
Développer les marchés financiers africains
Encourager la mobilisation de l’épargne locale et les investissements intra-africains.
Mieux gérer l’endettement
Contracter des emprunts uniquement lorsque la capacité de remboursement est assurée.
Négocier des conditions de financement favorables.
Affecter les fonds empruntés à des projets rentables et non à des dépenses politiques.
Par ailleurs, l’Afrique a objectivement les moyens de son développement
Il est important de souligner que l’Afrique possède d’importants atouts pour assurer son développement. En effet, elle dispose de niches fiscales non exploitées qui, si elles étaient bien gérées, pourraient constituer des ressources conséquentes pour financer son propre développement. De plus, le continent regorge de ressources naturelles sous-exploitées, et ses fonds de la diaspora, souvent négligés, représentent un levier important. Aussi les fonds illégalement placés dans des paradis fiscaux, estimés à entre 50 et 100 milliards de dollars par an, par la Communauté Économique pour l'Afrique (CEA) constituent un manque à gagner majeur qui pourrait être récupéré pour financer des projets d’envergure et créer des conditions favorables à un développement durable. Ces ressources devraient être priorisées et intégrées dans un cadre de gouvernance transparent et rigoureux.
Conclusion
L’idée d’une agence panafricaine de notation financière peut sembler séduisante, mais sa mise en œuvre soulève de nombreuses interrogations. Sans indépendance réelle, sans reconnaissance internationale et sans solides garanties de gouvernance, elle risque de ne jamais s’imposer comme un acteur crédible sur les marchés.
Plutôt que de se disperser dans des projets symboliques, l’Afrique doit se concentrer sur des réformes structurelles pour mieux gérer son économie et son endettement. La solution ne réside pas dans la création d’une agence de notation, mais dans l’adoption de politiques économiques efficaces et transparentes.
Magaye GAYE
Lors du sommet de l’Union Africaine, les dirigeants africains ont décidé de créer une agence de notation financière panafricaine. L’objectif affiché est de contrer les évaluations jugées « parfois arbitraires » des grandes agences internationales (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings), qui dominent 85 % du marché mondial du rating.
Il faut rappeler que ces agences évaluent la capacité des États et des entreprises à honorer leurs dettes, influençant ainsi leur accès aux financements internationaux. Leur rôle est devenu crucial dans un contexte où les garanties classiques (hypothèques, nantissements) ne suffisent plus à rassurer les investisseurs. Une bonne notation permet d’obtenir des taux d’intérêt plus favorables et d’accéder plus facilement aux marchés financiers.
L’Afrique, confrontée à des défis économiques majeurs, semble pouvoir justifier cette volonté de créer sa propre agence de notation par trois raisons principales :
Un endettement préoccupant
La dette des pays africains atteint des niveaux critiques.
L’accès au financement devient de plus en plus difficile, surtout avec la guerre en Ukraine, la persistance des effets du COVID-19 et l’inflation mondiale.
La volatilité du pétrole et du dollar aggrave encore la situation.
Un effondrement des investissements étrangers
En 2023, les flux d'IDE vers l'Afrique ont diminué de 3 % pour atteindre 53 milliards de dollars, selon le Rapport sur l'investissement dans le monde publié par la CNUCED. les envois de fonds des migrants ont chuté de 9 %; l’Afrique représente moins de 3,5% des IDE mondiaux
Face à ces perspectives incertaines, de nombreux pays comptent sur l’endettement pour combler le manque de financement.
Un sentiment d’injustice face aux agences internationales
Certains pays africains dénoncent une sévérité excessive à leur égard.
Les notations sont parfois plus indulgentes envers des pays développés pourtant lourdement endettés.
Un projet ambitieux mais semé d’obstacles
Si l’initiative est intéressante d’un point de vue symbolique, elle doit être analysée avec lucidité. Plusieurs obstacles majeurs rendent la viabilité d’une agence panafricaine incertaine.
1. Une crédibilité difficile à établir
Les agences de notation internationales ont bâti leur réputation sur plus d’un siècle d’existence. Elles jouissent de la confiance des investisseurs grâce à leur expertise et à des réglementations strictes imposées par des institutions comme la Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis et l'Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF) en Europe. Une agence panafricaine devra démontrer son indépendance, sa compétence et sa transparence pour être prise au sérieux.
2. Des barrières financières et réglementaires élevées
Une agence de notation viable doit disposer d’importants moyens financiers pour évaluer des milliers d’émetteurs. Elle doit aussi respecter des normes internationales rigoureuses en matière de méthodologie et de gouvernance. Or, l’Afrique a déjà connu des expériences malheureuses avec des institutions financières panafricaines comme la Banque Régionale de Solidarité (BRS), qui a échoué à cause d’une mauvaise gouvernance et d’un défaut de remboursement massif.
3. Une potentielle influence politique
L’une des principales critiques adressées aux institutions africaines est leur manque d’indépendance vis-à-vis des gouvernements en place. Une agence de notation pourrait être soumise à des pressions politiques pour éviter des notes défavorables à certains États. Cela risquerait d’entacher sa crédibilité aux yeux des investisseurs internationaux.
4. Une reconnaissance incertaine par les marchés financiers
Même si l’Afrique crée son agence de notation, rien ne garantit que les investisseurs mondiaux l’accepteront comme une référence. La finance internationale reste dominée par les États-Unis et l’Europe, tandis que la Chine et les pays du Golfe jouent un rôle croissant. Imposer un nouvel acteur nécessiterait un long travail de diplomatie et de persuasion.
Les vraies priorités pour l’Afrique
Plutôt que de se lancer dans un projet incertain, l’Afrique gagnerait à concentrer ses efforts sur des réformes économiques structurelles pour renforcer sa souveraineté financière. Quatre axes majeurs devraient être privilégiés :
Adopter des politiques économiques solides et lutter contre la corruption
La transparence et la rigueur budgétaire sont essentielles pour restaurer la confiance des investisseurs.
Optimiser la gestion des finances publiques
Éviter le gaspillage des ressources et maximiser l’autofinancement des projets.
Développer les marchés financiers africains
Encourager la mobilisation de l’épargne locale et les investissements intra-africains.
Mieux gérer l’endettement
Contracter des emprunts uniquement lorsque la capacité de remboursement est assurée.
Négocier des conditions de financement favorables.
Affecter les fonds empruntés à des projets rentables et non à des dépenses politiques.
Par ailleurs, l’Afrique a objectivement les moyens de son développement
Il est important de souligner que l’Afrique possède d’importants atouts pour assurer son développement. En effet, elle dispose de niches fiscales non exploitées qui, si elles étaient bien gérées, pourraient constituer des ressources conséquentes pour financer son propre développement. De plus, le continent regorge de ressources naturelles sous-exploitées, et ses fonds de la diaspora, souvent négligés, représentent un levier important. Aussi les fonds illégalement placés dans des paradis fiscaux, estimés à entre 50 et 100 milliards de dollars par an, par la Communauté Économique pour l'Afrique (CEA) constituent un manque à gagner majeur qui pourrait être récupéré pour financer des projets d’envergure et créer des conditions favorables à un développement durable. Ces ressources devraient être priorisées et intégrées dans un cadre de gouvernance transparent et rigoureux.
Conclusion
L’idée d’une agence panafricaine de notation financière peut sembler séduisante, mais sa mise en œuvre soulève de nombreuses interrogations. Sans indépendance réelle, sans reconnaissance internationale et sans solides garanties de gouvernance, elle risque de ne jamais s’imposer comme un acteur crédible sur les marchés.
Plutôt que de se disperser dans des projets symboliques, l’Afrique doit se concentrer sur des réformes structurelles pour mieux gérer son économie et son endettement. La solution ne réside pas dans la création d’une agence de notation, mais dans l’adoption de politiques économiques efficaces et transparentes.
Magaye GAYE
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