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«Les accords de pêche UE-Sénégal ne sont pas léonins», selon un expert sénégalais de la FAO

C’est un homme presque dépité par l’actualité de la pêche qui s’est entretenu avec Le Témoin. Mais son amour pour un secteur dont il a une connaissance inégalable, mais surtout son patriotisme, malgré sa posture de fonctionnaire onusien de la FAO basé à Accra, imposent au Dr Ndiaga Guèye de briser le silence pour remettre les choses à leur place. Au cours d’un séjour à Dakar, ce fonctionnaire principal chargé des Pêches et de l’Aquaculture au Bureau régional de la FAO à Accra indique que le débat autour des accords de pêche est « surréaliste ». En effet, estime-t-il, « les accords de pêche ne devraient pas constituer des problèmes insurmontables ». Le Dr Guèye s’est aussi prononcé sur les orientations de la FAO dans le cadre de la crise du Covid-19.



Ndiaga Gueye, ancien Directeur des Pêches du Sénégal, actuellement fonctionnaire FAO
Ndiaga Gueye, ancien Directeur des Pêches du Sénégal, actuellement fonctionnaire FAO
La pêche aura marqué l’homme. A juste titre puisque la quasi-totalité de sa brillante carrière s’est déroulée au sein de l’administration des pêches du Sénégal. Une carrière qui a cumulé sur le plan national avec les fonctions de directeur des Pêches et de l’Aquaculture que le Dr Ndiaga Guèye a exercées pendant presque pendant 10 ans (de décembre 1993 à décembre 2004). Puis cap vers la FAO, notamment le bureau régional basé à Accra où il s’occupe des pêches et de l’aquaculture.

Quand le Dr Ndiaga Guèye parle de pêche, mais surtout des accords de pêche avec l’Union Européenne, il évoque un dossier qu’il connaît sur le bout des doigts. Parce que, pendant 11 ans, il a été le négociateur en chef des premiers pourparlers en vue de la conclusion de ces accords. Les couloirs et bureaux du siège de l’UE à Bruxelles gardent encore les stigmates de négociations âpres, difficiles et longues dont « le seul but, c’était de défendre les intérêts du Sénégal. Durant ce temps-là, jamais je n’ai eu à jouir de mes frais de mission que je consacrais mon temps à faire des fax aux autorités  de  l’époque  pour  les  informer  de l’évolution  des  négociations.  Je  dépensais des  fortunes  dans  l’envoi  de  fax  » nous confie notre interlocuteur.

Evoquant l’actualité au Sénégal marquée notamment par les accords de pêche avec l’Union européenne, le Dr Ndiaga Guèye estime qu’il y a maldonne dans ce dossier. Avant de brandir un carton rouge en direction de tous les acteurs impliqués dans cette sérénade sans fin. « On peut dire qu’en eux-mêmes, les accords de pêche ne devraient pas constituer, au-delà d’enjeux géostratégiques extérieurs au secteur de la pêche, des problèmes insurmontables.  Ils  sont  à  considérer  davantage comme un indicateur de la faiblesse du système d’aménagement et jouent, du fait de cette faiblesse, un rôle de facteur aggravant dans  un  système  d’aménagement  mal contrôlé et inefficient au regard des objectifs de conservation » estime Dr Ndiaga Guèye.

Et l’ancien directeur national des Pêches d’expliquer que « le protocole prévoit des possibilités de pêche pour jusqu’à 28 thoniers senneurs congélateurs, 10 canneurs et 5 palangriers d’Espagne, de Portugal et de France, pour un tonnage de référence de 10 000 tonnes de thon par an. Il autorise également la capture de 1 750 tonnes de merlu noir par an pour deux chalutiers espagnols. La  contrepartie  financière  annuelle  de l’Union s’élève à 1,7 million d’EUR (1 milliard 117 millions de frs), dont 800 000 EUR (525 millions de frs) de droits d’accès aux eaux du Sénégal. Le solde de 900 000 EUR (591 millions de frs) correspond à un soutien sectoriel  au  développement  de  la  politique  de pêche du Sénégal, notamment par l’amélioration du contrôle de la pêche, le développement  de  la  recherche  et  de  la  collecte  de données dans le domaine de la pêche et la certification  sanitaire  des  produits  de  la pêche. Le montant des redevances supplémentaires dues par les armateurs est estimé à 1,35 million d’EUR par an ».

Ces accords ne sont pas léonins
Ceux qui critiquent ont-ils regardé de près et bien compris le contenu de ces accords ? En tout cas, l’ancien patron des Pêches du Sénégal se démarque de ceux qui théorisent que les accords signés avec l’Union Européenne sont léonins. « La négociation des accords de pêche ne relève pas des sciences exactes. Même les points les plus anodins (exemple : détermination du maillage des filets) peuvent prendre des heures de discussions.  La  négociation  est  à  la  fois  une question politique et diplomatique, économique et commerciale, mais aussi sociale et environnementale. La diversité des acteurs concernés, avec des logiques et des intérêts différents  (mais  pas  toujours  contradictoires), ajoute encore á la complexité de la question » théorise notre interlocuteur.

A l’en croire, les fondements de ces accords partent très souvent de l’existence d’un surplus de stocks. « Les thonidés sont des espèces de poissons grands migrateurs qui voyagent dans tout l’Atlantique, en haute mer,  mais  aussi  en  passant  par  les  Zones Economiques Exclusives des pays africains riverains de l’Atlantique [de l’Angola aux Canaries].  Ces  thonidés  sont  gérés  par  la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique dont le Secrétaire Exécutif est un brillant cadre sénégalais, ancien Directeur des Pêches Maritimes. Le thon ne reste que 2 á 3 mois dans la ZEE sénégalaise. C’est aussi pour cette raison  que  la  compensation  pour  un  accord thonier est plus faible que pour un accord « mixte », où les bateaux européens viennent pêcher des ressources qui appartiennent au pays côtier » explique le Dr Guèye.

D’ailleurs, soutient-il, « même s’il n’y avait pas d’accord avec  le  Sénégal,  les  bateaux  européens continueraient à pêcher ce thon en dehors des eaux sénégalaises, lorsqu’il se trouve en haute mer ou dans les ZEE des pays voisins avec qui l’UE a un accord, et le Sénégal n’en retirerait aucune compensation financière ».

Pourquoi y a-t-il autant de bruit dans les Accords avec l’UE ?
Les accords signés entre les Etats africains et l’UE sont ceux qui ont fait et continuent de faire l’objet de la plupart des commentaires, analyses et souvent critiques des observateurs internationaux (Etats, ONG et autres institutions internationales). Ceci pour plusieurs raisons dont la plus évidente tient à la disponibilité de protocoles détaillés et la transparence obligée des intentions, discours et décisions qui engagent les institutions européennes, informe le Dr Guèye. L’ancien patron des Pêches ajoute qu’il en est ainsi « du fait également des ONG spécialisées à Bruxelles sur les politiques européennes de coopération et celles spécialisées et actives dans les pays africains et qui perçoivent les effets contradictoires de ces accords  du  point  de  vue  notamment  de  la surexploitation des ressources halieutiques et dénoncent les conditions de négociation déséquilibrées. Enfin, du fait des organisations  internationales  qui  régissent  les échanges et qui dénoncent ces accords au titre  des  modalités  de  recouvrement  qui, selon  bien  des  commentaires  et  critiques, sont assimilables à des subventions au secteur privé européen ».

Les armateurs nationaux interpellés
Un armement national de thoniers transatlantiques peut-il survivre en restant confiné au Sénégal ? A cette question, l’expert de la FAO répond sans ambages : NON ! Et d’expliquer que « pour la transformation du poisson au Sénégal, ce n’est pas le désert quand même. Dans la sous-région, le Sénégal est certainement le pays lead quoiqu’il n’y a encore que des progrès à faire pour davantage  domicilier  la  valeur  ajoutée.  En outre, il faut préciser qu’il y a une absence de moyens technologiques et/ou financiers pour  exploiter  ces  stocks  » souligne en conclusion le Dr Ndiaga Guèye. 

Le Témoin


Jeudi 17 Décembre 2020 - 09:24


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