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Mali: «Repli ne veut pas dire abandon», affirme Ibrahim Maïga, chercheur à l'ISS



Au Mali, l'Armée se retire de ses positions les plus avancées face aux groupes jihadistes, renseigne Rfi. Ceci est la conséquence directe des deux attaques qui ont coûté la vie à près de 100 soldats maliens, le 30 septembre et le 1er novembre dernier.

Est-ce un simple repli tactique ou un véritable abandon de terrain ? Ibrahim Maïga est chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS). En ligne de Bamako, répond à Christophe Boisbouvier que «repli ne veut pas dire abandon». 

RFI : Ibrahim Maïga, après les attaques de Boulkessi, le 30 septembre, et d’Indelimane, le 1er novembre, l’armée malienne déplore la perte de près de cent soldats. Pourquoi deux revers si meurtriers en si peu de temps ?

Ibrahim Maïga : D’abord, l’armée malienne se trouvait dans un état de grande désorganisation, après le coup d’État en 2012. Ensuite, je pense qu’il est aussi indéniable que les groupes armés terroristes ont gagné en sophistication et sont rentrés dans une forme de guerre asymétrique, en attaquant ou en s’attaquant principalement à des camps isolés, des unités mal protégées de l’armée.

Je pense que beaucoup, au-delà de l’état-major malien, ont sous-estimé la capacité de résilience de ces groupes. On le voit très bien, cette capacité de résilience ne s’observe pas uniquement au Sahel. Elle s’observe également du côté du bassin du lac Tchad. Ces forces ont une capacité à se régénérer, à rebondir, qui est impressionnante et qui montre qu’ils ont appris à se jouer des États, mais surtout à exploiter les failles de l’État. Et je pense que cette résilience pose aussi plus largement la question de la gouvernance, qui est souvent effleurée dans les discours politiques, insuffisamment prise en compte dans les stratégies et pas du tout traitée dans les réponses à apporter à l’insécurité dans le Sahel.

Aujourd’hui, l’état-major malien décide d’abandonner ses positions les plus exposées, dont justement la base d’Indelimane, et de se replier sur des places fortes. Est-ce que ce n’est pas une victoire pour les groupes jihadistes ?

Au moins sur le plan de la communication, cela apparaît comme une victoire symbolique pour ces groupes armés terroristes, parce qu’il faut le rappeler, l’un des objectifs affirmés et affichés de ces groupes, c’est d’effacer, d’éliminer toute trace ou toute forme d’État dans ces espaces frontaliers, en chassant les enseignants, les administrateurs civils… Mais aussi les forces de défense et de sécurité et tous les symboles de l’État, finalement.

Mais je pense qu’il faut aussi insister sur le fait que ce repli que vous venez d’évoquer n’est pas forcément un abandon du terrain : c’est un choix stratégique, qui intervient après des revers importants et surtout de lourdes pertes contre des camps, encore une fois, isolés et mal protégés. Et donc, renoncer à l’installation de ces petits camps peut dans un premier temps s’avérer utile, avant bien entendu de passer à une phase offensive. Je pense qu’il faut espérer que cette phase de consolidation, de fortification des camps ne sera qu’une étape.

L’avantage de ce repli, c’est que les soldats maliens seront moins exposés. Est-ce que cela est devenu la priorité politique du président Ibrahim Boubacar Keïta ?

Si ce n’est pas devenu une priorité politique, c’est sûr que c’est une préoccupation majeure, parce qu’il y a eu beaucoup de mécontentement à la suite de ces lourdes pertes. Il y a eu aussi quelques manifestations à Bamako et en dehors de Bamako, de la part des familles de militaires tués sur-le-champ de bataille. On sent qu’il y a de plus en plus une forme d’impatience et de fatigue, non seulement de la part des populations, mais je pense qu’il y a aussi une colère sourde au sein de l’armée, qui n’est peut-être pas exprimée. Tout cela implique de prendre des dispositions fortes, même si, bien évidemment, ces dispositions s’avéraient être des dispositions de très court terme.

Est-ce que le putsch de 2012 contre le président Amadou Toumani Touré est encore dans toutes les têtes à Bamako ?

Évidemment, c’est dans un coin de la tête, des politiques en particulier, ici, à Bamako. Parce que les circonstances ne sont pas si différentes que cela à bien regarder, même si on peut noter bien évidemment la présence internationale très forte dans le pays. Je pense que l’expérience de 2012 a aussi, peut-être, refroidi des ardeurs pour ce genre d’initiative. C’est un souvenir que beaucoup de gens gardent en mémoire, à commencer par les responsables actuels.

La présence internationale c’est la Minusma et Barkhane. « Il n’y a pas d’enlisement », dit la ministre française de la Défense Florence Parly, mais est-ce que Barkhane n’est pas en train de s’enliser ?

Sans parler d’enlisement, on voit qu’il y a des difficultés importantes auxquelles fait face l’opération française Barkhane - et pas qu’elle : toutes les armées présentes au Mali. On est face à des individus qui se fondent au sein des populations locales, qui savent jouer, encore une fois, des failles de l’État, en particulier en matière de gouvernance. Donc ce type de combat doit s’inscrire dans la durée. Il ne faut pas penser qu’en l’espace de quelques mois, on va arriver à les neutraliser de tout l’espace qu’ils occupent actuellement.

Depuis la Conférence d’entente nationale de 2017, certains prônent le dialogue entre Bamako et certains groupes jihadistes. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est une question qui revient souvent sur la table. Surtout après des revers ou des défaites militaires. L’ISS avait déjà fait une recommandation sur la possibilité d’établir des discussions ou un dialogue - si ce n’est pas avec le leadership le plus haut, le plus élevé, avec le leadership intermédiaire de ces groupes. Tout simplement, parce que les études menées par l’ISS ont montré qu’une partie des individus qui rejoignent ces groupes ne le font pas par idéologie : ils le font par frustration, parfois, par esprit de vengeance. Et donc il est possible, si le terrain est bien balisé, d’établir des canaux de discussion, un dialogue avec ces acteurs-là. Bien évidemment, ces discussions n’ont pas nécessairement vocation à être fortement médiatisées.

Donc pour vous, un dialogue est possible, mais pas avec [le chef jihadiste du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans] Iyad Ag Ghaliou avec Abou Walid al-Sahraoui [émir du groupe terroriste État islamique dans le grand Sahara] ?

Le dialogue avec le leadership le plus élevé est bien entendu très compliqué, très complexe à organiser. Il n’est pas totalement impossible. Pour notre part, ce que nous recommandons et suggérons, c’est d’explorer la possibilité de toucher dans un premier temps le leadership intermédiaire, qui, parfois, a un ancrage local beaucoup plus fort, mais surtout qui a moins de liens avec des groupes établis hors du pays et moins de comptes à rendre à des chefs jihadistes algériens ou autres.
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Fana CiSSE

Mardi 12 Novembre 2019 - 10:58


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