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Dialogue politique autour du processus électoral : un blocage lié à un climat de suspicion ?



Dialogue politique autour du processus électoral : un blocage lié à un climat de suspicion ?
Si l’on porte un regard sur les tensions qui émaillent actuellement les relations entre pouvoir et opposition au Sénégal, tout laisse à penser que le moteur du dialogue politique entre la classe politique est grippé. Pourtant, la tradition politique du pays offre des exemples pertinents de décrispation du climat politique : gouvernement de majorité présidentielle élargie (GMPE) de 1991 et 1995, Code électoral de consensus de 1992. Le Président Léopold Sédar Senghor ne disait-il pas en termes wolof « Disso ak Baykat yi, Disso ak Samkat yi, Disso ak Napkat yi », c’est-à-dire « Dialoguer avec les agriculteurs, Dialoguer avec les éleveurs, Dialoguer avec les pêcheurs ». De plus, l’exégèse des assises sociales de la société sénégalaise met en relief des mécanismes de pacification de l’espace public. En cela, le Sénégal porte bien la représentation de « pays de dialogue » qu’on lui prête depuis des moments séculaires. Cette gestion des rapports sociaux est facilitée par des acteurs, souvent leaders d’opinion, qui jouent une fonction de régulation sociale dans la société : Chef de village, Imam, Prêtre, Calife général de confrérie ou Cardinal. Sous ce rapport, le Sénégal se présente, à l’image de la plupart des Etats-nation issus des processus de décolonisation, comme une démocratie hybride qui est à la frontière entre un héritage traditionnel et un héritage moderne. Cette singularité se manifeste par exemple à travers l’influence des logiques sociales sur l’espace politique, notamment l’imbrication entre le religieux et le politique. Mais comme le processus électoral constitue un des facteurs qui structurent les luttes pour l’accès au pouvoir politique, toutes les phases (l’ensemble des mises en œuvre ou opérations concourant au bon déroulement de l’élection : inscriptions sur les listes électorales jusqu’à la proclamation des élections) qui le caractérisent sont généralement marquées par des rapports de forces s’exprimant de manière plurielle. On peut dès lors se poser la question de savoir qu’est-ce qui grippe la machine du dialogue politique. Notre propos sera ici d’essayer de localiser ce blocage et de proposer des pistes de sortie de crise.
Il faut préciser que le but du dialogue politique devrait viser à pacifier les relations entre pouvoir et opposition, mais surtout échanger des regards sur des questions d’intérêt national. En ce sens il permet de trouver des plages de convergences. Si nos infrastructures institutionnelles constituent des produits d’un «Etat importé » au sens de Bertrand BADIE, elles montrent dans la pratique des limites quant à la modernisation de l’ordre politique. Il s’agit, entre autres, d’une des limites de l’avènement de la « démocratie constitutionnelle », pour reprendre le terme au Professeur Albert Bourgi. Pourtant quelques mécanismes constitutionnels aménagés depuis 2001 pouvaient aider à organiser ce dialogue entre pouvoir et opposition : il s’agit du Statut de l’opposition et de son Chef. Pourquoi, ce mécanisme est laissé en désuétude alors qu’elle constitue une solution parmi d’autres ? Le président de la République qui est le « Maître du jeu » devait régler cette question depuis longtemps. Néanmoins, ce Statut de Chef de l’opposition a posé une querelle de leadership entre le PS et l’AFP après les élections législatives anticipées de 2001. Est-ce que le Chef de l’opposition devait revenir au PS qui avait engrangé plus de voix au niveau national que l’AFP qui avait plus d’un député à l’Assemblée nationale ? Devait-on se référer au parti qui a plus de représentation nationale ou à celui qui a une plus grande représentation parlementaire ? Certains acteurs de l’opposition voyaient une manœuvre du pouvoir pour diviser l’opposition alors que la Constitution de 2001 a été pourtant votée par la majorité des partis de l’opposition.
De ce point de vue, tout laisserait à croire que cette position de « stand by » du Chef de l’Etat tire sa source de cette situation. Sur un autre registre, on peut relever un autre facteur lié à la gestion du fichier électoral. Il faut préciser qu’il n’existe pas de dialogue politique constructif autour du fichier électoral depuis 2004, date de création de la Commission électorale nationale autonome (Cena). Encore faut-il préciser que ce blocage n’est pas le fait de la CENA qui joue un autre rôle (contrôle et supervision du processus électoral). Les relations entre le pouvoir, et surtout le Ministère de l’Intérieur (MINT), et les partis politiques sont restées tendues. Les échanges épistolaires sont généralement des éléments constitutifs du blocage du dialogue entre la clase politique. Cette tension est confortée par la révision du Code électoral. Les derniers travaux de la commission technique de revue du code ont montré leurs limites dans l’approche entreprise. Au lieu d’impliquer tous les partis politiques, certains Chefs de formations ont été écartés. En quoi est-il opportun d’interdire à la presse son rôle de transmission des tendances des résultats issues des bureaux de vote avant 22H ? Cela ne ressemblerait-il pas à une « démocratie des hiboux » ou « démocratie nocturne » ? Pourtant, il s’agit bien ici de l’exercice d’un droit à l’information des citoyens que d’une publication officielle de résultats plutôt attribuée à des organes judiciaires et constitutionnels.
Dans ce magma figé, les fondements du blocage du dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition résident immanquablement dans un climat de suspicion qui s’est installé autour du fichier électoral, des révisions sporadiques de la Constitution, et du code électoral. Les marges de manœuvre du pouvoir autour des récentes discussions autour du code électoral n’ont fait qu’amplifier la tension, sans occulter la violence politique. Il existe des acquis qu’il faut impérativement sauvegarder, quitte à les considérer comme non négociables : il s’agit du maintien des deux tours de l’élection du président de la République. En substance, il est impératif de fixer clairement les règles du jeu qui doivent organiser les élections et que ces règles soient acceptées par tous et appliquées à tous. L’implication de tous les acteurs du jeu politique ne doit pas être aussi sélective. Partant, l’organisation d’élections libres et transparentes peut être espérée. Car, la gestion des processus électoraux est un indicateur de mesure des grandes démocraties modernes. Si l’on analyse certaines crises politiques dans le monde, et plus particulièrement dans le continent africain, l’instabilité politique de beaucoup d’Etats est généralement liée à une mauvaise gestion du processus électoral.
C’est pourquoi il n’est pas exagéré de préciser que les démocraties sont mortelles comme les êtres humains si l’on considère les exemples de la Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo. Alors que le Sénégal a été considéré comme une exception, voire une « vitrine démocratique » sur le continent avec l’alternance politique du 19 mars 2000, certains indices, notamment les controverses autour du fichier électoral et des projets de modification du code électoral, commencent à écorner son visage démocratique. Ainsi, une mauvaise approche de la révision du code électoral peut être considérée, du point de vue sociologique, comme un fait social total. En d’autres termes, le blocage du dialogue politique actuel interpelle tous les Sénégalais dans la mesure où la loi électorale qui est une des matrices du choix des élites représentatives, intéresse tous les citoyens. De surcroît, les lourds contentieux post-électoraux qui pourraient résulter d’un code non consensuel, peuvent affecter tous les segments et secteurs de la vie économique et sociale du pays. C’est à ce titre, que cela interpelle une conscience citoyenne.
En cela, l’on peut comprendre la médiation confiée par le Khalife général des Tidianes à son porte-parole. Mais même si cette régulation sociale a l’intérêt de construire des conditions favorables d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition, elle ne rentre que dans le cadre informel. Encore faut-il préciser que cette imbrication entre politique et religieux est un des facteurs qui sous-tendent le Contrat social sénégalais. L’histoire politique et sociale du pays nous enseigne que le Cardinal Hyacinthe THIANDOUM, le Khalife général El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabbakh et Abdou Lahat Mbacké ont joué un grand rôle de régulation dans la décrispation de crises politiques et sociales au Sénégal. Les deux premières personnalités citées ont été pour beaucoup quant à l’entrée de l’opposition au gouvernement socialiste de 1991 et 1995. Outre leur statut religieux, il faut ajouter que ces personnalités religieuses avaient une légitimité charismatique qui favorisait un pouvoir de persuasion de leur parole sur les Sénégalais. Ce qui serait intéressant que le pouvoir fasse, est de créer une commission cellulaire qui travaillerait à trouver des plages de convergences entre acteurs politiques et de les matérialiser par des lois et règlements. Entre le choix d’un modérateur ou d’une commission cellulaire, il semble plus pertinent d’opter pour la seconde formule qui a l’avantage de mobiliser des expertises plurielles et de promouvoir un travail collégial.
D’un point de vue historique, la formule de la commission cellulaire qui a l’intérêt de constituer une équipe composée de personnalités indépendantes mobilisant une réelle expertise, a apporté des éléments significatifs dans l’avancée de la démocratie sénégalaise. Quelques repères importants méritent d’être rappelés :

- la Commission cellulaire présidée par feu Kéba MBAYE, juge, assisté d’éminents membres de la société civile. Elle a pu obtenir, à travers une large concertation, un consensus entre 17 partis politiques en 1992. Ce qui a généré le code consensuel dit Code de consensus de 1992. Au plan législatif, ce code a fait l’objet d’une loi (loi n°92-16 du 07 Février 1992) et d’un règlement (décret n°92-267 du 15 février 1992).
- la commission cellulaire mise en place en 1997 et présidée par M. Ibou DIAITE, vice-président du Conseil constitutionnel, à la suite des failles relevées dans l’organisation des élections locales de novembre 1996 et d’une saisine du Président Abdou Diouf par le « Collectif des 19 ». Comme en 1992, cette commission était composée d’éminentes personnalités (les Professeurs Moustapha SOURANG et Babacar KANTE, et M. Magib Seck). Cette Commission cellulaire a permis la création de l’Observatoire National des Elections (ONEL) qui a joué incontestable dans la transparence de l’élection présidentielle de 2000 ayant consacré l’alternance.
- la commission présidée par le Professeur Babacar GUEYE qui a permis l’institution de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) en 2004 en remplacement de l’ONEL. Cette Commission a été composée comme les précédentes d’importants juristes parmi lesquels les Professeurs Abdoulaye DIEYE, Alioune FALL, Mohamet FALL, Sémou DIOUF. Cette concertation avait mobilisé 52 partis politiques.

Ces différentes expériences ont constitué dans la pratique des voies de décrispation des tensions politiques qui ont toujours émaillé l’espace politique sénégalais. Elles ont constitué des cadres pour trouver des plages de convergence entre pouvoir et opposition. Aujourd’hui, il faut une manifestation réelle de bonne foi dans la volonté du dialogue, à commencer par le pouvoir. Cette crise de confiance entre pouvoir et opposition qui repose sur un climat de suspicion autour d’une fraude électorale à grande échelle ne peut trouver une solution que dans la mise en œuvre de règles du jeu consensuelles. En ce sens, la crédibilité du système politique sénégalais a besoin d’un dialogue sincère qui consolide les acquis de la démocratie plutôt que des éclats médiatiques !






Abdou Rahmane THIAM Docteur en Science politique Montpellie

Mardi 9 Mars 2010 - 02:01


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