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Dialogue philosophique : L'art du camouflet constitutionnel (Par Dr. Mahamadou KONATE)



Dialogue philosophique : L'art du camouflet constitutionnel (Par Dr. Mahamadou KONATE)
(Deuxième partie)
 
Universitaire malien, Constitutionnaliste
La prochaine fois arrive. C’est un de ces jours trop chauds pour réfléchir, mais parfaits pour philosopher à l’ombre d’un doute juridique. Les deux protagonistes reprennent leur conversation avec un verre d’eau tiède et une Constitution en PLS.
 
Professeur TÉNAKO
- Hélas, Me Socrifus ! L’irrationnel a fini par se produire. Le 8 juillet dernier, dans un élan de génie bureaucratique digne d’un roman de Kafka revu par Badala, ils ont décidé de ressusciter... une Charte cliniquement morte depuis le 26 mars 2024. Une véritable nécromancie constitutionnelle.
 
Non seulement, ils ont réhabilité les organes défunts de la Transition, mais en plus, ils ont octroyé au Président une rallonge de mandat : cinq ans, renouvelables à souhait. À souhait, Me Socrifus ! On passe de la "Transition limitée" à la "Transition illimitée Premium+", avec option silence institutionnel et bouclier fiscal, qui plus est.
Mais sérieusement, pourquoi ne pas avoir simplement rédigé une nouvelle Charte, via un minimum de concertation nationale ? Une Transition bis assumée, avec des bases nouvelles, aurait été plus cohérente — et surtout, plus respectueuse de l’intelligence collective.
 
Me SOCRIFUS
- Mon cher, tu sembles découvrir qu’au Mali, le respect du droit est une discipline optionnelle. Les détenteurs du laurrier ont un rapport très personnel avec la légalité : quand elle les dérange, ils la redessinent au feutre.
 
Ta proposition était trop raisonnable, trop... juridique. Or, dans ce théâtre politique, on ne légifère pas, on improvise, en mode jazz. Et tu sais ce qu’on dit : "Quand tu ne sais plus où tu vas, fais semblant que c'était prévu."
 
Alors oui, la Charte est morte, paix à ses articles. Mais plutôt que d’en enterrer dignement les cendres, ils ont préféré l’embaumer façon momie pharaonique, lui implanter de nouveaux organes capables de la faire se mouvoir, et la remettre sur le trône avec un sourire narquois.
 
Professeur TÉNAKO
- Je te reconnais bien là. Tu manies le sarcasme comme un magistrat manie le sursis… à bon escient.
Mais regarde l’absurdité juridique : on a basculé dans une "post-Transition perpétuelle", une sorte d’État d’exception relooké, sans le dire, qui traîne derrière lui deux constitutions dites de normalisation. C’est la diarchie +1, le "combo législatif du Taos".
 
On est passé d’un ordre exceptionnel transitoire à une exception constitutionnalisée, sans en tirer les conséquences. Et à cette différence près : cette fois, l’État d’exception ne précède pas le retour à l’ordre constitutionnel — il s’y installe et le squatte, avec facture impayée en prime.
Franchement, de quelle expérience humaine t’es témoin d’un pareil montage ? Montesquieu doit faire des saltos dans sa tombe. Même feu Kéba MBAYE, juriste de l’élégance, ne trouverait plus ses codes. On dirait que nous avons voulu créer le premier État mi-constitutionnel, mi-fictionnel.
 
Me SOCRIFUS
- Tu oublies, l’invention est notre sport national, mais malheureusement, sans comité d’éthique. Tu dis "diarchie +1", moi j’y vois plutôt un polygone juridique à seize côtés, sans angles droits ni boussole.
Et pendant qu’on cherche une porte de sortie, eux s’enfoncent en douce par les issues de secours de la légitimité. Bref, comme dirait un de mes anciens clients devenu député par accident :
“Ceux qui font le droit sont au-dessus du droit, non ?”
À quoi j’avais répondu :
“Jusqu’au moment où le droit les rattrape… à grande vitesse.”
Mais au fond, tu as raison. Nous sommes dans un État d’exception primaire, pur jus, sans base légale solide ni expiration programmée. En clair, la force prime le droit, et pour nous autres citoyens lucides, il ne reste que deux options : faire face… ou fuir le ridicule.
 
Professeur TENAKO
- Je vois que la chaleur et le délestage t’ont inspiré. Mais j’apprécie ta lucidité.
Moi aussi, je choisis de faire face, mais pas en mode fataliste. Plutôt en regardant la catastrophe dans les yeux, sans cligner, comme le dirait le doyen TOURE.
 
Car malgré tout, je garde foi en l’humain. L’homme, parfois, est capable de surprendre même sa propre insuffisance par un accès soudain de grandeur.
 
Peut-être — je dis bien peut-être — que l’un d’eux se réveillera un matin avec une conscience citoyenne non contaminée, et dira :
“Bon, les gars, si on essayait de faire les choses proprement ?”
 
Je sais, c’est optimiste, peut-être utopique. Mais faut bien garder un peu d’oxygène démocratique dans nos poumons juridiques, non ?
 
Me SOCRIFUS
- Ah ! Te voilà, professeur de l’ambiguïté !
Tu deviens sibyllin, énigmatique, presque poétique. Tu parles de "l’homme", mais lequel ? Le président ? Le législateur ? Le militaire ? L’électeur ? Le griot ? Moi, je veux des noms !
 
Toi qui étais si clair, tu flottes maintenant dans les brumes de la foi républicaine. Attention à ne pas te faire happer par le vortex du discours institutionnel vide.
 
Professeur TENAKO
- Mais enfin, Me Socrifus, je parle de l’Homme, avec un grand H ! L’Homme capable de sursaut moral, celui dont rêvait Mandela, celui que redoute le pseudo Machiavel.
Je parle de nous tous. Ceux qui peuvent encore préserver l’essentiel : la vérité, la dignité, la rigueur.
 
Comme dirait Kéïta ou même Takiou :
“Ne dis que ce qui est possible, mais dis-le avec lucidité.”
Alors voilà, je dis que le possible existe, même s’il est fragile comme une clause transitoire. Il faut y croire. Sinon, on n’est plus citoyens, juste, figurants.
 
Me SOCRIFUS
- Hum… Voilà que tu me donnes envie de relire Camus et d’appeler mon notaire dans la foulée.
Bon, à la prochaine, mon cher professeur. D’ici là, j’espère que ton "homme providentiel" aura trouvé la Constitution, le bon sens, et un ventilateur.
 
Professeur TÉNAKO
- Aminaa ! Et surtout, que d’ici là, on ne subit pas d’autres revers, même climatiques, parce que franchement, le Mali a déjà son quota de chaleur… politique.
 
 
 
 


Samedi 4 Octobre 2025 - 18:59


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