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Hôpital psychiatrique de Thiaroye: 40 à 50 % des consultations des jeunes sont liées à la drogue ou à l’alcool (psychiatre)

La drogue et l’alcool constituent un véritable danger pour la jeunesse sénégalaise. Le centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye accueille plus de 200 patients par jour pour une capacité d’accueil de 90 lits. Parmi eux, des jeunes qui souffrent de « troubles mentaux liés à la toxicomanie ». Le malheur est que « des jeunes âgés de 15 à 26 ans représentent les 40 à 50 % des consultations » confie Léopold Gaston Boissy, médecin psychiatre du centre. Qui, déplore, que ces personnes souffrant des troubles mentaux font face à l'inaccessibilité des médicaments conduisant le plus souvent à une rechute de la maladie. À cela s’ajoute, le déficit du personnel psychiatre tant en qualité qu’en quantité.



L’agitation est de mise dans cet immense parc qui abrite le centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye, communément appelé raffinerie de Mbao. Une architecture aux airs de colonie de vacances. Où de petites cases servent d'internat aux malades. Au beau milieu de cette cour, qui mène vers le bâtiment de soins, un homme habillé tout en noir, assis à l’accueil, s’exprimant à haute voix attire l’attention des passants. C’est un malade qui a rendez-vous avec Dr Boissy. Ce dernier est depuis 8 h 10 mn enfermé dans son bureau pour les besoins de consultation. Alors il va falloir attendre son tour pour le voir.

D’ailleurs, nous qui avions rendez-vous avec ce spécialiste de santé mentale à 13 h, il nous a fallu assister à l'accueil, à des scènes de transes et d'hystérie des patients pendant plus d’une heure.  À cela s’ajoute, les va-et-vient incessants des infirmiers qui sont interpellés de département à département pour être au chevet des patients. 

Tant tôt, c’est un (malade) qui passe pour demander à se laver les mains. Il faut  comprendre que c’est l’heure du repas. Ou c’est une autre qui avance vers les toilettes, sous le regard vigilant d’un infirmier à ses côtés. Ce sont des internés. Qui, au bout de 15 jours et surtout avec une capacité d’accueil limitée, sont libérés. Ils viennent périodiquement à titre externe, accompagner de leurs familles ou proches pour se faire suivre. D’ailleurs, c’est ce qui explique la présence de ce groupe de personnes assis à l’accueil, d’autres sous l’arbre.

Bref, c'est notre tour. Ce n’est pas une consultation mais un entretien avec Dr Léopold Gaston Boissy, médecin psychiatre au centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye pour parler de la santé mentale.  

Au préalable, le spécialiste définit la maladie mentale comme étant « une affection qui touche le système nerveux central avec certains dispositifs sur le plan psychologique et biologique créant des troubles. Une maladie mentale entraîne nécessairement une détresse pour l’individu et/ou une difficulté au travail ou dans les relations sociales.»

Les causes de cette pathologie sont diverses et variées. Il y a « ceux qui sont chroniques d'autres innés. Mais les addictions des jeunes de 15 à 26 ans représentent les 40 à 50 % des consultations», fait savoir le spécialiste.

« Il y a des dépressions. Des pathologies chroniques schizophrénie qui surviennent entre 16 ans, 25 ans -28 ans. Des troubles bipolaires, psychoses paranoïaques. Maintenant, en fonction des cibles de pathologies des jeunes c’est la drogue, l’alcool », renseigne Dr Boissy.

C’est lieu pour notre interlocuteur d’alerter sur la présence des drogues dans les établissements scolaires.
« Maintenant toutes les drogues sont présentes au Sénégal. Et on le voit sur des catégories des jeunes à partir 16 ans, même 14 ans nous en recevons. Et ça devient une souffrance pour les familles. Dans les structures, les gens sont dépassés quand on leur fait des tests urinaires, sanguins, on se retrouve avec un niveau de consommation très élevé de ces produits qu'ils utilisent dans les écoles et lycées. Des jeunes oisifs, en chômage, en stress se réfugient dans la drogue pour régler leur contradiction. Il faut noter que ces produits touchent autant les femmes que les hommes. Elles sont dans les addictions ; elles prennent des drogues en comprimés. Dans les lycées, c’est de l’extasie qu’on mélange avec des boissons gazeuses. Ces addictions sont devenues des pathologies émergentes et puis de façon grave ».
 

Les jeunes de 15 à 26 ans représentent 40 à 50 % des consultations

Dans le traitement de ces pathologies, les jeunes représentent presque la moitié des consultations. Chose qui s'explique par des addictions liées à la drogue et à l’alcool. « Nous recevons beaucoup plus de Jeunes même s’il y a un service pédopsychiatrie, à côté où on s’occupe des enfants, des tranches d’âge de 2 à 12 ans, 13 ans et 14 ans. Mais dans notre pratique de psychiatrie adulte nous recevons beaucoup plus de jeunes entre 15 ans 16 ans, jusqu’à 25 ans, 26 ans. Ça tourne autour 40 à 50 % des consultations », explique le médecin.

La gratuité n’existe pratiquement plus dans les services hospitaliers publics même si les services sociaux ont essayé de fonctionner mais depuis quelque années du fait même des projets d’établissements de politique sanitaire, toutes les consultations sont payantes. « A la clinique de la division 4, l’hospitalisation au bout 15 jours tourne autour 131 000 FCFA avec le bilan ajouté. Pour ce qui est des médicaments, il faut compter au moins 200.000 FCFA. Dans d’autres divisions ça tourne autour de 70.000 à 100.000 FCFA. Des salles communes pas aussi aménagées que ceux qui sont dans la clinique », renseigne Dr Boissy.

Concernant l'internement des malades il y a plusieurs possibilités. Ils peuvent être hospitalisés. Venir d’eux même, ou amener par leurs parents. Ils peuvent également être conduits par la loi en passant par le commissariat. Là, c’est le commissaire qui émet un avis pour demander le trouble de comportement qui a été signalé ou quelqu’un qui a été ramassé. Sinon, c’est un arrêté préfectoral qui demande un internat d’office, selon Dr Léopold Gaston Boissy, médecin psychiatre au centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye.

L’internement dure au minimum 15 jours

Le plus souvent les malades ne dépassent pas deux semaines dans le centre. Parce que la pratique « a montré au bout de 15 jours la maladie se stabilise. Mais il peut arriver que la durée d'hospitalisation soit prolongée de 1, 2 à 3 mois en fonction de la pathologie. Mais aussi de la capacité du service à recevoir et la capacité des parents à accepter le malade à la maison. Parfois, les parents nous disent, il faut nous le garder le plus longtemps possible. Mais compte tenu de notre capacité d’accueil, nous sommes obligés de demander un retour à domicile. Et un traitement qui se fera sur des rendez-vous sur la périodicité de 15 jours à 6 mois », indique le psychiatre. 

L’hôpital reçoit 200 malades par jour avec une capacité d’accueil de 90 lits disponibles.

L’hôpital reçoit au minimum 200 malades par jour pour une capacité de lits de 80 à 90 malades, soutient cet ancien du service qui est à son 23e année de pratique psychiatrique. Il s’empresse de préciser que ce ne sont pas tous les malades qui sont hospitalisés. Parce que l'hôpital également a conscience de sa capacité d'accueil. 

Face à la cherté du traitement et aux ruptures des médicaments, Dr Léopold Gaston Boissy, médecin psychiatre au centre hospitalier psychiatrique de Thiaroye plaide pour la subvention de la santé mentale. « Les administrateurs vous diront qu’il y a un déficit de lits, de moyens alloués alors que la santé mentale, c’est des pathologies chroniques. Il faut que les autorités puissent l’intégrer dans la santé primaire comme ça se fait dans les pays européens. Là-bas, ce sont des médicaments essentiels. La santé mentale à partir du moment où certaines molécules dans la prise en charge sont subventionnées. Parce que nous souffrons d’une chose: c’est la rupture de la prise en charge pour certaines pathologies. Ce qui fait qu'au bout d'un an, deux ans, ils arrêtent. Et après, c'est des rechutes fréquentes alors que ce sont des maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète. Pour vous dire que le traitement reste cher, inaccessible. Il y a des ruptures dans l’approvisionnement des médicaments en permanence », regrette le spécialiste.

Déficit du personnel en santé mentale tant en nombre qu’en qualité

En mars 2019, la division santé mentale du ministère de Santé et de l’Action sociale indiquait dans son rapport  « l’insuffisance des ressources humaines, des personnes qualifiées dans la prise en charge psychiatrique, du budget alloué à la santé mentale et à l’indisponibilité des psychotropes ».

Malheureusement, c’est une triste réalité. « La psychiatrie reste le parent pauvre de la médecine au Sénégal, en Afrique et dans les pays en voie de développement. Alors que c’est des pathologies émergentes qui vont toucher de plus en plus de personnes du fait des crises économiques, sociales, des crises structurelles au niveau des familles du fait de plein de facteurs, alertait l’Oms ». A Thiaroye, Dr Boissy reconnaît ce déficit de personnel depuis des années. Mais il fait remarquer que ça s’améliore contrairement à sa génération où il ne comptait même pas 10 au Sénégal. « Aujourd’hui, le nombre augmente », se réjouit-il. « Chaque année, nous recrutons deux. Mais le déficit est énorme. Le besoin en qualité est très, très en deçà de la santé mentale », souligne-t-il. 

A l’en croire, il y a un « désert médical sur le plan psychiatrie, surtout dans le Nord du pays ». « Aujourd’hui Il y a un seul psychiatre dans la région de Saint Louis. Si vous allez jusqu’à Ourrossogui dans le fleuve, il n y a pas de psychiatre. Pour preuve, statistiquement, les 25 % de mes patients proviennent d’Ourrossogui, du fleuve Matam. Diourbel on vient d’installer un dernièrement. Il y a des zones au Sénégal où il y a un désert médical sur le plan psychiatrique. Et ces gens font des kilomètres pour venir. Payer aussi cher le transport et la consultation, ce n’est pas normal ».

La cohabitation avec les malades, pas souvent facile

Ce n’est pas facile, confie le psychiatre. Mais pour lui, « c’est un sacerdoce. On pouvait faire autre chose. Mais non. Il y a le besoin de servir. »

Pour ce qui de la sécurité, rabiboche-t-il « on la gère », pointant du doigt le monsieur derrière la porte qui visiblement non seulement est frêle de corpulence mais pourrait être dépassé si une fois les malades l’envahissaient dans un moment de crise. « Et puis on s’essaie d’y faire ». Mais le spécialiste sait comment aborder ces malades. « Ce qu’il faut savoir avec les malades mentaux, il ne faut pas être dans l’agressivité. Il faut savoir les parler avec les mots justes. Comme dans les moments de surdosage, d’euphorie, ils peuvent être violents après, ils reviennent à la raison. L’essentiel, c’est de cibler bonne molécule, savoir les parler et les écouter. Parfois, il se réfugie dans la maladie pour expliquer leur mal être », dira t-il.


Nul n’est à l’abri de la maladie mentale

Beaucoup de malades font face à une stigmatisation. Mais, pour le psychiatre, il faut savoir que nul n'est à l’abri de la maladie mentale. « Quand une pathologie s’annonce dans une maison, les gens doivent pouvoir amener les enfants à la psychiatrie. Parce que nul n’est à l’abri de la maladie mentale. La maladie peut survenir dans toute les  circonstances de la vie. Un décès subit, un accident de la circulation, la perte d’un être cher, un divorce. Tout ça, c'est des pathologies mentales qui sont diverses et variées. Il faut que les gens puissent travailler pour que les soins soient accessibles. Motiver ce corps médical. Parce que ces gens-là sont recherchés, ils partent en France. Et aussi la sensibilisation », plaide-t-il. 

Des victimes rompent le silence 

N'empêche, une discussion sur la santé mentale reste toujours taboue dans l'espace public. Peu de malades réussissent leur intégration sociale, après un traitement chez le psychiatre. La plupart d'entre eux sont victimes de stigmatisation. Et c'est ce qu'a compris Anna Gueye (30) ans qui a lancé en octobre 2020, le hashtag #cilonek, en wolof « comment vas-tu ? » Pour aider les victimes à rompre le silence.

B. L fait partie des personnes qui ont interagi à ce hashtag. Réticent au début des échanges, ce jeune avoue son gêne d'aborder le sujet.  Il lance ceci : « ce n'est pas facile pour moi de parler de tout ça. Laissez-moi un peu de temps pour y réfléchir. Disons que la lutte continue et j'essaie toujours aussi de m'en sortir. »

Et pour mettre fin à cette discussion B. L s'est excusé de ne pas pouvoir continuer. Parce que pour lui, il est toujours difficile d'aborder cette étape de sa vie. « J’ai fait quelques tweets pour donner des conseils sur le mental health...mais en ce qui me concerne j'aimerais beaucoup en parler mais je n'y arrive pas ».

Sokhna, quant à elle accepte de parler de ces crises d’anxiété qui font partie de son lot de stress au quotidien. « Je fais des crises d’anxiété au quotidien. "Un rien peut la déclencher: le métro, une foule, un inconnu, un mot et hop une crise d’hyperventilation. Mon sommeil est plus qu’anormal. Je suis tellement fatiguée. Chaque mois je vérifie si le suicide est...», a-t-elle fait savoir dans un post twitter. 
 
Sokhna confie que quand elle se sent mal sans raison, elle prend des anxiolytiques, bien que cela est interdit. Pire, elle souffre même de de surdosage de paracétamol. « Bien haram. Il m’arrive de feel so bad for no reason. J’ai pris des anxiolytiques. Il y a deux ans j’ai eu une sérieuse aversion pour le surdosage de paracetamol. Mon sommeil est plus qu’anormal. But guess what ? Sis is ok ! She’ll go over this. She’s STRONG ENOUGH.»  Thierno qui s'identifie sous le pseudo Carbone 14, donne des astuces pour montrer son soutien à un proche dépressif. « Si tu as besoin de parler, je suis là pour t’écouter à toute heure et en toute confidentialité ». Tel est son invite.  


Fana CiSSE

Samedi 13 Août 2022 - 05:00


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