L’avènement des hommes en uniforme à la tête de l’Etat est d’abord accueilli avec soulagement par une grande partie de la population. Mais il marque en réalité le début de l’instabilité qui règne jusqu’à maintenant en Côte d’Ivoire. Dans les mois qui suivent, les Abidjanais découvrent la «Camorra» et autres «Brigades rouges», des groupes de militaires incontrôlés qui font la loi dans la capitale économique ivoirienne, tandis que le général Gueï revient bientôt sur sa promesse de ne pas se présenter à la présidentielle.
Coups de force et exil
Au fil des mois, ses relations avec IB tournent au vinaigre. En septembre 2000, Robert Gueï l’accuse d'avoir tenté, avec d’autres soldats, de le renverser. Plusieurs d’entre eux sont arrêtés et torturés. Ibrahim Coulibaly, à l’époque en poste à l’ambassade de Côte d’Ivoire au Canada, part en exil au Burkina Faso, avec l’intention, avouée quelques années plus tard, de se venger. Pendant quelques mois, le sergent rebelle se fait oublier. Mais entretemps, en octobre 2000, Laurent Gbagbo a été élu chef de l’Etat, au cours d'une élection dont Alassane Ouattara a été exclu. En janvier 2001, le nom d’IB est cité lors d’une tentative de coup de force, derrière laquelle les nouvelles autorités voient, malgré les dénégations de ses proches, la main d’Alassane Ouattara et du Burkina Faso.
Le 19 septembre 2002 naît la rébellion, dans le Nord du pays, qui manque de renverser le président Gbagbo. Plusieurs personnalités de premier plan, dont le général Gueï et le ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou, sont tuées. IB est un des principaux acteurs du soulèvement, mais il préfère mettre en avant un civil pour donner un visage officiel à la rébellion. Ce sera Guillaume Soro. Ancien patron de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), un temps proche du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo avant de devenir membre du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, ce tout juste trentenaire se présente d’abord comme le porte-parole du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), le nom initial de la rébellion ivoirienne. Il en deviendra rapidement secrétaire général.
A peine cinq mois après le début du soulèvement, ce jeune homme sans grande formation universitaire, et encore moins militaire, apparaît en première ligne, fin janvier 2003, lors des négociations menées sous l’égide de la France à Marcoussis, en région parisienne. Soro est même proposé comme ministre de la Défense d’un gouvernement d’union nationale, avant d’occuper finalement le poste de la Communication.
Combats de chefs
Ibrahim Coulibaly est donc mis sur la touche. Dès lors, la rivalité entre les deux hommes se radicalise. Le 25 août 2003, le bouillant sergent-chef est arrêté en France, accusé d’une tentative de déstabilisation. Il connaît la prison, puis la liberté surveillée, avec interdiction de quitter le territoire français. Aux journalistes à qui il s’est confié, il avoue toutefois clairement qu’il avait élaboré un plan détaillé pour à la fois reprendre le contrôle du mouvement rebelle et renverser Laurent Gbagbo.
Dans ce contexte, dans la zone Nord de la Côte d’Ivoire, mise en coupe réglée par les chefs du MPCI, qui répondent désormais au nom de Forces nouvelles, les règlements de comptes fratricides font de nombreuses victimes, dont toutes n’ont pas été répertoriées. L’épisode le plus connu reste celui où le «commandant» Martin Kouakou Fofié, l’un des hommes de main de Guillaume Soro, est accusé d’avoir laissé mourir par étouffement une soixantaine de personnes dans un container servant de prison, parmi lesquelles des combattants proches d’IB.
Son nom est à nouveau évoqué en juin 2007, lorsqu’il est soupçonné d’avoir trempé dans une tentative d’assassinat contre Guillaume Soro, sur l’aéroport de Bouaké, peu après la nomination de ce dernier comme Premier ministre de Laurent Gbagbo. Mais c’est après le second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 qu’Ibrahim Coulibaly fait son retour en force sur la scène ivoirienne. Le 2 décembre, le chef de l’Etat sortant a été proclamé Président par le Conseil constitutionnel, tandis que l’ONU et la Commission électorale indépendante affirment, au contraire, qu’Alassane Ouattara a gagné.
Dans les semaines qui suivent, les Forces de défense et de sécurité (FDS), fidèles à Laurent Gbagbo, subissent de violentes attaques dans le grand quartier populaire d’Abobo, à Abidjan, qui a majoritairement voté pour Alassane Ouattara. La presse ivoirienne parle bientôt d’un «commando invisible». Des combats très violents se déroulent en certains points du quartier, faisant des victimes militaires et civiles, et entraînant la fuite de milliers d’habitants. Au bout de quelques semaines, IB revendique la paternité de l’insurrection, assurant combattre pour défendre les populations contre les attaques des militaires de Laurent Gbagbo. Le porte-parole de ce dernier l’accuse au contraire de tentative de déstabilisation, tandis qu’Amnesty international, tout en condamnant les exactions des forces pro-Gbagbo, dénonce des atrocités commises par le «commando invisible».
Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo est arrêté, mais sa chute ne signe pas la réconciliation entre Ibrahim Coulibaly et Guillaume Soro. Désormais Premier ministre d’Alassane Ouattara, Soro entend obtenir le ralliement d’IB. La suite reste confuse. Il est certain qu’Ibrahim Coulibaly entendait monnayer le rôle qu’il a joué dans la chute de Gbagbo. Il n’entendait en outre répondre qu’aux seuls ordres du président Ouattara, qui avait d’ailleurs demandé qu’il soit capturé vivant. L’histoire retiendra, en tous cas, que le premier bénéficiaire de la mort d’Ibrahim Coulibaly est Guillaume Soro, qui vient là d’éliminer son principal rival. Même s’il n’a peut-être pas réclamé sa tête, Henri Konan Bédié, arrivé troisième au premier tour de la présidentielle et désormais allié d’Alassane Ouattara, aurait, lui aussi, difficilement pu accepter de côtoyer de trop près l’artisan de sa chute le 24 décembre 1999.