Ce qui passe actuellement au Sénégal, sous la gouvernance de Macky Sall est tout à fait inédit, si l’on se rapporte à l’histoire politique du Sénégal depuis l’indépendance. Encore plus inédit, si l’on se rapporte à l’histoire politique ante indépendance de notre pays avec l’épanouissement d’une vraie démocratie communale dans les villes comme Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque. Au cours de ces périodes, le Sénégal a su forger un socle de traditions de démocratie politique et syndicale, créer un cadre d’épanouissement de libertés politiques et civiques, de savoir-vivre en communauté sans rien gommer de nos divergences, de nos conflits, de nos traditions culturelles.
Depuis qu’il a accédé au pouvoir, le Président Macky Sall, en rupture avec ses prédécesseurs, a mis en œuvre une politique qui s’inspire de l’autoritarisme, voire plus, qui a pour finalité, comme il a eu à le dire lui-même, « de réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Celle-ci a pour corollaire de réduire le périmètre de l’état de droit en remettant systématiquement en cause un ensemble de droits et libertés garantis aussi bien par des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par le Sénégal comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (signé le 6 juillet 1976 et ratifié le 13 février 1978), que par nos différentes constitutions, dont la dernière en date de 2001.
Le Pacte reconnait et garantit à tous les citoyens des Etats-Parties :
le droit à la liberté et à la sécurité,
le droit à la protection de la vie privée,
le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression,
la liberté de réunion pacifique,
le droit d’association,
le droit de voter et d’être élu au suffrage universel et égal,
l’égalité devant les tribunaux et cours de justice
l’égalité devant la Loi, la présomption d’innocence
Les dispositions du Pacte sont de droit positif dans l’ordre juridique sénégalais et elles font l’objet de procédure de sanction internationale en cas de violation.
La constitution sénégalaise de 2001, bien que trop mal écrite, contient des proclamations comme : le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise, le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel, l’Etat et les citoyens, sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale, la volonté du Sénégal d’être un Etat moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un Etat qui reconnait cette opposition démocratique, et un Etat qui reconnait cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique (préambule de la Constitution) ; contient des affirmations selon lesquelles : les partis politiques et les coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage, dans les conditions fixées par la Constitution et par la Loi (article 4).
Les partis politiques sont également tenus de respecter les règles de bonne gouvernance associative sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution (article 4, alinéa 4).
Le peuple sénégalais reconnaît l’existence des droits de l’homme inviolables et inaliénables comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde (article 7) ; reconnaît le droit à l’information plurielle (article 8) que « chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur, ni à la considération d’autrui, ni à l’ordre public » ; que « le pouvoir judiciaire est gardien des droits définis par la Constitution et la Loi » ; qu’elle « est inviolable » ; que « l’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger » ; que « tout individu a le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle, notamment à la protection contre toutes mutilations corporelles ».
Le Conseil Constitutionnel n’a plus aucun échappatoire pour donner effets à toutes ces règles, à tous ces principes contenus dans notre constitution et le Pacte international depuis que, en 2016 (décision du 12 février 2016), il a décidé, en violation délibérée de ses règles de compétences (pour simplement dire que le Président Sall ne pouvait pas réduire son mandat de 7 ans à 5 ans) ou comme l’écrivait feu Youssoupha Ndiaye, dans sa préface au recueil des décisions du Conseil de janvier 1993 à mars 2019 « a, par une interprétation hardie de la Constitution, élargi considérablement le bloc de constitutionnalité en acceptant de contrôler la conformité des lois soumises à son appréciation à des textes et des principes, qui, à son avis, font corps avec la Constitution tout comme il a découvert, à partir des dispositions de la Constitution des objectifs à valeur constitutionnelle qui sont désormais pris en compte dans le contrôle de la constitutionnalité » (aux avocats d’exploiter cette brèche destinée à rendre service à l’époque au Président Sall qui ne voulait pas que son mandat de 7 ans soit réduit à 5 ans, contrairement à son engagement politique d’avant-élection de 2012).
Il n’est pas avéré que tous les présidents qui ont précédé M. Sall ont respecté scrupuleusement tous ces principes et ces règles. Mais ils ont sauvegardé l’essentiel qui nous avait valu l’appréciation un peu surfaite à l’étranger de « modèle démocratique en Afrique ».
Macky Sall, depuis 2012, a montré qu’il n’aimait pas du tout les contre-pouvoirs et les oppositions trop affirmées. Son objectif a été de « conserver le pouvoir à tout prix avec un système électoral adéquat ». Il use pour atteindre ses fins, de deux méthodes : ravaler toute opposition significative à sa plus simple expression grâce à la manipulation constante du Code électoral et à l’appoint d’un système judiciaire qui est devenu, au gré du temps et des changements de la composition sociologique de ses acteurs, une pâle copie de ce qu’il était dans les années 60-80, tant du point de vue de ses compétences techniques que de celui de l’attachement aux valeurs éthiques et sacerdotales de la fonction de dire le droit ; grâce aussi à un système de diabolisation et de liquidation politique de l’adversaire élaboré pas Team Jorge, dont le journal Le Monde dit « qu’elle pourrait aussi bien ne pas exister. » Cette société fantôme n’a pas de site Internat, n’a pas de standard téléphonique ni de formulaire-contact. Pour s’offrir ses services, il faut soit approcher une de ses entreprises-vitrines qui gravitent autour d’elle, soit être mis en rapport avec un mercenaire en chef qui se présente sous pseudonyme. Un secret qui s’explique par la nature des prestations fournies par Team Jorge : des campagnes de dénigrement et de désinformation à la carte, allant du piratage des boîtes email à la diffusion de rumeurs grâce à de faux sites d’information et à des armées de profils factices sur les réseaux sociaux. Team Jorge est né en Israël et reconnait dans l’enquête du Monde sur la désinformation, n’avoir eu comme client en Afrique que le Président Macky Sall en 2019- information jamais démentie par l’intéressé- et grâce enfin à un usage dévoyé de la notion de dialogue national, forum où toutes les questions intéressant la nation sont supposées être discutées.
L’usage de ces méthodes ou de quelques-unes a été de règle pour la première fois avec Karim Wade, avec comme support de campagne : la reddition des comptes censée rencontrer l’accord de la majorité des Sénégalais. A cet effet, la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite, tombée dans l’oubli dans les années 80, fut réactivée (récemment abolie pour se prémunir de son utilisation aux mêmes fins) pour traquer Karim Wade et quelques autres proches du pouvoir ensuite pour intimider les autres membres du PDS, parti dont presque tout le Comité directeur fut décapité comme l’avait relevé le journal Jeune Afrique, pourtant réputé proche du pouvoir (JA du 26 janvier 2016) qui notait : « si l’expression est probablement excessive, elle témoigne malgré tout d’une réalité inédite : des militants de base aux plus hauts responsables, 42 membres ou sympathisants du parti libéral, sont passés, depuis 2012, par la case prison ». Le journal note que « les infractions invoquées pour les placer en détention relèvent d’un inventaire à la Prévert : détournement de fonds publics, enrichissement illicite, offense au Chef de l’Etat, atteinte à la sûreté de l’Etat, trouble à l’ordre public, rassemblement interdit, diffusion de fausses nouvelles, dégradation, vol, coups et blessures. L’idée de fond était de priver Karim Wade de ses droits civiques et politiques, ce qui fut fait par condamnation et suivi de son exil forcé à Dubaï.
Après Karim Wade, l’élection présidentielle en perspective de 2019 mettait en lumière Khalifa Sall, Maire de Dakar, comme candidat sérieux. Il n’échappa pas aux mêmes méthodes de mise à l’écart, sans cette fois-ci l’utilisation de la CREI, mais de l’Inspection générale d’Etat. Son inculpation suivie de son arrestation avec cinq de ses collaborateurs à la mairie pour « malversations » soit-disant portant sur la caisse d’avance de la mairie, déboucha sur sa condamnation à cinq ans de prison, confirmée par la Cour Suprême, malgré l’arrêt de la Cour de la CEDEAO estimant que Khalifa Sall n’avait pas eu droit à un procès équitable.
L’objectif ici encore, était de priver un adversaire politique de la possibilité de sa présence à l’élection présidentielle. Beaucoup de ses compagnons et militants connurent la prison.
En 2019, alors qu’il abordait son dernier mandat, Macky, qui entendait faire un 3ème mandat, va engager un combat « sanglant » contre Ousmane Sonko, Président du parti PASTEF (les Patriotes), dont la résistance explique l’ampleur de la répression tout à fait inédite dans l’histoire politique du Sénégal, contre un leader politique, des militants politiques et un parti politique légalement constitué, finalement dissous. Répression qui s’est étendue à des journalistes, des médecins, des ingénieurs, des jeunes tués par balles, des partis politiques interdits de se réunir, etc.
C’est toute notre tradition démocratique qui s’effondre sous nos yeux, tous les fondamentaux acquis grâce à des luttes démocratiques remontant loin dans l’histoire politique du Sénégal qui sont niés.
Pour arriver à ses fins, Macky va réaménager la composition du Parquet et placer dans les cabinets d’instruction, des magistrats « sûrs ». Les procureurs jouent sur une disposition décriée depuis longtemps du Code de procédure pénale qui dit que « sur les réquisitions dûment motivées du ministère public, le juge d’instruction est tenu de décerner un mandat de dépôt contre toute personne inculpée dans l’un des crimes ou délits prévus par les articles 56 à 100 et 235 du Code pénal. » La demande de mise en liberté provisoire d’une personne détenue provisoirement pour l’un de ces crimes ou délits spécifiques à l’alinéa précédent sera déclarée irrecevable si le ministère public s’y oppose par réquisition dûment motivée (Loi du 29 juin 1999). Le jeu pour un procureur consiste à viser dans ses réquisitoires, contre les personnes arrêtées souvent arbitrairement, un ou plusieurs articles choisis d’entre ces articles 56 à 100 et 235. Et certains procureurs ne s’en privent pas. Ce qui explique que sur les 37 prisons du Sénégal, les 34 sont archi pleins. Et que comptabiliser le nombre de détenus politiques ou pour raison politique ou à l’occasion de manifestations politiques relève d’un jeu de hasard.
Pire ou aussi injuste, les droits de réunions politiques, les droits d’expression d’opinions politiques critiques, le droit d’association, la liberté d’aller et de venir où l’on veut (cas des restrictions de la circulation en Casamance), cas de Ousmane Sonko placé de fait sous résidence surveillée pendant 55 jours), le droit de manifester sur la voie publique de manière statique ou en marchant, le droit de communiquer par internet librement, sont suspendus sinon niés pendant que les arrestations, certains disent les rafles, principalement dans les rangs de PASTEF, continuent. Des maires élus au suffrage universel sont arrêtés et mis sous mandat de dépôt.
L’autre méthode dont use Macky Sall pour pouvoir mieux affaiblir un opposant redouté est d’inviter à un « dialogue national » fourre-tout où une multitude de commissions créées pour les besoins de la cause, s’occupent des questions les plus disparates alors qu’un seul ou deux objectifs sont recherchés : changer le code électoral, intégrer des opposants dont l’accord a été obtenu au préalable et isoler et réduire à néant l’opposition récalcitrante.
Ce schéma a beaucoup fonctionné dont les versions les plus récentes sont celles de 2019 (dont on attend encore les conclusions) et celle de 2023 dont l’objectif était d’isoler l’opposition significative et d’éliminer de la future compétition, Ousmane Sonko.
Les démocrates, les militants des droits de l’homme ou des droits humains, les citoyens épris de justice et de paix sociale se doivent de faire échec à ces méthodes de négation des libertés publiques, des droits civils et politiques, de droit à participer, comme électeur ou candidat, sans entraves artificielles judiciaires ou légales, à l’élection présidentielle.
Il importe que les Sénégalais renouent avec leurs traditions démocratiques, leur modèle de tolérance et de reconnaissance de la jouissance et de l’exercice des libertés civiles et politiques.
Professeur Abdel Kader BOYE
Ancien Recteur UCAD
Président de la plateforme* « le Sursaut citoyen »
Groupe de réflexion et d’action
*La plateforme vient d’être créée
Depuis qu’il a accédé au pouvoir, le Président Macky Sall, en rupture avec ses prédécesseurs, a mis en œuvre une politique qui s’inspire de l’autoritarisme, voire plus, qui a pour finalité, comme il a eu à le dire lui-même, « de réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Celle-ci a pour corollaire de réduire le périmètre de l’état de droit en remettant systématiquement en cause un ensemble de droits et libertés garantis aussi bien par des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par le Sénégal comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (signé le 6 juillet 1976 et ratifié le 13 février 1978), que par nos différentes constitutions, dont la dernière en date de 2001.
Le Pacte reconnait et garantit à tous les citoyens des Etats-Parties :
le droit à la liberté et à la sécurité,
le droit à la protection de la vie privée,
le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression,
la liberté de réunion pacifique,
le droit d’association,
le droit de voter et d’être élu au suffrage universel et égal,
l’égalité devant les tribunaux et cours de justice
l’égalité devant la Loi, la présomption d’innocence
Les dispositions du Pacte sont de droit positif dans l’ordre juridique sénégalais et elles font l’objet de procédure de sanction internationale en cas de violation.
La constitution sénégalaise de 2001, bien que trop mal écrite, contient des proclamations comme : le respect des libertés fondamentales et des droits du citoyen comme base de la société sénégalaise, le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel, l’Etat et les citoyens, sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale, la volonté du Sénégal d’être un Etat moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et un Etat qui reconnait cette opposition démocratique, et un Etat qui reconnait cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique (préambule de la Constitution) ; contient des affirmations selon lesquelles : les partis politiques et les coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage, dans les conditions fixées par la Constitution et par la Loi (article 4).
Les partis politiques sont également tenus de respecter les règles de bonne gouvernance associative sous peine de sanctions susceptibles de conduire à la suspension et à la dissolution (article 4, alinéa 4).
Le peuple sénégalais reconnaît l’existence des droits de l’homme inviolables et inaliénables comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde (article 7) ; reconnaît le droit à l’information plurielle (article 8) que « chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur, ni à la considération d’autrui, ni à l’ordre public » ; que « le pouvoir judiciaire est gardien des droits définis par la Constitution et la Loi » ; qu’elle « est inviolable » ; que « l’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger » ; que « tout individu a le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle, notamment à la protection contre toutes mutilations corporelles ».
Le Conseil Constitutionnel n’a plus aucun échappatoire pour donner effets à toutes ces règles, à tous ces principes contenus dans notre constitution et le Pacte international depuis que, en 2016 (décision du 12 février 2016), il a décidé, en violation délibérée de ses règles de compétences (pour simplement dire que le Président Sall ne pouvait pas réduire son mandat de 7 ans à 5 ans) ou comme l’écrivait feu Youssoupha Ndiaye, dans sa préface au recueil des décisions du Conseil de janvier 1993 à mars 2019 « a, par une interprétation hardie de la Constitution, élargi considérablement le bloc de constitutionnalité en acceptant de contrôler la conformité des lois soumises à son appréciation à des textes et des principes, qui, à son avis, font corps avec la Constitution tout comme il a découvert, à partir des dispositions de la Constitution des objectifs à valeur constitutionnelle qui sont désormais pris en compte dans le contrôle de la constitutionnalité » (aux avocats d’exploiter cette brèche destinée à rendre service à l’époque au Président Sall qui ne voulait pas que son mandat de 7 ans soit réduit à 5 ans, contrairement à son engagement politique d’avant-élection de 2012).
Il n’est pas avéré que tous les présidents qui ont précédé M. Sall ont respecté scrupuleusement tous ces principes et ces règles. Mais ils ont sauvegardé l’essentiel qui nous avait valu l’appréciation un peu surfaite à l’étranger de « modèle démocratique en Afrique ».
Macky Sall, depuis 2012, a montré qu’il n’aimait pas du tout les contre-pouvoirs et les oppositions trop affirmées. Son objectif a été de « conserver le pouvoir à tout prix avec un système électoral adéquat ». Il use pour atteindre ses fins, de deux méthodes : ravaler toute opposition significative à sa plus simple expression grâce à la manipulation constante du Code électoral et à l’appoint d’un système judiciaire qui est devenu, au gré du temps et des changements de la composition sociologique de ses acteurs, une pâle copie de ce qu’il était dans les années 60-80, tant du point de vue de ses compétences techniques que de celui de l’attachement aux valeurs éthiques et sacerdotales de la fonction de dire le droit ; grâce aussi à un système de diabolisation et de liquidation politique de l’adversaire élaboré pas Team Jorge, dont le journal Le Monde dit « qu’elle pourrait aussi bien ne pas exister. » Cette société fantôme n’a pas de site Internat, n’a pas de standard téléphonique ni de formulaire-contact. Pour s’offrir ses services, il faut soit approcher une de ses entreprises-vitrines qui gravitent autour d’elle, soit être mis en rapport avec un mercenaire en chef qui se présente sous pseudonyme. Un secret qui s’explique par la nature des prestations fournies par Team Jorge : des campagnes de dénigrement et de désinformation à la carte, allant du piratage des boîtes email à la diffusion de rumeurs grâce à de faux sites d’information et à des armées de profils factices sur les réseaux sociaux. Team Jorge est né en Israël et reconnait dans l’enquête du Monde sur la désinformation, n’avoir eu comme client en Afrique que le Président Macky Sall en 2019- information jamais démentie par l’intéressé- et grâce enfin à un usage dévoyé de la notion de dialogue national, forum où toutes les questions intéressant la nation sont supposées être discutées.
L’usage de ces méthodes ou de quelques-unes a été de règle pour la première fois avec Karim Wade, avec comme support de campagne : la reddition des comptes censée rencontrer l’accord de la majorité des Sénégalais. A cet effet, la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite, tombée dans l’oubli dans les années 80, fut réactivée (récemment abolie pour se prémunir de son utilisation aux mêmes fins) pour traquer Karim Wade et quelques autres proches du pouvoir ensuite pour intimider les autres membres du PDS, parti dont presque tout le Comité directeur fut décapité comme l’avait relevé le journal Jeune Afrique, pourtant réputé proche du pouvoir (JA du 26 janvier 2016) qui notait : « si l’expression est probablement excessive, elle témoigne malgré tout d’une réalité inédite : des militants de base aux plus hauts responsables, 42 membres ou sympathisants du parti libéral, sont passés, depuis 2012, par la case prison ». Le journal note que « les infractions invoquées pour les placer en détention relèvent d’un inventaire à la Prévert : détournement de fonds publics, enrichissement illicite, offense au Chef de l’Etat, atteinte à la sûreté de l’Etat, trouble à l’ordre public, rassemblement interdit, diffusion de fausses nouvelles, dégradation, vol, coups et blessures. L’idée de fond était de priver Karim Wade de ses droits civiques et politiques, ce qui fut fait par condamnation et suivi de son exil forcé à Dubaï.
Après Karim Wade, l’élection présidentielle en perspective de 2019 mettait en lumière Khalifa Sall, Maire de Dakar, comme candidat sérieux. Il n’échappa pas aux mêmes méthodes de mise à l’écart, sans cette fois-ci l’utilisation de la CREI, mais de l’Inspection générale d’Etat. Son inculpation suivie de son arrestation avec cinq de ses collaborateurs à la mairie pour « malversations » soit-disant portant sur la caisse d’avance de la mairie, déboucha sur sa condamnation à cinq ans de prison, confirmée par la Cour Suprême, malgré l’arrêt de la Cour de la CEDEAO estimant que Khalifa Sall n’avait pas eu droit à un procès équitable.
L’objectif ici encore, était de priver un adversaire politique de la possibilité de sa présence à l’élection présidentielle. Beaucoup de ses compagnons et militants connurent la prison.
En 2019, alors qu’il abordait son dernier mandat, Macky, qui entendait faire un 3ème mandat, va engager un combat « sanglant » contre Ousmane Sonko, Président du parti PASTEF (les Patriotes), dont la résistance explique l’ampleur de la répression tout à fait inédite dans l’histoire politique du Sénégal, contre un leader politique, des militants politiques et un parti politique légalement constitué, finalement dissous. Répression qui s’est étendue à des journalistes, des médecins, des ingénieurs, des jeunes tués par balles, des partis politiques interdits de se réunir, etc.
C’est toute notre tradition démocratique qui s’effondre sous nos yeux, tous les fondamentaux acquis grâce à des luttes démocratiques remontant loin dans l’histoire politique du Sénégal qui sont niés.
Pour arriver à ses fins, Macky va réaménager la composition du Parquet et placer dans les cabinets d’instruction, des magistrats « sûrs ». Les procureurs jouent sur une disposition décriée depuis longtemps du Code de procédure pénale qui dit que « sur les réquisitions dûment motivées du ministère public, le juge d’instruction est tenu de décerner un mandat de dépôt contre toute personne inculpée dans l’un des crimes ou délits prévus par les articles 56 à 100 et 235 du Code pénal. » La demande de mise en liberté provisoire d’une personne détenue provisoirement pour l’un de ces crimes ou délits spécifiques à l’alinéa précédent sera déclarée irrecevable si le ministère public s’y oppose par réquisition dûment motivée (Loi du 29 juin 1999). Le jeu pour un procureur consiste à viser dans ses réquisitoires, contre les personnes arrêtées souvent arbitrairement, un ou plusieurs articles choisis d’entre ces articles 56 à 100 et 235. Et certains procureurs ne s’en privent pas. Ce qui explique que sur les 37 prisons du Sénégal, les 34 sont archi pleins. Et que comptabiliser le nombre de détenus politiques ou pour raison politique ou à l’occasion de manifestations politiques relève d’un jeu de hasard.
Pire ou aussi injuste, les droits de réunions politiques, les droits d’expression d’opinions politiques critiques, le droit d’association, la liberté d’aller et de venir où l’on veut (cas des restrictions de la circulation en Casamance), cas de Ousmane Sonko placé de fait sous résidence surveillée pendant 55 jours), le droit de manifester sur la voie publique de manière statique ou en marchant, le droit de communiquer par internet librement, sont suspendus sinon niés pendant que les arrestations, certains disent les rafles, principalement dans les rangs de PASTEF, continuent. Des maires élus au suffrage universel sont arrêtés et mis sous mandat de dépôt.
L’autre méthode dont use Macky Sall pour pouvoir mieux affaiblir un opposant redouté est d’inviter à un « dialogue national » fourre-tout où une multitude de commissions créées pour les besoins de la cause, s’occupent des questions les plus disparates alors qu’un seul ou deux objectifs sont recherchés : changer le code électoral, intégrer des opposants dont l’accord a été obtenu au préalable et isoler et réduire à néant l’opposition récalcitrante.
Ce schéma a beaucoup fonctionné dont les versions les plus récentes sont celles de 2019 (dont on attend encore les conclusions) et celle de 2023 dont l’objectif était d’isoler l’opposition significative et d’éliminer de la future compétition, Ousmane Sonko.
Les démocrates, les militants des droits de l’homme ou des droits humains, les citoyens épris de justice et de paix sociale se doivent de faire échec à ces méthodes de négation des libertés publiques, des droits civils et politiques, de droit à participer, comme électeur ou candidat, sans entraves artificielles judiciaires ou légales, à l’élection présidentielle.
Il importe que les Sénégalais renouent avec leurs traditions démocratiques, leur modèle de tolérance et de reconnaissance de la jouissance et de l’exercice des libertés civiles et politiques.
Professeur Abdel Kader BOYE
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