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Le trafic sexuel, une pratique néfaste à l’enfant: Dimensions, effets et solutions (Tribune)



Ce travail est le fruit d’une réflexion des membres du ThinkTank Sénégal de l’Initiative Africaine de Programmation et de Recherche pour mettre fin à l’Esclavage (APRIES), baséeau Centre de Recherche et de Sensibilisation sur la Traite des êtres humains (CenHTRO) de l’Université de Géorgie. 

Il s’inscrit dans le contexte de la célébration de la 32e édition de la Journée de l’Enfant Africain (JEA), dont le thème cette année est « Elimination des pratiques néfastes affectant les enfants : progrès sur les politiques et pratiques depuis 2013 ».

A travers cette contribution, le Think Tank APRIES Sénégalentend participer à cet élan d’évaluation et de recherche de solutions, pour une amélioration de la mise en œuvre des droits de l’enfant au Sénégal, dans le domaine du trafic sexuel,  forme de traite des personnes néfaste à court, moyen et long terme.

Selon le recensement 2020 de l’Agence Nationale de la Démographie et de la Statistique (ANSD), le Sénégal compte 17.738.795 habitants, dont 50,24% de femmes et 49,76% d’hommes. Les moins de 20 ans (garçons et filles) en constituent 55% et ceux entre 6 et 14 ans, 23,2 %

 

Eu égard à la vulnérabilité des enfants et de leur poids démographique, le Gouvernement de ce pays s’est engagé, depuis plusieurs décennies, dans un processus de création d’un environnement protecteur de ses droits, option soutenue par les Organisations de la Société Civile, les acteurs et élus locaux, les Organisations Communautaires de Base et les Partenaires Internationaux.

Cependant, malgré cet engagement et différentes initiatives, les enfants continuent de subir différentes pratiques affectant leur santé et leur développement.

30% des moins de 5 ans n’ont aucune identité juridique parce que non déclarés à l’état civil, les mutilations génitales féminines perdurent, il en est de même pour les mariages d’enfants. S’y ajoute que malgré les conventions internationales ratifiées, interdisant le travail des enfants, 24 % de l’effectif des 5-17 ans mènent des activités économiques et des tâches domestiques. 

En outre, il convient de noter que:

• plus de 34% des enfants sont hors du circuit scolaire, (avec des disparités selon les régions),
• 180 035 talibés (enfants livrés à la mendicité forcée) sont recensés sur tout le territoire nationalsouvent victimes de violences physiques et morales et exposés à divers risques,
• L’accès aux services sociaux de base fait souvent défaut,surtout en zone rurale,
• la détérioration des conditions de vie et pratiques nutritionnelles des enfants s’accentue, du fait de l’inflation, du chômage croissant, de la faiblesse des revenus et d’un basculement d’une frange importante des populations dans la précarité et l’extrême pauvreté.

 

Aujourd’hui, plusieurs familles, aussi bien au Sénégal que dans l’espace CEDEAO, ne disposant pas du minimum de revenus nécessaires pour satisfaire leurs besoins fondamentaux, optent pour des stratégies de survie qui sont les suivantes:

-Exode rural des enfants, pour chercher du travail (comme domestique pour les filles ou comme maçon, mécanicien, cordonnier, laveur de voiture, cireur ou autres pour les garçons), afin de contribuer aux dépenses de la famille ;

-pratique du confiage de l’enfant à une tierce personne (ce qui n’est pas sans risque de servitude domestique, de violences physiques ou d’abus sexuels) ;

- placement dans un Daara, où les enfants talibé sont très souvent obligés de mendier dans la rue et sont exposés notamment aux abus, aux exploitations économiques ou à des fins sexuelles.

Le trafic sexuel des enfants : une pratique à bannir, un fléau à combattre

 

Le trafic sexuel est aujourd’hui l’une des formes de traite des personnes  les plus répandues en Afrique de l’Ouest. Ayant ratifié la Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale, dite Convention de Palerme, premier instrument de droit pénal destiné à lutter contre les phénomènes de criminalité transfrontalière et permettant d’organiser la prévention et la répression de la traite des personnes, le Sénégal a adopté en 2005, une loi réprimant les faits de traite des personnes et pratiques assimilées (Loi 2005-06 du 10 mai 2005)et renforcé son cadre institutionnel de lutte.

Cependant, dans certains centres urbains de Dakar, des filles, y compris des mineures, se livrent au travail du sexe, pour le compte de tiers. Et l’une des régions où ce phénomène représente une préoccupation majeure est celle de Kédougou, zone aurifère où des jeunes filles provenant de la sous-région sont amenéessous de fausses promesses de travail décent, et livrées à l’exploitation sexuelle à des fins commerciales.

Se pose alors la question de l’absence de données et statistiques officielles sur cette situation, en dehors de quelques études parcellaires réalisées. Pour y faire face, des initiatives appuyées par le Gouvernement du Sénégal sont en cours, à travers les Ministères clés et autorités administratives de Kédougou, visant à mesurer la prévalence puis réduire voire éradiquer ce phénomène.

Avec le soutien du Département d’Etat Américain, Bureau de Surveillance et de Lutte contre la Traite des Personnes (TIP Office), une étude a été réalisée par CenHTRO/ APRIES, dans cette région aurifère. Elle a porté sur un échantillon de 561filles âgées de 18 à 30 ans, résidant dans cette zone et se livrant au travail sexuel, et 68 filles victimes ou survivantes à ce phénomène.

L’étude est en phase de finalisation. Ses résultats préliminaires révèlent, entre autres que :

• les victimes, en provenance du Nigéria pour la majorité, sont recrutées à un âge très précoce (à l’âge de 12 ans parfois, selon certains acteurs communautaires),
• plusieurs d’entre elles arrivent à Kédougou avec de faux documents d’identité : mineures, elles sont présentées comme majeures,
• près de la moitié a suivi l’enseignement primaire puis abandonné les études, du fait de manque de moyens pour faire face aux coûts scolaires,
• Plusieurs d’entre elles ont vécu dans des conditions de vie défavorables avant de venir à Kédougou et ont quitté leurs pays d’origine pour des motifs de précarité sociale ou de recherche d’un meilleur devenir,
• Si certaines connaissaient au départ la nature des activités qu’elles exerceraient, croyant qu’elles s’adonneraient à la vente de légumes, travailleraient dans la coiffure, la restauration ou même transiteraient par Kédougou pour aller en Europe d’autres sont surprises à leur arrivée, de constater le type d’activité

Une fois arrivées à Kédougou, elles font l’objet, selon les autorités judiciaires de Kédougou, d’une sorte de dressage pour les habituer au travail sexuel, mais aussi d’agressions physiques. Par la suite, elles sont informées qu’elles doivent s’adonner au travail sexuel, jusqu’à hauteur d’un certain montant, pour rembourser le montant de leur transport et recouvrer la liberté. Malheureusement, pendant ce processus, elles s’habituent à l’argent qu’elles gagnent facilement et même après leur « libération », s’installent à leur compte ou deviennent des « recruteuses ». Ainsi, beaucoup d’activités de travail sexuel sont couvertes par des activités de restauration, de coiffure ou de petit commerce. 

Le trafic sexuel des enfants est un fléau à Kédougou dans la mesure où des cas de décès suite à une activité sexuelle intense et assortie de violence, ont été enregistrés par le tribunal. Parfois, ces cas ne sont pas dénoncés mais c’est le personnel médical qui les découvre, après consultation post-mortem des victimes.

Une pratique néfaste, aux effets dévastateurs

A Kédougou comme partout dans le monde, la traite sexuelle a des conséquences qui peuvent s’avérer lourdes, sur le développement de l’enfant. En outre, celui-ci représentant l’avenir, toute pratique l’affectant compromet les efforts de croissance et de développement de tout pays. 

Le trafic sexuel viole les droits et affecte la vie d’innombrables enfants (filles comme garçons). Il les prive du droit à la préservation de leur identité, du droit à l’éducation, à des soins de santé, au repos et aux loisirs, et du droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements dégradants. Ces derniers sont particulièrement exposés aux maladies sexuellement transmissibles (comme le SIDA) et aux grossesses non désirées, pour les filles notamment. Sur le plan socio-affectif, les enfants victimes de trafic se montrent davantage en retrait et adoptent des stratégies d'évitement. A Kédougou, elles sont décrites comme évasives voire craintives, n’acceptent souvent pas de dénoncer ou de coopérer avec les services sociaux ou acteurs judiciaires, de peur de représailles ou de peur de perdre le peu dont elles jouissent avec leurs bourreaux (abri, possibilité de se nourrir).Ils sont souvent sujets à l'anxiété, à la dépression  et ont unefaible estime d'eux-mêmes. Un sentiment de mal-être qu'ils peuvent manifester par de l'agressivité, de l'impulsivité ou en tombant dans l'alcoolisme, la drogue ou la délinquance. En grandissant, ils peuvent éprouver des troubles émotionnels et sont également exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques.

Enrayer cette pratique : quelles pistes de solutions ?

Compte tenu du frein au développement économique et de la menace qu’elle constitue, pour le capital humain du Sénégal mais aussi de l’Afrique, le trafic sexuel est un défi majeur auquel les Chefs d’Etats et de Gouvernement Africains doivent se pencher, en priorité. Même s’il la lutte se heurte à des contraintes telles que l’identification, la protection des victimes ainsi que la poursuite des auteurs, un ensemble de mesures devraient être prises pour enrayer ces pratiques.  Dans cette perspective, nous recommandons les pistes suivantes:

   -Initier une large campagne de sensibilisation sur la traite des enfants, élargie à l’espace CEDEAO, afin de sensibiliser parents et enfants sur les risques de traite auxquels ils sont exposés, quand ils se déplacent de pays à pays et inviter les parents à davantage de vigilance et de réflexe de protection pour leurs enfants ;

-Améliorer et renforcer les politiques d’accès à l’éducation pour les enfants et assurer leur enrôlement et maintien à l’école,

- Renforcer le dispositif national de signalement ou dénonciation des cas de traite et d’autres formes d’exploitations en assurant son appropriation par les communautés ;

-Former les leaders locaux sur le phénomène de traite des enfants (veille, détection, alerte, référencement) et mettre en place des systèmes de veille et d’alerte au niveau communautaire ;

- Accompagner les familles vulnérables, surtout les filles, à avoir des projets de développement et activités génératrices de revenus dans leurs zones de résidence, afin de favoriser leur insertion socioéconomique et minimiser les risques et tentations pour la migration ;

Renforcer le dispositif juridique et institutionnel, à travers l’adoption d’une loi prévoyant une meilleure assistance et protection des victimes de traite,

- S’assurer que les services publics de protection de l’enfance et les organisations travaillant dans ce sens soient dotés des ressources financières, logistiques et humaines garantissant l’hébergement, le rétablissement, l’éducation, le suivi, la préparation à l’autonomisation des victimes en vue de leur réintégration socioéconomique ;

Renforcer les moyens opérationnels, techniques, financiers et humains de la Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes ;

-Sensibiliser les forces de l’ordre, les magistrats, les travailleurs sociaux, les éducateurs spécialisés et autres acteurs de la chaîne pénale, sur les dangers auxquels les enfants peuvent être exposés dans l’environnement électronique pour mieux appréhender les trafiquants ou présumés auteurs ;

-Renforcer la coopération entre les autorités administratives, judiciaires et policières des pays d’origine des victimes : pays de l’espace CEDEAO ;

-Effectuer une revue des législations au plan régional en matière de circulation des personnes et des biens en vue d’un meilleur encadrement ;

-Renforcer la coopération interministérielle en informant et sensibilisant tous les Ministères sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans la lutte contre le trafic sexuel et en les invitant à être partie prenante à la mise en œuvre du Plan d’Action National de Lutte contre la Traite des Personnes.

Aminata DIAGNE BARRE
Senegal Country Coordinator
African Programming and Research Initiative to End Slavery (APRIES)
Center on Human Trafficking Research & Outreach (CenHTRO)


AYOBA FAYE

Jeudi 16 Juin 2022 - 17:00


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