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Thiès: une jeunesse piégée par la rentabilité des motos taxis

Sur la carte postale, elle est la capitale du Rail. Mais Thiès est en train de perdre cette identité. La ville est happée par une nuée de « Motos-Jarkata ». Face au chômage endémique, sa jeunesse a trouvé une source de revenus à travers la conduite de motos.



Thiès: une jeunesse piégée par la rentabilité des motos taxis
Thiès se languit. La ville a perdu son identité. Celle qui a fait sa réputation et racontée dans les classiques de la littérature africaine à l’instar des « Bouts de bois de Dieu » de Ousmane Sembene qui y place le décor d’une grève de cheminots. Ville de refus, elle a également perdu son image première collée dans l’Adn de ses habitants. On lui donnait le nom de la ville aux deux gares ou celui de la capitale du rail. Cette époque semble être derrière Thiès où l’on entend plus le sifflement du train. Les rails ayant été ensevelis, la jeunesse semble voir son avenir bouché. Les industries ne recrutent plus. La plupart d’entre elles ont fermé leurs portes. Une jeunesse qui a trouvé de quoi vivre par la conduite de motos-taxis. Une échappatoire pour ne pas rester les bras croisés.

En cette matinée de samedi, vers les coups de neuf heures du matin, l’étranger qui débarque dans cette ville est happé par le tintamarre produit par une nuée de motos. Ça se faufile entre les voitures, prenant au dépourvu les chauffeurs. Certains, exaspérés, lâchent un juron. Ce qui crée souvent des scènes de pugilats. Les jeunes qui conduisent ces motos ne connaissent pas pour la plupart d’entre eux les règles de conduite qui régissent la circulation. Dans ce décor de motos- taxis, Thiès n’a rien à envier à Ouagadougou connue pour ses nombreuses motos qui circulent dans la ville. Ca klaxonne, vrombit, laissant cracher de la fumée qui vient arracher une toux aux asthmatiques.

De capitale du Rail, Thiès pourrait désormais être appelée capitale des Motos Jarkata. 7000 motos y circuleraient. Des engins conduits par des jeunes dont certains sont à peine sortis de l’adolescence. Tous cherchent à vivre ou survivre. Dans la ville règne une symphonie musicale à travers les klaxons. Souvent l’image attire par l’arabesque que ces jeunes font sur les routes, marque de leur insouciance. C’est à croire qu’ils viennent taquiner la mort. Et cela devient périlleux pour le piéton de traverser la route. Il arrive que celui-ci se retrouve nez à nez avec un conducteur venu de nulle part. Il est rare de voir un adulte conduire une moto. Ils sont tous des jeunes.

A 20 ans, Mor Sarr, juché sur sa moto, dit s’activer dans ce secteur pour faire vivre sa famille. Et il n’est pas le seul. Deux de ses grands frères sont dans le secteur. A trois, ils parviennent à donner un certain train à leur famille. « Ce sont des jeunes qui prennent en charge leurs familles.  Et leur arracher ces motos serait hypothéquer  la vie  de ces    familles  », renseigne Assane Diouga Diouf chargé de la communication de la Fédération nationale des conducteurs de vélomoto taxis du Sénégal. Cependant, renseigne notre interlocuteur, il arrive que certains parmi ces jeunes quittent le secteur. Ces jeunes ne sont cependant pas tous originaires de la ville aux deux gares. Certains viennent de l’intérieur du pays. Voire de la sous-région. Ce à l’instar d’Ibrahima Sissokho.

Sur la route qui mène vers le quartier Hersant, un secteur de la ville, le jeune conducteur de moto taxi roule sans casque « Je n’ai pas de casque, ni assurance ni de carte grise, pas de permis non plus.  Avant de venir à Thiès, j’étais à Tambacounda » renseigne le jeune Malien qui est venu au Sénégal pour gagner sa vie. Il n’est pas le seul dans cette situation. Un de ses amis qui écoutait la conversation, y met son grain de sel. «  Nous  savons  les risques encourus.  Seulement, nous n’avons pas le choix. Il n’y a rien à Thiès.  Aucune politique d’emploi pour nous les jeunes. Pour avoir, ne serait-ce une bourse au niveau de la mairie, il faut être le parent du maire ou d’un des membres de l’équipe municipale. Mais avec les motos taxis, nous avons au minimum 5000 F par jour et il m’arrive d’avoir 20 000 francs en une journée. Maintenant, c’est moi qui prends en charge la dépense quotidienne de ma famille. Tous les jeunes qui font cette activité assurent le quotidien de leurs familles », explique le jeune conducteur de moto taxi, Mamadou Faye De Hersant à Thially, un autre quartier, les jeunes conducteurs tiennent la ville en règle, semblant se jouer du code de la route.

Ancien militaire libéré de l’Armée, M. Diop est marié et père d’une fille. Il est également soutien de sa famille. « Ces motos taxis peuvent nous permettre de gagner dignement notre vie et ne rien attendre de nos hommes politiques qui refusent de reconnaitre  leurs  échecs.  Comment  l’Armée peut se permettre de libérer des jeunes citoyens  après  tant  d’années  sous  les  drapeaux.  Je  demeure  convaincu  qu’il  est impossible  de  bâtir  une  nation  avec  cette jeunesse locale qui n’aspire qu’à devenir des conducteurs  de  moto  taxis  », regrette M. Diop. Mais face à la rentabilité, ils sont nombreux à envahir le secteur avec plus ou moins de bonheur. Quant aux forces de l’ordre, lasses de verbaliser, elles ont dû se résoudre à regarder le spectacle de jeunes sans aucune pièce et sans casque se faufiler entre les voitures.

Face à la demande, les concessionnaires ont revu le prix des motos à la hausse. S’il y a quelques années on pouvait avoir une moto entre 250 000 et 300. 000, il faut maintenant débourser 500 000 F Cfa. Bien entendu, la plupart de ces jeunes conduisent pour des promoteurs à qui ils versent une somme convenue entre les deux parties. Ainsi ils se retrouvent souvent avec d’intéressants gains. Ce qui fait que les jeunes sont de plus en plus nombreux dans le secteur. Certains désertent même l’école pour s’investir dans le créneau. Sont-ils piégés par l’appât du gain ? « Nous n’avons aucune formation.  Nos  amis qui  en disposent sont en chômage. Et il   est fréquent de voir un diplômé de l’université dans la  circulation. S’il y avait d’autres alternatives plus radieuses, et qui  exposent moins aux dangers, vous ne verrez aucun jeune  dans le secteur », dit lapidaire Ousmane Fall, un jeune conducteur qui avoue ne vouloir pas faire de vieux os dans le milieu, souhaitant se retrouver dans d’autres activités plus lucratives.

Le Témoin


Mardi 29 Décembre 2020 - 10:36


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