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Afghanistan : un an après la chute de Kaboul, l’organisation État islamique en embuscade

Depuis le départ des Américains, la branche régionale de l’organisation de l’État islamique poursuit son œuvre de déstabilisation de l’Afghanistan, tentant de prospérer sur la crise humanitaire, les tensions ethniques et les divisions internes parmi les Taliban.



Les Taliban ont beau se vanter d’avoir vaincu l’organisation État islamique au Khorasan, la branche afghane de l’OEI, le groupe jihadiste ne cesse de rappeler depuis un an son pouvoir de nuisance, multipliant les attaques meurtrières essentiellement dirigées contre les populations civiles ou des responsables religieux.
 
La dernière en date remonte au jeudi 11 août avec l'assassinat de Rahimullah Haqqani, un haut dignitaire religieux taliban, connu pour ses discours enflammés contre l’organisation État islamique au Khorasan. Il s’était récemment prononcé en faveur de la scolarisation des jeunes Afghanes.
 
Quelques jours plus tôt, le groupe terroriste avait revendiqué un attentat à la bombe dans un quartier chiite de Kaboul dans lequel huit personnes ont perdu la vie et 18 autres blessées. L’attaque visait la communauté hazara, une minorité qui représente entre 10 et 20 % des 40 millions d’Afghans, persécutée de longue date dans ce pays à majorité sunnite.
 
Même si la violence armée a globalement baissé depuis la chute du précédent gouvernement, les attaques sanglantes attribuées ou revendiquées par l’OEI-K endeuillent régulièrement le pays, mettant à mal la promesse talibane faite à la population et à la communauté internationale d’un retour à l’ordre rapide en Afghanistan.
 
“Une plus grande liberté d’action”
 
Selon un décompte réalisé par la MANUA, la Mission des Nations Unies en Afghanistan, les attentats visant des communautés ethniques et religieuses minoritaires ont fait plus de 700 morts et 1 400 blessés dans le pays entre la mi-août 2021 et la mi-juin 2022.
 
Dans cette longue litanie des attaques jihadistes, l’attentat-suicide de l’aéroport de Kaboul, le 26 août 2021, reste le plus meurtrier. Ce jour-là, en plein chaos provoqué par l’offensive éclair des Taliban sur la capitale, un kamikaze parvenait à se faire exploser à proximité d’une porte d’accès puis des tirs d’armes à feu provoquaient la mort de 185 personnes, dont 13 militaires américains.
 
Implantée depuis 2015 en Afghanistan, notamment dans les provinces du Nangarhar et de Kunar, près de la frontière pakistanaise, l’organisation État islamique au Khorasan a été fondée par des cadres des Taliban afghans et pakistanais ayant prêté allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, l’ancien chef de l’organisation.
 
Mais la branche afghane de l’OEI subit rapidement les effets de la double traque menée contre ses combattants par l’ancien gouvernement afghan soutenu par les États-Unis et par les Taliban eux-mêmes.
 
Depuis un an, le groupe jihadiste connaît un regain d’activité, notamment dans le nord-est et l’est du pays et représente le principal défi sécuritaire pour les nouveaux maitres de Kaboul. “On ne peut pas dire qu’il y a eu un renforcement de l’OEI-K mais le groupe bénéficie d’une plus grande liberté d’action depuis le départ des Américains”, estime le journaliste de France 24, Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes. "Si les Taliban avaient réussi à contrer l’OEI sur le mode insurrectionnel, la lutte anti-terroriste en milieu urbain est une autre affaire et on voit qu’ils ont plus de difficultés dans ce domaine".
 
Attiser les divisions ethniques
 
Forts d’environ 2 000 hommes avant le départ des Américains, selon l’ONU, il est impossible d’évaluer aujourd’hui les effectifs de l’OEI-K dont "le noyau dur est constitué de jeunes désocialisés et peu éduqués des zones rurales", selon Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et auteure de "Terrorisme : les affres de la vengeance" (Ed. Cavalier bleu).
 
Pour convaincre de nouveaux adeptes, le groupe terroriste exploite les divisions ethniques dans sa propagande et vise les communautés qui pourraient se sentir marginalisées par l'arrivée des Taliban au pouvoir – comme les Tadjiks, deuxième groupe ethnique du pays, représentant environ un quart de la population.
 
“Les Pachtounes étant au pouvoir à Kaboul et supposés être sous la protection des Taliban, Daesh s’est présenté comme la force vers laquelle les Tadjiks pourraient se tourner, assure Didier Chaudet, chercheur associé à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC).
 
Le groupe jihadiste cherche également à grossir ses rangs en recrutant des combattants étrangers venus d’Asie centrale, mais aussi les membres les plus radicaux du réseau familial et tribal Haqqani, étroitement lié à Al-Qaïda mais faisant partie des Taliban.
 
De manière générale, l’OEI-K s’efforce d’exploiter les divisions internes aux Taliban, partagés entre idéologues radicaux hostiles à tout compromis avec l’Occident et pragmatiques prêts à faire des concessions pour asseoir la crédibilité internationale de leur gouvernement. "Il y a un certain nombre de Taliban qui ne sont pas satisfaits que le mouvement rejette la logique du jihad global et qui sont très tentés par le narratif de l’État islamique", précise Myriam Benraad.
 
"On manque de recul pour savoir si ces déçus des Taliban ont commencé à renflouer les rangs de l’OEI", nuance Wassim Nasr. "D’autant que les Taliban restent globalement fidèles à eux-mêmes. La seule chose sur laquelle ils ont transigé concerne la protection des chiites. C’est d’ailleurs sur ce point que l’OEI ne cesse d’appuyer dans sa propagande pour montrer que les Taliban seraient de ‘faux musulmans’”.
 
Le rêve d’un nouveau califat
 
Malgré son fort pouvoir de nuisance et une capacité à mener des actions violentes spectaculaires, l’OEI-K est loin d’être en mesure de reconstituer une assise territoriale en Afghanistan. "L’OEI-K agit sur un mode terroriste mais n’a jamais réussi à reconstituer un territoire, ce qui est un vrai indicateur", explique Wassim Nasr.
 
"Ils n’ont pas assez quadrillé les provinces de l’est pour pouvoir y établir une gouvernance, comme on l’a vu en Irak ou en Syrie. Par ailleurs, les meurtres massifs de civils les ont rendus très impopulaires auprès de la population afghane", confirme Myriam Benraad.
 
Reste que l’OEI-K trouve en Afghanistan un terreau fertile pour son développement dans les années à venir : un pays fragmenté par des tensions ethniques, une crise humanitaire sans précédent et une situation sécuritaire dégradée.

"Si la pression des problèmes économiques et sociaux menait à l’écroulement du pouvoir taliban, alors les forces les plus radicales pourraient rejoindre l’État islamique au Khorasan. Le pire qu’il puisse arriver dans les années à venir, c’est une renaissance territoriale de Daesh et c’est l’un des objectifs de l’organisation", assure Didier Chaudet. "Le principal danger sécuritaire pour l’Afghanistan, ses voisins et la communauté internationale, ce n’est ni les Taliban, ni Al-Qaïda mais bien l’organisation État islamique au Khorasan".
 
Pour empêcher l’installation d’un sanctuaire terroriste à leurs portes, les puissances régionales surveillent étroitement l’évolution de la situation et cherchent à maintenir des relations correctes avec les Taliban depuis leur retour aux manettes. En octobre 2021, Moscou avait notamment accueilli une grande conférence internationale – une dizaine de pays y participaient dont la Chine, l’Iran ou encore le Pakistan – initiative destinée à intégrer les Taliban dans le jeu diplomatique, en parallèle des discussions de Doha avec les États-Unis.
 
Aux yeux de la communauté internationale, les Taliban apparaissent comme un moindre mal pour endiguer la volonté hégémonique de l’OEI-K. "C’est une carte de négociations pour les Taliban", analyse Myriam Benraad. "Cependant, il existe des doutes importants sur les relations véritables qui unissent les groupes jihadistes avec les franges les plus radicales des Taliban favorables au jihad global", comme l’a rappelé la présence d'Ayman Al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaïda, en plein cœur de la capitale afghane, tué fin juillet par une frappe de drone américaine.

RFI

Samedi 13 Août 2022 - 15:47


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