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Brésil : la politique étrangère de Lula à l’épreuve de la guerre en Ukraine

En visite à Paris cette semaine, le président brésilien se veut plus que jamais le champion du "Sud global", ces puissances dites émergentes, qui contestent la domination des pays occidentaux sur les institutions internationales. À l’heure de son troisième mandat, le président brésilien veut remettre en marche une diplomatie hyperactive de non-alignement, dont les limites ont été mises en avant par la guerre en Ukraine.



Brésil : la politique étrangère de Lula à l’épreuve de la guerre en Ukraine
"Le Brésil est de retour", lançait Luiz Inacio Lula Da Silva au lendemain de sa victoire électorale sur Jair Bolsonaro, le 30 octobre 2022. Après six ans de crises et d’isolationnisme, "l’homme politique le plus populaire au monde" selon Barack Obama (en 2009), entend remettre le Brésil au centre de la scène diplomatique internationale.
 
Lula, un guerrier souriant à la reconquête du Brésil
 
À l’invitation d’Emmanuel Macron, Lula sera les 22 et 23 juin à Paris où il assistera au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, une initiative du président français destinée à "réformer l'architecture de la finance mondiale pour mieux répondre aux défis du réchauffement climatique". Une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement sont attendus.
 
Lula participera à l'événement sur le changement climatique organisé par Global Citizen à la Tour Eiffel à Paris le 22 juin 2023. Le président brésilien a déclaré qu'il avait été invité par Chris Martin, le chanteur de Coldplay, à cet événement auquel participeront également Billie Eilish, H.E.R., Lenny Kravitz et des dirigeants internationaux.

Emmanuel Macron veut s'adresser au Sud global
Selon le quotidien L’Opinion, "le président français plaide pour une refonte du système hérité de la Seconde Guerre mondiale en prenant en compte l'émergence des puissances du Sud afin d'éviter une fragmentation avec les pays occidentaux". Et d'ajouter qu’Emmanuel Macron souhaite "se rendre à un sommet du club très fermé des Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – [...] qui veut concurrencer la gouvernance mondiale sous leadership américain"
 
Ce sommet des Brics aura lieu du 22 au 24 août 2023 dans la province du Gauteng, en Afrique du Sud, et si le président français veut concrétiser son projet, il aura sans doute besoin de l’appui de Lula, qu’il recevra en tête à tête cette semaine à l’Élysée. Pour le président français, cultiver une relation de proximité avec le vétéran de la politique brésilienne est une façon de pouvoir s’adresser aux pays du Sud.
 
Préserver les forêts tropicales, faire respecter les droits des peuples autochtones, c'est toute sa vie, son combat pour l'Humanité.
 
En effet, le président brésilien a construit son aura sur la scène internationale en étant l’un des architectes des Brics, dont le premier sommet s’est tenu en 2009 en Russie, à Ekaterinbourg. L’organisation est entrée en sommeil ces dernières années (le dernier sommet des Brics remonte à 2019) mais selon certaines projections, ces cinq pays pèseront 40 % du PIB mondial en 2025 (contre 31,5 % actuellement).
 
Lula, champion des pays du Sud
En plus d’avoir fait émerger ce bloc de puissances du Sud sur la scène internationale, le Brésil a développé une hyperactivité diplomatique lors des deux premières présidences Lula (2003-2011), puis de celles de sa successeure, Dilma Rousseff (2011-2016), avec la volonté de s’affirmer comme l’un des leaders du Sud et comme le champion de son autonomie vis-à-vis des puissances occidentales.
 
En 2004, pour la première fois, l’ONU confiait le commandement d’une opération militaire internationale, la Minustah (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), au géant latino-américain.
 
Le président brésilien a en outre accompagné la naissance de plusieurs institutions visant à plus d’intégration politique et économique en Amérique du Sud, avec la création de l’Unasur (l’Union des nations sud-américaines), ou encore de la Celac (Communauté des pays d’Amérique latine et des Caraïbes).
 
Au Moyen-Orient, Lula s’est illustré en 2010 en parvenant à obtenir un accord Iran-Brésil-Turquie sur le nucléaire iranien.
 
Sur le continent africain, Lula a multiplié les voyages, les ouvertures d’ambassades et les accords au cours de ses deux premiers mandats, donnant l’image d’un Brésil devenu une nouvelle puissance globale.
 
L'échec de la tentative de médiation de Lula dans le conflit russo-ukrainien
Malgré cette expérience et de ce bilan prestigieux, les débuts du troisième mandat du président brésilien se sont heurtés à la question de la guerre en Ukraine, qui divise profondément Sud et Nord de la planète.
 
Près de quinze ans après sa création, le groupe des Brics ressemble de plus en plus à un club anti-occidental, à l’heure d’une presque guerre froide entre la Chine et les États-Unis et d’une quasi guerre chaude entre le Russie et l’Otan.
 
Si la plupart des dirigeants occidentaux se sont félicités du retour du vétéran de la politique brésilienne aux affaires, la lune de miel s’est brutalement interrompue après le déplacement de Lula en Chine. Le 15 avril à Shanghai, le président brésilien a lancé à la presse que les États-Unis et l'Union européenne devaient "cesser d'encourager la guerre et commencer à parler de paix".
 
Quelques jours plus tard, John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, organe directement rattaché au président américain, rétorquait que "dans ce cas précis, le Brésil se fait l'écho de la propagande russe et chinoise sans prendre en compte les faits".
 
Le lendemain, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov était reçu à Brasilia, souriant et détendu, en jean et baskets. L’ambition de Lula de devenir le faiseur de paix du conflit en Ukraine venait sans doute de s'effondrer. Au cours d’un entretien avec le quotidien espagnol El Pais publié le 27 avril, le président brésilien admettait à demi-mot son impuissance à réunir autour d’une table les belligérants avec d’autres pays médiateurs.
 
Fin mai, au cours du sommet du G7 qui s’est tenu au Japon, Lula semblait définitivement hors-jeu, ne parvenant pas à croiser Volodymyr Zelensky pour une poignée de main en raison d'une "incompatibilité d’agenda".
 
Pour le politologue brésilien Oliver Stuenkel, "l'ambition de Lula de jouer un rôle de médiateur en Ukraine a peu de chances de prospérer sans la bénédiction de l'Occident". Pour le chercheur à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo, ce n’est pas simplement la philosophie du non-alignement qui empêche le Brésil de condamner l’invasion russe en Ukraine. "Le Brésil, quels que soient les gouvernements, a toujours entretenu des rapports de basse intensité avec la Russie et qui ont survécu à tous les temps", explique-t-il.
 
"Les importations d'engrais russes sont cruciales pour l'énorme industrie agroalimentaire brésilienne", rappelle Oliver Stuenkel. "En 2014, le gouvernement de Dilma Rousseff a refusé de céder aux pressions occidentales pour désinviter le président russe Vladimir Poutine à un sommet des Brics au Brésil, après l'invasion de la péninsule de Crimée. Mme Rousseff a ensuite soutenu une déclaration commune des Brics, rejetant les tentatives occidentales d'isoler la Russie sur le plan diplomatique".
 
De plus, pour Lula, comme pour bien d'autres leaders du Sud global, l’invasion de l’Irak en 2003 ou l’opération de l’Otan en Libye en 2011 (pour provoquer des changements de régime) a rendu inaudible la rhétorique occidentale sur l'impératif moral de condamner la Russie. "Avec Moscou, la relation a toujours été dépourvue des complexités et des critiques qui ont façonné les liens du Brésil avec l'Occident".
 
À Paris, les discussions entre Emmanuel Macron et les représentants du Sud qui font le déplacement risquent d’être ardues. En effet, les canons ne sont pas près de se taire en Ukraine et le clivage entre Nord et Sud qui s’est consolidé au fil des mois autour du conflit russo-ukrainien rend des avancées dans la coopération plutôt improbables.
 
"S'il est tentant de qualifier de donquichottesque la quête de paix de Lula en Ukraine, le positionnement du Brésil révèle des doutes plus généraux dans le sud de la planète quant au caractère prétendument inclusif de l'ordre international libéral", estime Oliver Stuenkel. "Pour rallier Lula aux efforts occidentaux en Ukraine, les puissances occidentales devraient d'abord prouver qu'elles apprécient le Brésil en tant que partenaire. Tant qu'il n'aura pas été entendu et pris au sérieux, le Sud risque de continuer à s'opposer".

France24

Jeudi 22 Juin 2023 - 11:42


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