RFI : Est-ce que les rivalités au sein de la coalition «Vivre ensemble» ont disparu aujourd'hui ?
Diego da Rin : Les confrontations fréquentes et très intenses entre les deux groupes de cette coalition « Vivre ensemble » supposaient d'énormes pertes au niveau des ressources, munitions et hommes au combat. Aujourd'hui, il existe toujours des tensions, comme on l'a vu par exemple la semaine dernière avec le chef Kempès qui dirige le gang du quartier de Bel-Air à Port-au-Prince, autour de ses activités de kidnapping. Il existe bien sûr des rivalités entre certains chefs de gangs autour de la répartition des ressources dans des territoires qui sont encore convoités, pas totalement délimités par des groupes qui ont des territoires les uns à côté des autres. Ce qu'on a vu aussi, c'est qu'il y avait des rivalités viscérales entre certains chefs de gangs : Izo et Krisla par exemple font désormais des collaborations pour faire des chansons ensemble. Ce qui signifie qu'il y a des rivalités qui commencent à s'évaporer. Jeff, un chef de gang, organise des carnavals et des fêtes auxquelles sont invités pratiquement tous les chefs de gangs de « Vivre ensemble ».
Des liens se créent, se renforcent. La coalition, elle, a même été rejointe par de nouveaux groupes, extérieurs à Port-au-Prince. Peut-on estimer sa force de frappe ?
Il n'y a pas de données exactes pour comprendre véritablement la magnitude de ce groupe et leur force de frappe. Les estimations varient entre 12 000 et 20 000 membres, dont 3 000 ou 4 000 seraient très fortement armés. En plus, certains des gangs, avec la collaboration d’ex-membres des forces de sécurité, ont commencé à créer des unités d'élite qu'ils utilisent pour leurs offensives les plus ambitieuses, quand ils essayent de prendre des territoires, comme ils sont en train de le faire sur la côte des Arcadins, ou comme ils l'ont fait depuis le début d'année sur la commune de Kenscoff.
D'un point de vue économique : sait-on comment fonctionnent ces groupes criminels et d'où viennent leurs revenus aujourd'hui ?
L'une des conditions d'existence de cette coalition, c'est qu’aucun des chefs n'a l'ascendant et ne peut donner d'ordre à un autre chef de gang qui fait partie de la coalition. Toutes les décisions stratégiques sont prises au niveau collégial, par consensus. Bien sûr, il y a des membres de gangs qui, par la taille de leur gang ou la force de frappe qu'ils ont, ont un peu plus d'influence dans la prise de décision collective mais chaque groupe demeure libre de choisir ses activités illicites pour se financer. Le porte-parole de la coalition, faussement perçu comme son chef, car plus visible sur les réseaux sociaux, Jimmy Chérizier connu comme « Barbecue » essaie de convaincre les autres chefs d'arrêter d'utiliser le kidnapping comme source de revenus. Mais, il y a encore de nombreux gangs qui utilisent le kidnapping pour se financer.
Il y a aussi de plus en plus d'enlèvements en mer depuis quelques mois ?
Oui, absolument. Des enlèvements en mer, des vols de bateaux également, des marchandises de bateaux dans la baie de Port-au-Prince, des extorsions sur tous les types d'activités économiques qui ont lieu dans les territoires que contrôlent les gangs. Et, aussi un rôle accru dans le trafic de drogue de la part de certains gangs qui font partie de « Vivre ensemble ». Ils ont aussi établi des péages sur les routes nationales à partir de 2021, dans lesquelles ils demandent des frais pour laisser passer des véhicules en fonction de la charge qu'ils ont, qu'ils transportent.
Le fait qu'Haïti soit une plaque tournante du trafic de drogue n'est pas nouveau. Mais les gangs ne jouaient pas de rôle direct avant. De quelle manière sont-ils impliqués aujourd'hui ?
On n'a pas beaucoup de données pour estimer quel serait le degré d'implication des gangs dans le trafic de drogue. Il y a très peu de saisies de drogue, notamment dans les territoires contrôlés par les gangs où les forces de sécurité ne peuvent que très rarement pénétrer. Cependant des agents de sécurité et des services d'intelligence haïtiens nous ont dit pour ce rapport qu'ils avaient de plus en plus de preuves de marchandises qui ressemblaient à des cargaisons de drogue, qui rentraient dans certains territoires contrôlés par les gangs de . Non seulement dans la capitale, mais également sur d'autres parties du territoire.
Tout cela permet aux gangs de s'affranchir des responsables politiques ou économiques qui les avaient financés et instrumentalisés depuis des décennies. Est-ce qu'aujourd'hui les gangs de la coalition « Vivre ensemble » sont complètement autonomes ?
Les gangs se sont affranchis de la mainmise que les élites exerçaient sur eux. Avant, ils recevaient des ordres de leurs « patrons ». Maintenant, ils interagissent avec les élites comme des partenaires. Les gangs ont besoin des élites, disons économiques. Ils reçoivent énormément de revenus de différentes activités importantes, économiques qui ont lieu dans les territoires qu’ils contrôlent. Le but ultime de la coalition « Vivre ensemble », c'est d'entamer des dialogues avec les autorités et d'essayer que les autorités leur garantissent une amnistie totale pour leurs crimes.
Est-ce que ça veut dire que les gangs de la coalition préparent la suite puisqu'en principe, l'exécutif doit passer la main en février prochain ? Ce sera la fin de la période de transition. Est-ce que ces groupes criminels cherchent à s'assurer des alliés au plus haut niveau du pouvoir ?
Bien sûr. Ce qu'on peut prévoir, c'est un peu ce qui s'est passé au début de 2024, lorsque la coalition « Vivre Ensemble » a commencé à mener ses premières attaques qui ont paralysé Port-au-Prince pendant plus ou moins trois mois et qui ont forcé la démission du Premier ministre Ariel Henry. Lorsque le gouvernement, le nouveau gouvernement de transition, a commencé à être établi, les gangs se sont opposés à la démarche qui les excluait des discussions pour former de nouvelles autorités. Ce qu'ils voulaient, c'était avoir des politiciens au sein du gouvernement qui fussent prêts non seulement à entamer des dialogues avec eux, mais à leur garantir une amnistie totale et l'impunité pour tous leurs crimes. Avec le changement d'administration qui devrait avoir lieu en février, les gangs vont vraisemblablement se préparer pour essayer de faire inclure des personnes ou des forces politiques prêtes à s'engager avec eux dans ces termes-là.
Est-ce que les gangs eux-mêmes auraient un intérêt, à plus ou moyen terme, à s'emparer eux-mêmes du pouvoir ?
Bien sûr, il y a des certains chefs de gangs qui ont eu par le passé et qui pourraient encore avoir des ambitions politiques, mais l'intérêt partagé de tous les chefs de gangs qui font partie de « Vivre ensemble », c'est d'éviter d'avoir à se confronter avec une force qui puisse les détruire, qui puisse être plus forte qu'eux-mêmes. Donc ce qu'ils cherchent, ce n'est pas à prendre le pouvoir. D'ailleurs, certains observateurs estiment que cette coalition ne montre pas toujours sa véritable force de frappe. S'ils ont pu forcer la démission du Premier ministre Ariel Henry, ils auraient pu paralyser encore une fois la capitale et forcer la démission de l'actuel gouvernement. Mais, ce qu'ils cherchent en ce moment, c'est de réussir à pénétrer l'administration et convaincre les gens qui sont au pouvoir d'engager des pourparlers avec eux et de cesser de les combattre.
Diego da Rin : Les confrontations fréquentes et très intenses entre les deux groupes de cette coalition « Vivre ensemble » supposaient d'énormes pertes au niveau des ressources, munitions et hommes au combat. Aujourd'hui, il existe toujours des tensions, comme on l'a vu par exemple la semaine dernière avec le chef Kempès qui dirige le gang du quartier de Bel-Air à Port-au-Prince, autour de ses activités de kidnapping. Il existe bien sûr des rivalités entre certains chefs de gangs autour de la répartition des ressources dans des territoires qui sont encore convoités, pas totalement délimités par des groupes qui ont des territoires les uns à côté des autres. Ce qu'on a vu aussi, c'est qu'il y avait des rivalités viscérales entre certains chefs de gangs : Izo et Krisla par exemple font désormais des collaborations pour faire des chansons ensemble. Ce qui signifie qu'il y a des rivalités qui commencent à s'évaporer. Jeff, un chef de gang, organise des carnavals et des fêtes auxquelles sont invités pratiquement tous les chefs de gangs de « Vivre ensemble ».
Des liens se créent, se renforcent. La coalition, elle, a même été rejointe par de nouveaux groupes, extérieurs à Port-au-Prince. Peut-on estimer sa force de frappe ?
Il n'y a pas de données exactes pour comprendre véritablement la magnitude de ce groupe et leur force de frappe. Les estimations varient entre 12 000 et 20 000 membres, dont 3 000 ou 4 000 seraient très fortement armés. En plus, certains des gangs, avec la collaboration d’ex-membres des forces de sécurité, ont commencé à créer des unités d'élite qu'ils utilisent pour leurs offensives les plus ambitieuses, quand ils essayent de prendre des territoires, comme ils sont en train de le faire sur la côte des Arcadins, ou comme ils l'ont fait depuis le début d'année sur la commune de Kenscoff.
D'un point de vue économique : sait-on comment fonctionnent ces groupes criminels et d'où viennent leurs revenus aujourd'hui ?
L'une des conditions d'existence de cette coalition, c'est qu’aucun des chefs n'a l'ascendant et ne peut donner d'ordre à un autre chef de gang qui fait partie de la coalition. Toutes les décisions stratégiques sont prises au niveau collégial, par consensus. Bien sûr, il y a des membres de gangs qui, par la taille de leur gang ou la force de frappe qu'ils ont, ont un peu plus d'influence dans la prise de décision collective mais chaque groupe demeure libre de choisir ses activités illicites pour se financer. Le porte-parole de la coalition, faussement perçu comme son chef, car plus visible sur les réseaux sociaux, Jimmy Chérizier connu comme « Barbecue » essaie de convaincre les autres chefs d'arrêter d'utiliser le kidnapping comme source de revenus. Mais, il y a encore de nombreux gangs qui utilisent le kidnapping pour se financer.
Il y a aussi de plus en plus d'enlèvements en mer depuis quelques mois ?
Oui, absolument. Des enlèvements en mer, des vols de bateaux également, des marchandises de bateaux dans la baie de Port-au-Prince, des extorsions sur tous les types d'activités économiques qui ont lieu dans les territoires que contrôlent les gangs. Et, aussi un rôle accru dans le trafic de drogue de la part de certains gangs qui font partie de « Vivre ensemble ». Ils ont aussi établi des péages sur les routes nationales à partir de 2021, dans lesquelles ils demandent des frais pour laisser passer des véhicules en fonction de la charge qu'ils ont, qu'ils transportent.
Le fait qu'Haïti soit une plaque tournante du trafic de drogue n'est pas nouveau. Mais les gangs ne jouaient pas de rôle direct avant. De quelle manière sont-ils impliqués aujourd'hui ?
On n'a pas beaucoup de données pour estimer quel serait le degré d'implication des gangs dans le trafic de drogue. Il y a très peu de saisies de drogue, notamment dans les territoires contrôlés par les gangs où les forces de sécurité ne peuvent que très rarement pénétrer. Cependant des agents de sécurité et des services d'intelligence haïtiens nous ont dit pour ce rapport qu'ils avaient de plus en plus de preuves de marchandises qui ressemblaient à des cargaisons de drogue, qui rentraient dans certains territoires contrôlés par les gangs de . Non seulement dans la capitale, mais également sur d'autres parties du territoire.
Tout cela permet aux gangs de s'affranchir des responsables politiques ou économiques qui les avaient financés et instrumentalisés depuis des décennies. Est-ce qu'aujourd'hui les gangs de la coalition « Vivre ensemble » sont complètement autonomes ?
Les gangs se sont affranchis de la mainmise que les élites exerçaient sur eux. Avant, ils recevaient des ordres de leurs « patrons ». Maintenant, ils interagissent avec les élites comme des partenaires. Les gangs ont besoin des élites, disons économiques. Ils reçoivent énormément de revenus de différentes activités importantes, économiques qui ont lieu dans les territoires qu’ils contrôlent. Le but ultime de la coalition « Vivre ensemble », c'est d'entamer des dialogues avec les autorités et d'essayer que les autorités leur garantissent une amnistie totale pour leurs crimes.
Est-ce que ça veut dire que les gangs de la coalition préparent la suite puisqu'en principe, l'exécutif doit passer la main en février prochain ? Ce sera la fin de la période de transition. Est-ce que ces groupes criminels cherchent à s'assurer des alliés au plus haut niveau du pouvoir ?
Bien sûr. Ce qu'on peut prévoir, c'est un peu ce qui s'est passé au début de 2024, lorsque la coalition « Vivre Ensemble » a commencé à mener ses premières attaques qui ont paralysé Port-au-Prince pendant plus ou moins trois mois et qui ont forcé la démission du Premier ministre Ariel Henry. Lorsque le gouvernement, le nouveau gouvernement de transition, a commencé à être établi, les gangs se sont opposés à la démarche qui les excluait des discussions pour former de nouvelles autorités. Ce qu'ils voulaient, c'était avoir des politiciens au sein du gouvernement qui fussent prêts non seulement à entamer des dialogues avec eux, mais à leur garantir une amnistie totale et l'impunité pour tous leurs crimes. Avec le changement d'administration qui devrait avoir lieu en février, les gangs vont vraisemblablement se préparer pour essayer de faire inclure des personnes ou des forces politiques prêtes à s'engager avec eux dans ces termes-là.
Est-ce que les gangs eux-mêmes auraient un intérêt, à plus ou moyen terme, à s'emparer eux-mêmes du pouvoir ?
Bien sûr, il y a des certains chefs de gangs qui ont eu par le passé et qui pourraient encore avoir des ambitions politiques, mais l'intérêt partagé de tous les chefs de gangs qui font partie de « Vivre ensemble », c'est d'éviter d'avoir à se confronter avec une force qui puisse les détruire, qui puisse être plus forte qu'eux-mêmes. Donc ce qu'ils cherchent, ce n'est pas à prendre le pouvoir. D'ailleurs, certains observateurs estiment que cette coalition ne montre pas toujours sa véritable force de frappe. S'ils ont pu forcer la démission du Premier ministre Ariel Henry, ils auraient pu paralyser encore une fois la capitale et forcer la démission de l'actuel gouvernement. Mais, ce qu'ils cherchent en ce moment, c'est de réussir à pénétrer l'administration et convaincre les gens qui sont au pouvoir d'engager des pourparlers avec eux et de cesser de les combattre.
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