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Casamance: la mévente de près de 7.000 tonnes de noix de cajou installe le malaise chez les traders

L’espoir qui s’était dessiné au démarrage de la campagne de commercialisation des noix de cajou, à la fin du mois d’avril, pour les ‘’traders’’ (les opérateurs locaux qui achètent et revendent sur place), est en train de s’envoler. Un espoir survenu après un démarrage très tardif à cause de la pandémie du coronavirus, en Casamance. Face à cette mévente, les traders sont inquiets. Pour cause, ils avaient contracté des prêts au niveau des banques pour acheter des milliers de tonnes de noix qu’ils espéraient revendre aux opérateurs indiens ou chinois en faisant des bénéfices substantiels. Hélas pour eux, pour cause de pandémie du coronavirus, près de 7.000 tonnes de noix sont encore stockées dans les différents entrepôts de la région et notamment à Ziguinchor attendant désespérément d’éventuels acheteurs qui se font toujours désirer.



Casamance: la mévente de près de 7.000 tonnes de noix de cajou installe le malaise chez les traders
Selon beaucoup de professionnels de la filière, trouver de gros acquéreurs en cette période de l’année sera extrêmement difficile, même s’il n’y avait pas eu la pandémie du coronavirus. Selon Siaka Diallo, le président du collectif des traders de Ziguinchor, au moins 7 000 tonnes de noix sont encore en souffrance dans leurs magasins. Une mévente qu’il lie à la non-venue de leurs partenaires indiens, chinois et vietnamiens qui ne se sont pas déplacés cette année, la période de commercialisation des noix ayant coïncidé avec le confinement dans leurs pays à cause de la pandémie sanitaire. ‘’Nous avons connu une campagne très particulière cette année. Jusqu’à présent, nous sommes à la recherche d’acheteurs, nous n’avons pas encore vendu nos noix à cause de la situation du coronavirus. Comme vous le savez, les opérateurs indiens, vietnamiens et chinois sont nos partenaires privilégiés. Hélas, ils se sont retrouvés bloqués dans leurs pays à un moment donné pour cause de confinement. Cette situation a aussi fait que leurs usines étaient totalement fermées. Cela a beaucoup affecté la campagne de cette année’’ explique notre interlocuteur.

Siaka Diallo relève également que les banques les ont financés tardivement et que cela a été un autre handicap pour eux, dans la mesure où à cette période les tarifs du kg de cajou étaient très élevés. ‘’Nous avons reçu les financements au mois de mai, c’est à dire en pleine campagne, c’était un moment où les prix de la noix étaient très élevés, les prix ne correspondaient pas à ceux du marché international, mais compte tenu des engagements que nous avions pris au niveau des banques, nous ne pouvions pas garder cet argent, il fallait impérativement acheter. Donc nous avons acheté nos noix à des prix un peu plus élevés que ceux du marché mondial de l’anacarde. Tous ces facteurs ont fait que nous rencontrons des problèmes dans la commercialisation. En faisant nos calculs, nous nous rendons compte que les prix qu’on nous propose ne font pas notre affaire car à ce tarif on ne pourra pas rembourser les banques’’ souligne-t-il.

À en croire le président des traders de Ziguinchor, les clients qui se présentent à eux leur proposent 1 100 dollars la tonne, alors que, pour s’en sortir, il leur faut, au minimum, vendre la tonne à 1 200 dollars. Il pense qu’à l’avenir, il va falloir que les règles du jeu soient clairement définies entre eux et les banques, pour que ces dernières libèrent les financements très tôt ou alors retiennent leur argent car il y a une période pour acheter les noix et une autre pour les vendre. Mais pour régler de façon définitive tous les problèmes que traverse actuellement la filière anacarde en Casamance, Siaka Diallo confie qu’il faut aller vers une transformation locale du produit. À son avis, cela mettra à l’abri tous les acteurs de la filière et créera une valeur ajoutée considérable pour la région.

Aller vers une transformation de la noix
‘’La seule solution durable aujourd’hui, c’est d’aller vers une transformation de la noix brute à partir du Sénégal. Je pense que le ministère de l’Industrie devait penser à accompagner rapidement les opérateurs de la filière pour mettre en place des usines de transformation qui permettront de mettre de la valeur ajoutée sur l’anacarde. Je pense que c’est cela la meilleure solution, transformer localement puis exporter parce qu’avec ça, nous serons plus avantagés que l’Inde et le Vietnam vu les coûts du transport entre le Sénégal et l’Europe et les Etats-Unis qui sont les principaux consommateurs du produit. Ceci est un avantage pour nous, parce que nous sommes plus proches des pays consommateurs que l’Inde et le Vietnam’’, ajoute Siaka Diallo soutenant que cette transformation sur place aura aussi pour effet de booster la production locale.

Selon lui, aujourd’hui au niveau international, on ne parle plus de noix brute, mais plutôt de noix ‘’Kermelle’’ (c’est à dire la noix transformée) et c’est le prix de cette noix transformée qui est côté à la bourse. Selon notre interlocuteur, les produits prioritaires que le Sénégal doit penser à transformer sont les mangues, les noix de cajou et les arachides si le gouvernement veut faire émerger l’économie agricole qui doit être la base de notre développement. À son avis, cela éviterait que les professionnels de ces secteurs continuent à évoluer dans l’incertitude et dans le stress. Boubacar Boiro, un autre trader, vit la même angoisse. Il attend toujours d’éventuels acheteurs pour pouvoir écouler ses 200 tonnes de noix stockées dans son entrepôt.

A l’en croire, de temps en temps, des clients se présentent depuis quelques jours mais les prix qu’ils proposent sont faibles. ‘’Quand ils viennent, ils proposent entre 500 et 550 francs le kg. Ce prix est faible. Vendre à ces prix mes noix serait une perte pour moi, et donc je ne pourrais pas rembourser le prêt que j’ai contractés à la banque’’ confie-t-il. D’après Boubacar Boiro, le danger pour eux, aujourd’hui, c’est que, dans deux mois, les traders seront dans la période de préparation de la prochaine campagne, alors que jusque-là ils peinent toujours à écouler les noix de la précédente. De l’avis de Birame Ndiaye, le responsable régional de l’Unacois/Jappo, une organisation nationale de commerçants, les conséquences de cette campagne sont énormes pour la région. Il note qu’à tous les niveaux, cette mauvaise campagne est en train d’être ressentie.

Impacts socio-économiques réels
‘’Les conséquences sont déjà là parce que les producteurs ont remis leurs productions aux commerçants et jusqu’à présent ils ne peuvent pas rentrer dans leurs fonds. Deuxièmement, l’Etat a mis beaucoup de milliards dans cette campagne par l’intermédiaire de la DER, la BNDE et la CNCAS, mais le produit est toujours là, il n’y a pas d’acheteurs. Certes c’est lié au coronavirus, les Indiens et les Chinois qui venaient acheter le produit se font rares, par conséquent les magasins sont toujours pleins de noix’’, note-t-il.

Selon lui, cette situation va causer la perte de valeur ajoutée dans la mesure où on risque de ne pas réaliser l’équivalent du chiffre d’affaires de l’année dernière qui était de 33 milliards de francs environ. ‘’Si je prends l’exemple de l’année dernière, on a produit presque 55 000 tonnes, c’est l’équivalent de 33 milliards de francs CFA qui ont été injectés dans la région naturelle de Casamance en six mois. Ce qui n’est pas le cas pour cette année-ci, donc les foyers des producteurs, les intermédiaires et les exportateurs ont ressenti cela, donc les conséquences économiques sont énormes’’, poursuit Birame Ndiaye soulignant que cela va accentuer une pauvreté qui était déjà perceptible au niveau de nombreuses familles de la région.

‘’La quasi-totalité des familles casamançaises, au niveau de la zone rurale, étaient déjà dans une pauvreté qui dépassait la moyenne nationale, et cette nouvelle donne va accentuer cette pauvreté. Donc, les conséquences de la mévente de la noix de cajou sont dramatiques parce que les pères de famille n’auront pas de quoi faire vivre leurs familles. Parce que la majeur partie de ces familles compte sur la filière anacarde et si la campagne est telle qu’elle est cette année, il y aura forcément des problèmes’’, souligne-t-il.

Comme Siaka Diallo, il pense que l’unique solution pour sauver cette filière, c’est de quitter la position de récolter et de vendre le produit brut et aller vers la transformation. Et selon lui, cela est de la responsabilité de l’Etat. Il dit trouver incompréhensible qu’un produit génère au moins 36 milliards de francs dans une zone et que l’Etat ne mette pas les moyens pour sa mise en valeur. Cela est un paradoxe quand on sait que ce gouvernement dit lutter contre la pauvreté, martèle le responsable de l’Unacois-Jappo. ‘’La manière la plus rapide de lutter contre cette pauvreté dans la zone sud, c’est de favoriser la filière anacarde ; chercher des pépinières, former les producteurs et surtout aider à l’implantation d’unités de transformation. Parce que si on n’arrive pas à ça, véritablement le résultat escompté pour cette filière ne sera jamais au rendez-vous’’, estime Birame Ndiaye selon qui il serait plus important de mettre les milliards.

Le Témoin


Mardi 3 Novembre 2020 - 12:06


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