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Exclusif: les dessous de l'accord entre Aqmi et les mouvements armés du Nord

Gao. Avril-mai 2012. Les cadres du MNLA et d’Ansar Dine se retrouvent dans la grande ville du nord du Mali pour engager des négociations. Leur but : allier ces deux mouvements qui défendent pourtant des objectifs radicalement opposés et organiser la gestion de l’Etat de l’Azawad. Le document, écrit par l’émir d’Aqmi Abdelmalek Droukdel, découvert à Tombouctou, permet de comprendre les coulisses de ces discussions qui n’ont finalement pas abouti et de découvrir l’influence du groupe terroriste dans le nord du Mali.



Exclusif: les dessous de l'accord entre Aqmi et les mouvements armés du Nord

« Nous tenons à exprimer notre désolation quant à l'échec de l'accord ». Ces propos prononcés par Abdelmalek Droukdel font référence au « protocole d'entente » signé le 26 mai 2012 à Gao par les leaders du Mouvement de libération de l'Azawad (MNLA) et d'Ansar Dine. Accord qui « explose» 24 heures plus tard en raison des dissensions au sein du MNLA et de la volonté des émirs d’Aqmi, notamment d’Abou Zeid à Tombouctou, d’imposer immédiatement la charia. Mais malgré cet échec, l’émir d’Aqmi va tout faire pour que son projet aboutisse.

A l’ouverture des discussions de Gao, le nord du Mali est occupé depuis cinq mois, l'armée malienne, impuissante, s'est retirée sur Mopti. Après la période des combats, s'engage la phase politique. Au sein des groupes du Nord, le mot indépendance est sur toutes les lèvres. Si le MNLA et Ansar Dine sont puissants militairement et communiquent à outrance, le leader d'Aqmi, Abdelmalek Droukdel et ses émirs dans la région, Abou Zeid, Mokthar Belmokhtar et Oumar Ould Hamaha travaillent dans l’ombre pour manipuler les groupes armés.

L’art de la manipulation

L'objectif du chef d’Aqmi est clair : son organisation doit décider, diriger mais ne jamais apparaître officiellement. Pour le mouvement terroriste, les rebelles maliens du MNLA qui se disent laïcs et ont des connexions dans le monde entier, doivent ainsi servir de façade, de vitrine. Dans le document découvert à Tombouctou par RFI et Libération, Droukdel s'interroge : « Quelle est la meilleure conception pour la formation du gouvernement, qui nous assure d'une part un Etat islamique sans qu'il soit étiqueté comme un gouvernement jihadiste ? »

Les discussions entre le MNLA et Ansar Dine débutent donc à Gao le 27 avril 2012. La pièce centrale du dispositif politique imaginé par Droukdel, c'est son allié dans la région, Iyad ag Ghali. Figure des rebellions du nord du Mali depuis les années 1990, ag Ghali a aidé le mouvement terroriste à prendre pied dans le massif de l’Adrar du Tigharghar au nord du Mali au début des années 2000. L'homme est respecté, puissant. Critiqué, rejeté par une frange du MNLA, ag Ghali nomme un émissaire pour négocier en son nom. Il choisi Alghabass ag Intalla, le fils du chef coutumier de Kidal. Au sein du Mouvement national de libération de l'Azawad, ils sont alors une poignée, pour des raisons familiales ou des questions de pouvoir, à vouloir un ralliement avec Ansar Dine, notamment le président Bilal ag Acherif et l'un des porte-parole du mouvement Hama ag Sid Ahmed.

Appliquer une législation islamique

Dès les premières discussions, la ligne dure souhaitée par Aqmi et défendue par Iyad ag Ghali apparaît. L'ensemble des articles qui sont écrits jour après jour s'articulent en effet autour de l'instauration de la charia même si le terme n'est jamais employé. Dans l'article 2 du protocole, il est indiqué : « Il faut appliquer la législation islamique basée sur le Coran et la Sunna ». L'article 9 est également très précis : « Tout désaccord avec l'un des principes fondamentaux de la religion abroge le présent accord ». Cette volonté de créer un émirat islamique dans l'Azawad est rejetée par la frange laïque du MNLA. « Nous savions que les populations pratiquaient, ou non, un islam tolérant, qu'il était impossible d'obliger les gens à vivre sous le régime de la charia », explique un cadre du MNLA.
 

Depuis son fief en Kabylie où il vit caché, Droukdel critique d’ailleurs les méthodes de ses combattants sur le terrain qui amputent ou flagellent les populations. Il appelle ses hommes à prendre le temps pour éduquer les habitants du nord du Mali aux principes de l’islam radical et conseille aux négociateurs qui sont à Gao de revoir leur position si le MNLA se braque : « Si l'application de la législation islamique est susceptible d'empêcher la signature de l'accord, il vaut mieux s'en séparer ». En fin stratège, Droukdel a déjà sa théorie pour soumettre dans le futur toutes les parties à ses idéaux. Il prévoit ainsi de mettre en place, après la signature du protocole, « un Haut Conseil islamique indépendant qui veille à protéger la charia et s'assurer qu'aucune violation n'en est faite à tous les niveaux de l'Etat ». Ce conseil religieux n’est évidemment jamais abordé lors des discussions avec les cadres du MNLA.

Armée du jihad

Le quatrième article de ce protocole d'accord a également provoqué un débat au sein du MNLA. Il porte sur la création d’une armée commune. Article 4 : « Les deux parties s'engagent pour la fusion de leurs forces respectives pour constituer une armée unifiée de l'Etat de l'Azawad ». « Ce qui nous posait problème, explique un cadre du MNLA, c'est que derrière cette fusion, on sentait que la priorité des leaders d'Ansar Dine, c'était de créer une armée pour défendre la cause d'Aqmi, à savoir mener le jihad, et non pour protéger nos populations et notre territoire.»

Depuis sa base algérienne, l’émir Droukdel dénonce une fois encore le manque de réflexion de ses éléments qui gèrent les discussions : « Est-ce que nous cherchons à ce que les membres du MNLA deviennent salafistes et jihadistes du jour au lendemain ? Cette idée est loin d'être réaliste et aura l'effet inverse sur eux, conduisant à leur éloignement. Les éléments du MNLA se sont ligués avec nous contre l'ennemi, que vouloir de plus ? »

Rassembler pour mieux diriger

A Gao, si les membres d’Ansar Dine négocient avec le MNLA, ils approchent dans le même temps les responsables de toutes les communautés, les leaders religieux, les grands commerçants, les responsables des différentes milices peul et songhaï. Ce n’est pas un hasard si, lorsqu'il écrit son texte en juillet 2012, Abdelmalek Droukdel sait qu’il doit chercher du soutien dans toutes les composantes de la zone en cas d’intervention militaire internationale : « L'ennemi aura plus de difficulté à recourir à cette intervention tant que le gouvernement comprend la majorité de la population de l'Azawad avec toutes ces composantes, ses mouvements et ses tribus et non un gouvernement d'al-Qaïda ou de tendance salafiste ».

Le rôle d’Abdelkrim le Touareg

Aujourd'hui, ces écrits de Droukdel agacent les anciens cadres d'Ansar Dine, désormais à la tête d'un nouveau mouvement touareg, le HCUA, le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad. « Il n'y avait aucun lien entre Iyad ag Ghali et Aqmi, nous n'avions pas les mêmes objectifs », s'énerve l'un d'eux. « Iyad c'est Iyad, Droukdel c'est Droukdel, je suis certain que ce document est un faux », ajoute un autre.

Pourtant, tous les éléments décrits avec précision par le numéro un d'Aqmi ne laissent aucun doute. « Droukdel avait des émissaires chargés de lui faire remonter des informations », affirme un responsable du MNLA présent à Gao. Il poursuit : « Abdelkrim le Touareg était en ville, il a participé à certaines discussions. Et même si c'est un taiseux, il était très attentif ». Abdelkrim le Touareg ou encore Abdelkrim Taleb, ou Targui, autant de surnoms pour cet émir d'Aqmi, Hamada ag Hama à l'état civil, Touareg natif de Kidal.

A la tête de sa brigade Al Ansar, il est responsable, entre autres, de l'enlèvement des Français Philippe Verdon, Serge Lazarevic et Michel Germaneau. « Abdelkrim a joué un rôle important dans les négociations », explique un expert de la zone. « C'est un cousin d'Iyad ag Ghali, on sait qu'il a tenté d'approcher directement les cadres du MNLA mais l'opération séduction a échoué ». Un journaliste de Gao raconte : « Iyad et Abdelkrim étaient toujours ensemble durant la période des discussions. Les négociations se tenaient à l'assemblée régionale mais dès qu'il y avait un problème, tout le monde se rendait dans le QG d'Iyad qui vivait dans la maison d'un notable. Et à chaque fois, Abdelkrim participait aux réunions ». Un combattant touareg, un temps membre d’Ansar Dine qui est ensuite passé au MNLA, est lui aussi formel : « Il avait l'étiquette Ansar Dine mais Abdelkrim travaillait directement pour Aqmi, il a été de toutes les stratégies pour que les idées de Droukdel se retrouvent dans l'accord ».

Le gouvernement Droukdel

Gao, fin mai 2012. Le protocole d'entente est, malgré toutes les difficultés, quasiment terminé. Les dix points, très condensés, tiennent sur deux pages. Mais Droukdel et ses hommes voient déjà plus loin. Des cadres du MNLA travaillent depuis des semaines sur un second document, de vingt pages cette fois. Son nom : Cadre institutionnel provisoire des instances de l'Etat islamique de l'Azawad.

Ce document, très complet, prévoit et décrit, article par article, l'organisation de l'Etat islamique prévu dans le protocole d'accord, notamment le nombre de ministres, leurs fonctions. Il est précisé que le CTEIA, le Conseil transitoire de l'Etat islamique de l'Azawad, comprendra quarante membres : vingt désignés par le MNLA, vingt désignés par Ansar Dine. Droukdel connaît l'existence de ce document. Et si aucun nom n'est inscrit au moment des discussions, l'émir d'Aqmi a déjà tout prévu. Il écrit dans son long rapport : « Il conviendrait de confier la présidence au Cheick Abou Al-Fadl car il est un symbole ». Al Fadl est le nom de guerre d'Iyad ag Ghali. Droukdel prévoit aussi une répartition des postes du futur gouvernement entre le MNLA et Ansardine qu'il assimile ici à Aqmi : « Les ministères que nous devons garder pour nous concernent l'Armée, les Médias, la Justice, la Prédication et les affaires islamiques. Les ministères qui peuvent être laissés au MNLA sont les Affaires étrangères, les Finances, les Travaux publics ».

26 mai 2012

Alghabass ag Intalla signe le protocole d'entente au nom d'Iyad ag Ghali. Bilal ag Achérif au nom du MNLA. Le lendemain, des cadres du MNLA s'opposent et rejettent le texte. « On a mis du temps à comprendre le rôle central d'Aqmi dans toutes ces négociations. Si on avait accepté et participé à son application, l'Azawad serait devenu l'émirat d'Aqmi en Afrique sub-saharienne», analyse un doyen des rébellions. La rupture est alors consommée. Quelques semaines plus tard, mi-juin, après des combats très durs, le MNLA est chassé de Gao mais aussi de Tombouctou par les combattants du Mujao et d'Aqmi. Le groupe terroriste d’Abdelmalek Droukdel sort de l’ombre et prend officiellement le contrôle du territoire de l'Azawad. L’occupation, très dure pour la population, prend fin au moment de l'intervention militaire française en janvier 2013.


Rfi.fr

Lundi 7 Octobre 2013 - 10:45


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