Les deux candidates en lice se livrent un subtil combat à fleuret moucheté, avec pour armes rumeurs, tweets vengeurs et articles plus ou moins partisans dans la presse. Une information a circulé récemment sur la Toile annonçant l’entrée en scène d’un troisième candidat, qui, si cela devait s’avérer, serait susceptible de bouleverser la donne, actuellement à l’avantage de la candidate de Kigali, soutenue par l’Afrique et… la France.
Avantage Mushikiwabo
Avec l’Afrique représentant le bloc majoritaire au sein de l’OIF forte de 58 pays - sans compter la vingtaine de pays observateurs sans droit de vote -, il est en effet inimaginable qu’une future secrétaire générale puisse être nommée sans qu’elle soit adoubée par la majorité des Etats africains. C’est d’autant moins imaginable que l’essentiel des actions menées par l’OIF ont pour terrain l’Afrique qui, selon les statistiques de l’organisation francophone elle-même, représentera d’ici à 2050, 85% des francophones.
C’est aussi l’argument avancé par la France pour justifier son soutien ostensible à la candidature rwandaise à la direction de la Francophonie. Rappelant que le centre de gravité de la Francophonie se situait désormais en Afrique, quelque part du côté du bassin du Congo, le président français Emmanuel Macron a déclaré en mai dernier, en recevant à l’Elysée son homologue rwandais Paul Kagame, que dans le contexte actuel « une candidature africaine au poste de secrétaire générale de la Francophonie (…) aurait beaucoup de sens » et qu’il soutiendrait la candidature de Louise Mushikiwabo qui a, a-t-il affirmé, « toutes les compétences pour exercer cette fonction ».
Pour nombre d’observateurs, le soutien français à la candidature rwandaise ne va pas de soi et cache des calculs géopolitiques et économiques qui ne disent pas leur nom. Selon l’entourage de l’actuelle secrétaire générale, candidate à sa propre succession, loin d’être une démarche spontanée, la candidature rwandaise aurait été suscitée par la France, qui serait prête à « passer par pertes et profits la Francophonie pour se réconcilier avec le Rwanda ». Les autorités rwandaises accusent le gouvernement français d’avoir pour le moins fermé les yeux pendant le génocide rwandais, laissant les Hutu perpétrer leurs violences macabres sur les populations tutsi. Ces soupçons empoisonnent les relations entre les deux pays depuis vingt-quatre ans.
Pour Jocelyn Coulon, rattaché au Centre de recherches et d’études en politique internationale de l’université de Montréal, en se rapprochant de Kigali, la France espère revenir dans la région anglophone des Grands Lacs où le Rwanda pèse de plus en plus. Sur les antennes de Radio-Canada, l’universitaire a attiré l’attention sur l’habileté avec laquelle l’Elysée a réussi à cacher les visées françaises derrière son souci de favoriser « l’ambition africaine de récupérer la direction d’une grande organisation internationale qui leur a échappée en 2014 faute de consensus ». « La France a une stratégie très huilée », a-t-il ajouté
Forces et faiblesses de la candidature canadienne
La sophistication de la stratégie élyséenne n’a pas échappé au camp d'en face. « La première manche semble avoir été gagnée par Louise Mushikiwabo et ses alliés, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot », prévient Bertin Leblanc, porte-parole de la secrétaire générale de la Francophonie, Michaëlle Jean.
Or à trois mois de l’échéance électorale, il est difficile d’imaginer comment celle-ci pourrait passer outre les obstacles quasi insurmontables sur son chemin que sont la mobilisation des Africains pour une candidature africaine et le soutien à cette candidature de la France, premier bailleur de fonds de la Francophonie. Selon une règle non écrite, le poste de secrétaire général de l’organisation francophone revient depuis sa création en 1997 aux pays du bloc Sud de l’OIF. En 2014, lors du sommet de Dakar, c’est le prédécesseur de l’actuel locataire du palais de l’Elysée, François Hollande, qui avait imposé la candidature canadienne à ses pairs, faute d’un consensus parmi les pays d’Afrique sur le choix d’un secrétaire général issu de leurs rangs.
Changement de donne avec l'arrivée d'un nouveau président français en mai 2017. Malgré un premier rendez-vous réussi en juillet avec échange d'amabilités et de numéros de portables, apparemment le courant ne passe pas entre le président Macron et Michaëlle Jean.Ils professent surtout deux visions très différentes de la Francophonie. Plutôt sceptique sur l’efficacité de l’action de l'organisation francophone, le nouveau locataire de l'Elysée estime que celle-ci a chargé la barque en politisant son mandat pour s'occuper des questions de démocratie, d'Etat de droit et de défense des droits de la personne. Emmanuel Macron a appelé à un resserrement des missions de l'OIF sur ses objectifs fondamentaux de langue, éducation et culture. Le soutien affiché par le dirigeant français à la ministre rwandaise, après avoir un temps promu la candidature de l’un de ses proches, Lionel Zinsou, l’ancien Premier ministre du Bénin, s’inscrit dans cette volonté de la France de reformater la Francophonie.
Dans une lettre ouverte publiée au Canada et intitulée « Pourquoi je veux continuer de diriger la Francophonie », Michaëlle Jean est revenue sur l’ardeur avec laquelle l’OIF a défendu sous sa direction les valeurs universelles de « multilinguisme », « diversité des expressions culturelles des peuples » et « l’humanisme intégral », dans les tribunes de l’ONU, de l’Unesco et de l’OCDE. De l’aveu des diplomates qui siègent dans ces enceintes, une des principales victoires de la secrétaire générale de l’OIF a été d’avoir imposé le français dans ces tribunes où l’unilinguisme anglophone était devenu la règle. « Un second mandat serait normal pour pérenniser les chantiers ouverts au cours des dernières années et pour les faire aboutir », a-t-elle déclaré lors de récent passage au Canada.
« En conformité avec la tradition de l’OIF, langue et valeur ont été les deux grands axes de l’action de Mme Jean », insiste son porte-parole Bertin Leblanc, suggérant avec une étincelle de malice au coin de l'oeil que tel ne sera peut-être pas le cas si la candidate rwandaise s’imposait à Erevan. Lors de l’adoubement par la France de la candidature de Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF, les médias s’étaient en effet étonnés de ce choix, rappelant que le Rwanda où celle-ci officie depuis dix ans en tant que ministre influente des Affaires étrangères, le français a été banni des écoles et des tribunaux aux profits de l’anglais et du kinyarwanda. D’ailleurs, les dernières communications officielles adressées par le Rwanda à l’OIF dont Kigali est l’un des pays fondateurs, ont été écrites en anglais.
La candidature rwandaise pose aussi un problème de démocratie. Récemment, l’organisation Reporters san
s frontières (RSF) a publié un communiqué rappelant que le régime rwandais n’était pas particulièrement tendre avec les médias. Il pratique « censure, menaces, arrestations, violences, assassinats » contre les journalistes qui osent dénoncer l’autoritarisme de ses dirigeants, notamment celui de son chef Paul Kagame, aux commandes du pays depuis 2003 et qui a manipulé la Constitution se donnant la possibilité de rester potentiellement au pouvoir jusqu’en 2034. « Comment l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) va-t-elle pouvoir favoriser le pluralisme des médias et la liberté de la presse conformément à ses objectifs en matière de droits de l’Homme, si elle est dirigée par l’une des principales dirigeantes d’un Etat qui piétine le droit à l’information et réprime les journalistes depuis 18 ans », s’interroge le communiqué de RSF.
-
Guinée: la coalition d'opposition ANAD presse la junte au pouvoir d'organiser des élections
-
Côte d'Ivoire: coup d'envoi de deux semaines d'hommage à l'ancien président Henri Konan Bedié
-
Tchad: Mahamat Idriss Déby annonce que le prochain gouvernement ne sera pas d’union nationale
-
Guinée: le porte-parole des sinistrés de l'explosion du dépôt de carburant condamné à 3 mois de prison avec sursis
-
Niger: la Banque mondiale annonce reprendre les décaissements suspendus après le putsch de juillet