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Libye: «Encourager toutes les parties à négocier politiquement»

Au seuil d'une nouvelle année de guerre entre milices rivales en Libye, plongée dans le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi, une intervention contre les jihadistes est-elle possible ? Hasni Abidi, politologue, spécialiste du monde arabe et de la Libye en particulier, et qui dirige un centre de recherche à Genève, est l'auteur du livre «Où va le monde arabe, les enjeux de la transition», aux éditions Erick Bronnier.



Trois réservoirs de pétrole en feu dans un terminal de l'est de la Libye, le 25 décembre 2014. REUTERS/Stringer
Trois réservoirs de pétrole en feu dans un terminal de l'est de la Libye, le 25 décembre 2014. REUTERS/Stringer

Hasni Abidi Le dialogue non seulement est possible, mais aujourd’hui est devenu indispensable. Les forces en présence, notamment à Tripoli et aux alentours, d’abord sur le plan militaire ont une force non négligeable et deuxièmement le dernier avis de la Cour constitutionnelle considère que leur Parlement, et donc le gouvernement issu de ce Parlement, est illégitime. Ils ont à la fois une force institutionnelle juridique, avec ce qu’on a comme droit en Libye, mais aussi une force militaire importante, sous le couvert bien entendu de la légitimité révolutionnaire. On ne peut qu'encourager toutes les parties, pas seulement les deux parties, à négocier politiquement.

L'ONU annonce d’ailleurs une nouvelle réunion entre les parties en conflit lundi 5 janvier, savez-vous qui doit y participer et de quoi on va y parler précisément, si cela a lieu ?

Au-delà de duels, il y avait quelques difficultés entre l’émissaire des Nations unies, monsieur Bernardino Leon, et le gouvernent qui s’est exilé à l’est, à l’extrême est de la Libye. L’envoyé spécial des Nations unies veut un dialogue sans condition préalable et avec toutes les parties, c'est-à-dire les Frères musulmans, mais aussi d’autres mouvements politiques qui ont des liens idéologiques ou des liens de proximité avec Farj Libya, appelé aujourd’hui «Les forces de l’aube», qui contrôle Tripoli, d’obédience islamiste.

En revanche les forces de monsieur Kalhifa Haftar qui a organisé ce putsch en Libye, qui est derrière cette opération militaire à l’est, ne veulent pas de la présence de ces forces politiques. Mais disons que la tentative de Bernardino Leon est considérée comme la dernière chance et opportunité politique et a le soutien bien sûr de l’Europe et aussi des Nations unies.

Il évoque même la perspective d'un gouvernement d'union nationale, y croyez-vous ?

Dans la feuille de route, ou disons, dans le menu de monsieur Leon, il y a un plan. Ce plan-là d’abord, un gouvernement d’Union nationale, c'est-à-dire composé des deux parties en guerre, en conflit, les partis politiques, mais ayant aussi des moyens militaires considérables. Ce qui est intéressant, c’est que le Conseil de sécurité au mois de novembre, soutenu par l’Union européenne, menace de sanctions importantes qui peuvent aller jusqu’à la Cour pénale internationale, toutes les parties politiques ou militaires qui s’opposent à un règlement politique. C’est la seule arme aujourd’hui importante et nouvelle dans la recherche d’une sortie de crise en Libye.

Justement, on s’inquiète à l’étranger, le président nigérien, l’un des pays voisins, demande une intervention internationale, il la juge indispensable, est-ce la solution pour endiguer la vague islamiste ?

Le problème c’est que ceux qui appellent à une intervention militaire sont ceux qui n’ont pas les moyens ou ne peuvent pas seuls faire cette opération militaire et assurer son succès. En revanche, ceux qui ont des moyens importants et une capacité d’influence sur toutes les parties, je parle bien sûr de l’Algérie et de l’Egypte, ne sont pas d’accord sur l’intervention militaire. Parce qu’une intervention dans l’est, l’extrême est et surtout dans ce que l’on appelle le foyer de l’Etat islamique va avoir des conséquences militaires.

Toute conséquence militaire en Libye va être perçue par les Frères musulmans, par les islamistes, par ceux qui contrôlent Tripoli et Misrata comme une prise de position de l’Occident, de la communauté internationale en faveur d’une partie, contre les islamistes et contre le Parlement, en tout cas issu, de cette mouvance. Donc ça va compliquer la situation.

Donc pour les Egyptiens ce serait trop dangereux ?

Le général Sissi est favorable à une intervention militaire, mais il veut plutôt une intervention pour sécuriser les frontières, il veut une intervention bien ciblée et surtout pour dire que l’Egypte est revenue à un rôle important. Donc vous avez des agendas différents, les pays du Sahel, je parle du Tchad, du Niger, etc., ils savent très bien que ces frontières libyennes sont devenues une véritable poudrière et ils appellent à un soutien militaire français. Mais Alger, qui est à mon avis une pièce maitresse, ne veut pas d’intervention militaire, il soutient plutôt les efforts des Nations unies.

La France veut s'impliquer, on l’a vu avec Jean-Yves le Drian, le ministre de la Défense, qui était tout près de la frontière libyenne très récemment, et qui a dit toute son inquiétude lors de ce déplacement. Est ce que la France a des choses à se faire pardonner après l’intervention militaire de 2011 ?

On ne se fait pas pardonner une opération militaire mal accompagnée par une autre opération militaire. C’est vrai que la déclaration du ministre français de la Défense est intéressante et notamment, elle a été prononcée pas loin d’une base militaire en construction, une base française, et qui n’est pas très loin du territoire libyen. Ce qui montre que la France est prête pour une intervention militaire, mais qu’elle ne veut pas la faire seule et ne veut surtout pas que cette intervention militaire soit déclenchée sans une couverture onusienne ou même des pays de la région.

Parce que beaucoup de gens disent que la précédente intervention a posé beaucoup de problèmes dans la région, elle a fait éclater cette région avec des jihadistes qui se sont un peu éparpillés dans d’autres pays voisins ?

Oui, surtout les dirigeants africains ne cessent de dire aux Français : vous êtes entre autres responsables de la situation actuelle dans la mesure où vous avez travaillé, œuvré, pour la chute du régime libyen, mais sans réfléchir à une alternative capable d’assurer la sécurité et la stabilité à la suite du régime de Mouammar Kadhafi. Maintenant je crois qu’il est très important de réfléchir sur une autre alternative ou sur une autre approche, mais qui ne favoriserait pas la simple intervention militaire parce que faire la guerre c’est facile, mais gérer les conséquences de la guerre sur les biens est une autre affaire. Regardez aujourd’hui, la Libye n’a jamais connu des réfugiés internes, des déplacés internes ce qui est très inquiétant.

Oui et d’ailleurs cette situation en Libye qui pousse beaucoup de personnes à émigrer, on en a vu les conséquences ces derniers jours, au large de l'Italie...

Absolument, sans oublier que dans cette région, le gouvernement de monsieur Kadhafi, comme de monsieur Ben Ali, jouaient les véritables gendarmes pour des raisons connues, c’est-à-dire qu’il voulait être très bien vu par l’Occident et assurer un petit peu ce rôle. Une fois que ces régimes sécuritaires sont tombés, évidemment il n’y avait plus de gendarmes, il n’y avait plus d’autorité capable d’endiguer ce problème. Mais la tentation d’immigrer a toujours existé.

Il y a cette question du pétrole avec les islamistes qui multiplient les attaques contre les terminaux pétroliers. Cela peut-il avoir des conséquences sur le marché, au niveau mondial ?

D’abord, il y a une conséquence immédiate sur le marché libyen. Aujourd’hui, la situation économique est catastrophique, on a même des soucis pour les budgets, pour les salaires des Libyens et les fonds de roulement. Sur le pétrole, il y a des conséquences importantes, la Libye se serre depuis la chute de Kadhafi, elle n’a jamais réussi à atteindre le même seuil de haut niveau de production de pétrole. Mais si la situation continue, l’insécurité continue autour des terminaux pétroliers, oui la Libye pourrait être considérée comme un problème pour l’exportation mondiale de pétrole.


Rfi.fr

Dimanche 4 Janvier 2015 - 14:09


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