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Lutte contre le Covid-19: Des spécialistes expliquent et jugent la stratégie de l’immunité collective proposée par le Dr Thior



Il s’est fait un nom ces temps avec sa sortie médiatique à l’origine de plusieurs polémiques. Dr Pape Moussa Thior, expert en santé publique et ancien directeur du programme de lutte contre le paludisme  a fait des déclarations qui vont aux antipodes des acteurs qui luttent contre le Coronavirus au Sénégal. Il juge important de laisser le virus du covid19 circuler au Sénégal, une stratégie, qui, selon lui permet de vaincre la pandémie avec la création d’une immunité collective.

« Cette immunité collective est très intéressante dans un contexte comme le nôtre, avec une population très jeune. En transmettant le virus à d'autres membres du groupe à faible risque qui génèrent ensuite des anticorps, ils bloquent le réseau de voies vers le groupe le plus vulnérable, mettant ainsi fin à la menace. Donc, que le virus circule dans la communauté n'est pas forcément une mauvaise chose, du fait de l'immunité de groupe que cela génère », avait-il proposé dans un entretien avec "L’Observateur" la semaine dernière.

Mamadou Aicha Ndiaye, journaliste et chercheur à l’Université Laval – Canada, n’a pas mis du temps à répondre à M. Thior. Dans une contribution transmise à PressAfrik, il s’est interrogé sur cette sortie. « Les déclarations de Moussa sont-elles fondées? En tout cas, j’ai essayé d’analyser son point de vue. Comment imaginer un différent  scénario, contraire au confinement recommandé. Pour lui, fallait-il qu’on laisse tout le monde circuler, éternuer partout, serrer la main à toute rencontre, faire des accolades et ne pas rester à la maison ? Moussa Thior devrait encore nous convaincre par une approche scientifiquement démontrée, en sa qualité d’expert en santé publique pour ne pas tomber dans l’aberration ».

Pour mieux cerner cette question, PressAfrik a jugé nécessaire de demander l’avis des agents qui s’y connaissent dans le domaine et qui ont expliqué comment une telle stratégie pourrait être dangereuse pour le Sénégal. Dr Ramata Sakhanokho, travaillant aux urgences et soins intensifs dans un hôpital à Mississippi, au Sud des Etats-Unis pose son premier regard sur l’immunité collective.

Qu’est-ce que l’immunité collective ?

« Ceux qui plaident pour le non-confinement croient généralement que l'immunité collective est la solution pour éradiquer ou au moins contrôler la propagation du coronavirus. L'immunité collective est par définition la résistance à la propagation d'une maladie contagieuse au sein d'une population qui survient si une proportion suffisamment élevée d'individus est immunisée contre la maladie, soit par la vaccination ou soit par une immunisation naturelle généralisée », a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté qu’ « en raison du manque de vaccin et d'une compréhension approfondie de cette maladie, l'immunité collective n'a pas de sens, car nous ne savons même pas si l'on peut devenir immunisé contre ce virus à ce stade. Cette maladie est-elle immunisante ? Que dire d'une réinfection potentielle ? Les quelques exemples rapportés à travers le monde sont-ils dus aux tests défectueux ? Ou bien le virus est-il capable de réinfecter une personne déjà guérie ? », se demande-t-elle.

Poursuivant dans son analyse, Ramata a évoqué le caractère mortel du virus, capable d’empoter n’importe qui. « Les événements récents ont montré que ce virus peut tuer n'importe qui, y compris les jeunes. C’est vrai que le Sénégal a une population relativement très jeune, cependant, en raison du manque de soins médicaux de routine, on ne peut pas être sûr que tous ces jeunes sont en bonne santé. Le diabète et l’’hypertension, par exemple, n’épargnent pas les jeunes. C'est un risque à assumer car il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas sur ce virus ».

L’échec de l’immunité collective dans certains pays

Des pays comme l’Angleterre ou la Suède ont eu à adopter l’immunité collective pour faire face à la propagation de la pandémie. Pourtant mieux outillés que le Sénégal en termes de santé, ils ont très tôt revu cette stratégie, après avoir commencé à payer un  lourd tribut en termes de décès (plus de 32 000 décès en Grande Bretagne). Partant de ces échecs, elle s’est interrogée sur plusieurs questions dans le contexte sénégalais.

« La Suède (près de 3000 morts) a dû payer un prix élevé pour ses stratégies en raison du taux de mortalité plus élevé que ses pays voisins comme le Danemark (un peu plus de 500 morts) et la Norvège. De plus, la Suède a un meilleur système de santé que le Sénégal. Le système de santé du Sénégal n'est pas équipé pour faire face à une éventuelle flambée de cette maladie en raison du manque d'infrastructures médicales, en particulier dans les zones plus isolées ou rurales du pays. Le Sénégal est-il prêt à accepter un taux de mortalité potentiellement élevé pour peut-être (ce qui n'est même pas certain) contrôler cette maladie ? Le Sénégal est-il prêt à sacrifier ses vielles personnes dont le système immunitaire est plus moins compromis pour le « bien commun » ? Que dire de l'éthique morale qui accompagne une telle décision ? », a-t-elle posé.

  Laisser le virus circuler, une idée scientifique émise parmi les moyens de lutte 

L’idée de l’expert en santé publique, Dr Pape Moussa Thior, de laisser le virus circuler pour accroître les systèmes d'immunité chez l'homme n’est pas nouvelle si l’on en croit à Dr Ly, médecin en spécialisation à Dakar. Selon lui, « c’est une idée scientifique qui a toujours été émise parmi les moyens de lutte en cas d’épidémie ou de pandémie ».

« Pour certains virus qui sont dans certaines maladies virales qui sont immunogènes, il y a des maladies quand tu es infecté par le virus, l’organisme va lutter avec le virus, s'il gagne la bataille, il développe des anticorps qu’il va garder en mémoire. Et ces anticorps gardés en mémoire, vont rester dans l’organisme et aux prochaines infections avec ce même type de virus, l’organisme va réagir vite et neutraliser le virus. On parle alors d’immunité par rapport à ce virus ». 

Mais, pour ce coronavirus, Dr Ly de renseigner qu’il n’a pas encore été prouvé qu’il y a une immunité. Donnant l’exemple d’une immunité au virus à rougeole, le médecin déclare que : « Si quelqu’un a une fois eu la rougeole dans sa vie, il a une immunité après avoir été rétabli et que son organisme fabrique des anticorps pour le protéger et créer des anticorps mémoires. Et, prochainement, s'il a une infection virale à rougeole, l’organisme va réagir par le biais de ses anticorps mémoires ». 

Par rapport au virus corona, Dr Ly se veut clair. Pour lui, laisser les gens rester en contact avec le coronavirus, ne veut pas dire qu’ils aient la garantie de l’immunité à ce virus. « On est infecté en premier temps, quand on est immunogène compétent, on peut lutter avec ce virus. Mais on n’a pas une garantie de l’immunité de notre organisme », précise-t-il. Parce que souligne-t-il, « ce n’est pas encore prouvé que l’organisme va fabriquer des anticorps mémoires qui puissent, à une prochaine infection à coronavirus, tuer le virus ». 
 Le danger dans cette recherche d’immunité collective

Rechercher une immunité collective n’est pas sans conséquence, de l’avis du Dr Ly qui constate une réactivation du virus corona chez certains patients. « Malheureusement, ce qui est constaté, c’est qu’il y a des patients qui sont infectés une fois, deux fois. Et, le danger dans cette recherche d’immunité collective, c’est qu’une fois les sujets laissés rentrent en contact, l’infection sévit au niveau de la population. Les sujets âgés, les personnes présentant des pathologies tels que le diabète, l’hypertension artérielle, certaines maladies de cardiopathie, pulmonaire, ect., sont non seulement vulnérables, mais on a vu des jeunes de moins de 50 ans qui sont parfois des médecins et qui sont parfois décédés à l’infection au coronavirus », soutient Dr Ly. 

Par conséquent, il dit ne pas être en phase avec le Dr Pape Moussa Thior par rapport à cette recherche d’une immunité collective. « Ce n’est pas fiable et ce n’est même pas sûr de laisser les populations se mélanger entre-elles pour qu’elles soient infectées dans une quête d’une immunité collective, ce n’est pas prudent », avance-t-il. 

Et de conclure sur le mécanisme d’action des vaccins. « C'est le fait d'introduire dans l’organisme un virus qui est atténué dont on diminue sa virulence, et ce virus, il va créer une réaction anticorps-antigènes qui va favoriser la fabrication et le stockage d’anticorps mémoires qui, une fois qu’il y a une nouvelle infection avec le même virus, l’organisme va réagir ».  

Salif Sakhanokho et Aminata Diouf

Mardi 5 Mai 2020 - 16:36


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