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Malgré le déconfinement, la justice en France tourne au ralenti

Plus de trois semaines après le déconfinement, les affaires non jugées en France continuent de s’accumuler. La priorité est désormais de désencombrer les tribunaux, au risque de "déshumaniser" la justice.



Malgré le déconfinement, la justice en France tourne au ralenti
"Mon avocate vient de m’apprendre qu’on ne passera pas devant le juge des affaires familiales avant octobre". Contactée par France 24, Laura*, 30 ans, ne décolère pas. Cette mère, qui accuse son ex-compagnon de violences, misait beaucoup sur son rendez-vous au tribunal d’instance d’Agen, initialement prévu pour le mois de juin. Mais le confinement ayant paralysé l’activité judiciaire en France, son audience a été une nouvelle fois reportée.
 
Pourtant, le ministère de la Justice avait annoncé début mai donner la priorité aux contentieux urgents, telles que les violences intrafamiliales, après le confinement.
 
"Au départ il y a eu la grève des avocats, puis début mars, c’est le père de mon fils qui ne s’est pas présenté et maintenant le coronavirus", regrette Laura. Résultat, cela fait presque un an - depuis le dépôt de son dossier - que cette mère attend de pouvoir plaider devant un juge la garde exclusive de son fils de 5 ans, avec des visites encadrées par un travailleur social pour le père de l’enfant. Une année durant laquelle, le cœur lourd, elle est contrainte, en vertu de la loi, de confier son fils un week-end sur deux à son ex-compagnon violent.
 
"Il avait bu et il venait de la battre alors qu’elle était enceinte"
 
"Mon fils n’a pas sa place là-bas", insiste Laura. "La nouvelle compagne du père de mon fils m’a appelée en détresse début avril. Il avait bu et il venait de la battre alors qu’elle était enceinte. Elle a fait venir la police, il a fait de la garde à vue et elle a été relogée quelques semaines par le 115, avant de revenir à la maison".
 
"Mon fils n’a pas sa place là-bas, je ne veux pas qu’il assiste à ce climat de violences. Il rentre lessivé après chaque visite à son père", raconte cette mère, déterminée à mettre son enfant à l’abri le plus vite possible. L’avocate de Laura a donc demandé un référé au juge des affaires familiales pour que l’affaire soit jugée en urgence. La jeune femme attend une réponse.
 
"Les passages devant le juge des affaires familiales sont les plus compliqués à organiser actuellement", explique à France 24, Katia Dubreuil, la présidente du Syndicat de la magistrature qui a fait part de ses difficultés à la Chancellerie.
 
"Pendant le confinement, certaines procédures pouvaient être traitées à l’écrit, mais ça n’est pas le cas des affaires familiales qui nécessitent que le juge entende les parents et les enfants en personne, quand ces derniers sont concernés". Or les locaux des bureaux des juges aux affaires familiales ne permettent pas toujours de recevoir dans le respect des nouvelles règles de distanciations sociales. "Et pourtant c’est une priorité", regrette le syndicat, qui dénonce depuis des années le manque de moyen permanent de la justice.
 
Le respect des gestes barrières ralentit les tribunaux
 
Les palais de justice français, qui ont rouvert leurs portes au public le 11 mai, sont soumis comme partout à d'importantes contraintes sanitaires : entrées filtrées, sièges condamnés, gel en quantité, aménagements des bureaux recevant du public. Or, les tribunaux ne sont pas tous logés à la même enseigne. "Il y a des limites inhérentes aux locaux", estime Katia Dubreuil.
 
L’adaptation est plus facile au TGI de Paris, un tribunal tout neuf de 120 000 mètres carrés, que dans l'enceinte exiguë du TGI de Bobigny en Seine-Saint-Denis, où la place manque même en temps normal. Autre exemple, à Lons-le-Saunier, dans le Jura, la bibliothèque a dû être réquisitionnée pour faire office de bureau du juge, tandis qu’à Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône, la salle d'attente trop exiguë du juge des enfants a été condamnée.
 
"Le respect des gestes barrières étire automatiquement le temps", souligne la présidente du tribunal de Marseille, Isabelle Gorce. Conséquence, sur les bureaux des magistrats, les dossiers s’accumulent et les retards explosent. À Marseille, où "500 requêtes en divorce attendent d'être traitées", seuls "dix couples" seront convoqués par audience, à des horaires échelonnés.
 
À Paris, 450 audiences annulées par semaine
 
D’autres juridictions ont fait le calcul. Partout les retards s’accumulent : au tribunal d’instance d’Evry (Essone), en deux mois de confinement, 1 500 dossiers relevant des affaires familiales, 800 de la correctionnelle et 6 pour les assises n’ont pas pu être traités, rapportait Francetvinfo début mai. À Versailles, où 2 000 dossiers ont été reportés, un retour à "des délais de traitement raisonnables" est espéré pour septembre. À Paris, 4 000 audiences ont été annulées, soit 450 par semaine depuis le 16 mars, les audiences pourraient s’étaler jusqu’en 2021 et 2022.
 
Autre motif de ralentissement : pendant plusieurs semaines les greffiers n’ont pas pu notifier les décisions des magistrats, faute d'accès aux outils informatiques. Dans certains cas, ils vont devoir refaire citer les personnes convoquées pendant le confinement. Pour les épauler, un renfort temporaire de 1 000 vacataires a été annoncé.
 
C'est "nécessaire mais pas suffisant", juge Katia Dubreuil. "À l'heure où on nous parle de révolution numérique, nous en sommes bien loin, nous manquons d'outils de base, tels que de simples ordinateurs", estime-t-elle. 
 
À la recherche de solutions alternatives
 
Face à l’engorgement de la machine judiciaire, le ministère de la Justice cherche des alternatives. Dans une note diffusée début mai, il encourage à réorienter les procédures pour les délits les moins graves, afin d’alléger le planning des audiences. Il incite également au recours accru à la visioconférence et aux procédures civiles sans audience, par échange de dossiers.
 
À Paris, le procureur Rémy Heitz entend ainsi classer sans suite un tiers des 4 000 dossiers en correctionnelle "annulés" pendant le confinement et envisage des alternatives au procès pour un autre tiers.
 
Autre annonce : le recours à des cours criminelles, sans jury populaire, jusqu’ici en phase de test, pourrait être étendue au tiers du territoire, sans attendre le bilan de cette expérimentation. Une décision regrettée par certains professionnels qui dénoncent "une régression" au prétexte de la crise sanitaire.
 
"Cette crise révèle une fois de plus l’indigence totale de la justice. Nous aurions aimé que - comme pour l’hôpital - elle ouvre la voie à des changements", déplore Katia Dubreuil."Mais c’est tout l’inverse. L'objectif premier est de vider les stock des affaires non jugées. Nous allons vers une justice déshumanisée."

RFI

Mercredi 3 Juin 2020 - 13:31


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