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Niger: la difficile reconversion d’Agadez

Le Niger est un pays de transit et de départ de l’émigration irrégulière vers l’Europe. Depuis fin 2016, les autorités tentent de lutter contre ce phénomène. Les efforts des autorités se concentrent autour de la ville d’Agadez, dans le centre du pays. Située aux portes du désert du Ténéré et classée patrimoine mondial de l’Unesco, Agadez a, pendant plusieurs années, attiré énormément de touristes amoureux du désert. Mais l’insécurité a changé la donne de cette région, qui s’est progressivement développée autour d’une économie parallèle reposant sur la migration. Aujourd’hui encore, les habitants cherchent de nouveaux débouchés.



Aladji Mama Ousmane, la cinquantaine, construit de ses mains un four traditionnel. Avant, il réceptionnait les migrants arrivant de toute la sous-région à la gare routière d’Agadez. Puis il les conduisait vers un foyer géré par des passeurs.
 
En tant que rabatteur, Aladji Mama Ousmane pouvait gagner trois euros par migrant. « C’était un travail lucratif », avoue-t-il. Mais depuis quelques semaines, cet ancien « coxeur » s’imagine bien une nouvelle vie de boulanger. Sur le papier, tout est là : Aladji Mama Ousmane a reçu des moules et quelques kilos de farine du projet « Agadez Plan d’action impact rapide » (Agaper) pour créer son entreprise.
 
« J’ai dépensé 381 euros pour construire ce four. Je suis parti au Nigeria pour acheter 550 moules à pain. J’ai beaucoup investi dans cette affaire parce que je veux arrêter de travailler dans le trafic des gens qui vont en Europe. Je suis persuadé que ce nouveau marché sera plus intéressant », lance Aladji Mama Ousmane, d’un ton enthousiaste.
 
« Les activités tournent au ralenti »
 
12h30, quartier Nassarawa. Dans une salle fraîchement repeinte, Shafatou Soumeila, la trentaine, a ouvert tout récemment un nouveau restaurant. Shafatou pile du piment. Elle prépare un plat local à base de riz et de légumes. Avant, cette jeune dame tenait une gargote, qui était en permanence prise d’assaut par de nombreux migrants de passage à Agadez. Pour l’instant, « les clients viennent au compte-goutte », soupire Shafatou Soumeila. « Il y a peu d’étrangers en ce moment. Les activités tournent au ralenti », ajoute-t-elle.
 
A tel point que Shafatou n’a pas envisagé d’embaucher de serveur. Cette jeune dame a reçu un « kit » pour lancer son commerce : cinq tables en plastique, dix chaises et deux réfrigérateurs. Mais « je n’ai déjà pas de quoi me rémunérer moi-même », affirme-t-elle, d’un ton laconique. Shafatou est tentée d’embellir le passé, cette période où les activités battaient leur plein, « grâce à la présence des migrants », dit-elle, tête baissée vers une bassine pleine d’oignons.
 
« Je pouvais gagner 4 500 à 6 000 euros en une semaine », renchérit pour sa part Idriss Abdou Salif. Cet homme d’une quarantaine d’années est devenu passeur presque par hasard : apprenti chauffeur à Tahoua, sa ville natale, Idriss orientait les migrants de Niamey jusqu’à Agadez. Avec le temps, Idriss a enrichi son carnet d’adresses. « J’ai beaucoup de contacts : au Sénégal, en Guinée, en Gambie, au Nigeria et même au Liberia et au Cameroun », se vante-t-il. Ces contacts lui ont apporté une « clientèle ».
 
Au temps fort de son activité, Idriss avait trois « ghettos », c’est-à-dire des foyers où sont hébergés les migrants, le temps de poursuivre leur route dans le désert. « J’avais de bons chauffeurs et de bons contacts en Libye », assure-t-il. « Tout repose sur la confiance », insiste Idriss. Pendant plus d’une dizaine d’années, cette activité lui a assuré des rentrées d’argent ponctuelles. Idriss a pu épouser quatre femmes, entretenir correctement ses dix-sept enfants.
 
Hors-la-loi
 
Mais depuis l’application, à l’automne 2016, de la loi 2015-36 criminalisant le trafic de migrants, « on nous a mis un frein », estime-t-il, amer. Selon cette loi, passeurs et rabatteurs risquent entre 5 et 10 ans de prison pour trafic illicite de migrants, une forte amende et la saisie de leurs véhicules. Dépourvu d’emploi, Idriss est obligé de puiser dans ses économies.
 
En moins de deux ans, Idriss dit avoir vendu deux parcelles. Comme Shafatou, il a déposé un dossier auprès de la Haute Autorité pour la consolidation de la paix afin d’obtenir un accompagnement dans son projet de reconversion. Mais « le financement est lent », peste cet ancien passeur, qui a deux idées en tête : travailler dans les marchés de bétail et monter une boulangerie.
 
L’impatience se fait sentir. Cette loi « met en chômage près de 6 000 personnes », qui vivaient de manière directe ou indirecte de la migration, explique Ahmet Algous, le coordonnateur de l’Agaper. Selon lui, cette activité générait près de 6 milliards de francs CFA par mois. Cette économie parallèle a aussi favorisé les villages « étapes », comme Séguédine ou Dirkou, qui font partie de l’itinéraire emprunté par les passeurs.
 
Ainsi, « à Dirkou, les recettes déclarées – issues de l’argent prélevé pour le passage des véhicules – pouvaient varier entre trois et sept millions de francs CFA par semaine », indique un responsable local. C’est aujourd’hui toute la petite économie qui est impactée : des transporteurs routiers, en passant par les vendeurs de vivres ou par les établissements spécialisés dans le virement de fonds.
 
Reconversion
 
Depuis fin 2016, gouvernement et autorités locales encouragent vivement les habitants à s’orienter vers des activités alternatives : le maraîchage, l’élevage, la couture, la mécanique et surtout les petits commerces. L’Agaper alloue 1,5 million de francs CFA par projet accepté. « Mais à ce jour, déplore Ahmet Algous, nous ne pouvons satisfaire que 100 acteurs sur les 6 500 » recensés dans la région.
 
Grâce à d’autres soutiens, cet organisme du gouvernement a pu financer seulement 294 projets. La faute à un retard de financement, notamment de l’Union européenne, d’après ce responsable qui estime à 8 milliards de francs CFA, le « gap » à combler pour appuyer quelque 694 dossiers éligibles et placés en attente. « Nous sommes dans une région assez sensible, avec une jeunesse désabusée, nous avons connu beaucoup de crises économiques, des rébellions… Tous les secteurs de l’économie sont pratiquement à l’arrêt », s’inquiète Ahmet Algous.
 
Cette « grande impatience », Raul Mateus Paula, le chef de la délégation de l’Union européenne au Niger, l’a bien sentie, lors de ses fréquentes visites à Agadez. Depuis le sommet de La Valette du 11 novembre 2015, près de 640 millions d’euros ont été débloqués pour financer plusieurs projets de développement, comme la formation de 6 000 jeunes, rappelle le diplomate européen. Quant au programme de reconversion, « près de 300 projets seront prochainement financés, puis nous ferons un bilan d’étape de ces projets "pilote" courant juin », assure Raul Mateus Paula.
 
Relancer l'agriculture
 
« On a voulu privilégier les entreprises qui peuvent faire de petits bénéfices rapidement », commente avec scepticisme un cadre établi à Agadez. « Les gens ne sont pas prêts à cette reconversion », poursuit cette source, qui relève de potentielles failles : « On propose à quelqu’un une activité qu’il ne connaît pas… Prenez les restaurants, ils sont d’habitude gérés par des étrangers, des Togolais ou des Sénégalais… mais pas par des femmes d’Agadez. Il faudrait avant tout les former », suggère cette source.

 
A Agadez, les autorités locales en ont bien conscience : la réponse se trouve sans doute dans la valorisation d’activités agricoles, dont les retombées seront visibles seulement à moyen terme. Principal potentiel de la région : la culture de l’oignon, dont le chiffre d’affaires annuel atteint en moyenne 76 000 euros, d’après les données de la Chambre de commerce d’Agadez. Seulement pour développer davantage cette filière, il faut encore remplacer les infrastructures vétustes. « On ne peut pas développer cette agriculture sans développer les infrastructures routières », déplore Rhissa Feltou, le maire d’Agadez, qui milite pour la réhabilitation de la route reliant Tahoua à Agadez.

Rfi.fr

Mercredi 23 Mai 2018 - 13:10


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