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Sortir de l’impasse économique : pour une nouvelle trajectoire de croissance inclusive, durable et souveraine au Sénégal (Par Chérif Salif Sy)



Alors que le Sénégal traverse l'une des plus graves crises budgétaires de son histoire récente, les choix économiques du gouvernement sont d'une importance capitale. Face à une dette publique élevée (environ 119 % du PIB en 2024), à une croissance structurellement atone et à une contraction des marges budgétaires, la tentation est grande de recourir à une politique d'austérité frontale afin de rassurer les créanciers internationaux. Pourtant, une analyse approfondie des enjeux, nourrie par l'expérience comparée et les réalités structurelles du pays, montre qu'il existe une autre voie, plus désirable.
 
Cet article vise à démontrer que la relance du Sénégal ne passe ni par une austérité punitive, ni par une relance aveugle, mais par une stratégie économique équilibrée, réformatrice, courageuse et fondée sur les impératifs de justice, d'efficacité et de souveraineté.
 
1. L’austérité : un traitement risqué aux effets sociaux délétères
 
L’option austéritaire, envisagée par certains cercles gouvernementaux, est une réponse classique aux crises de dette. Elle repose sur la réduction des dépenses publiques, la maîtrise du déficit et la restructuration de l’appareil d’État. Toutefois, si elle offre à court terme un « dividende de crédibilité » auprès des bailleurs, ses effets à long terme peuvent être destructeurs :
 
         affaiblissement de la demande intérieure, moteur principal de la croissance sénégalaise ;
        
hausse du chômage, notamment des jeunes diplômés, et extension progressive de la précarité ;
        
coupe dans les investissements sociaux (éducation, santé, formation) avec des effets négatifs durables sur le capital humain ;
        
instabilité politique et mécontentement social croissants, dans un contexte déjà marqué par une forte attente de justice sociale.
 
Ainsi donc, l’austérité, si elle n’est pas sélective, risque d’amplifier la crise au lieu de la résoudre.
 
2. La relance keynésienne : un outil puissant mais exigeant
 
À l'inverse, une relance keynésienne purement axée sur la dépense publique comporte le risque d'aggraver des déséquilibres déjà profonds, si elle n'est pas adossée à une gouvernance rigoureuse. Une relance bien ciblée, axée sur l’investissement dans le capital humain, les infrastructures stratégiques, les secteurs agricole, industriel ou technologique, peut toutefois jouer un rôle essentiel dans la reconstruction du potentiel de croissance :
 
         effet multiplicateur sur l’investissement privé, la consommation et l’emploi ;
         amélioration durable du capital humain, donc de la productivité globale ;
         stimulation de secteurs catalyseurs, à forte capacité de transformation et de création d’emplois.
 
La condition sine qua non reste une sélectivité rigoureuse des projets, un suivi indépendant et efficace ainsi q’une éthique de gestion qui rassure toutes les parties prenantes.
 
3. Les politiques structurelles : la seule voie viable à moyen-long terme
 
À la différence des politiques conjoncturelles, les politiques structurelles visent à transformer les fondements de l'économie du pays. Ce sont elles qui, sur le long terme, permettent de rebâtir une économie plus compétitive, inclusive et souveraine. À condition d'être bien séquencées et accompagnées, elles ont déjà démontré des effets positifs majeurs
:
a) hausse du potentiel de croissance : grâce à une meilleure allocation des ressources entre les différents secteurs et à une hausse de la productivité, les réformes structurelles (industrialisation, innovation, numérisation) augmentent progressivement le PIB potentiel et réduisent la dépendance aux exportations de produits de base.

b) soutien à l’emploi et émergence d’un tissu économique solide : les transitions de l’agriculture vers les services modernes et l’industrie créent des emplois décents, d'autant plus si les PME bénéficient de financements adaptés, de services d'appui et de simplification administrative.

c) réduction des inégalités sociales et territoriales : une croissance plus équitable est possible si les politiques structurelles intègrent la justice interrégionale, en corrigeant les écarts d'accès aux services publics et aux opportunités économiques.
d) renforcement de la souveraineté économique : mobiliser les ressources internes (fiscalité, épargne nationale, diaspora), maîtriser les filières stratégiques (alimentation, énergie, recherche, numérique) et développer des institutions robustes sont les clés de l’autonomie collective.
 
4. Quelles stratégies pour demain ? Une recomposition lucide des politiques publiques
 
Le Sénégal ne pourra pas indéfiniment arbitrer entre rigueur budgétaire et relance populiste. Il lui faut, sans délai, basculer vers une stratégie intégrée, fondée sur des piliers solides :
 
         une consolidation budgétaire intelligente, avec une réduction du train de vie de l’État, une restructuration administrative, mais une protection absolue des budgets d’avenir (éducation, recherche, santé, infrastructures écologiques) ;
        
des réformes fiscales équitables et efficaces (élargissement de l'assiette, digitalisation du recouvrement fiscal, lutte contre la fraude et réforme du régime d'incitation) ;
        
une industrialisation renouvelée, avec un recentrage autour des filières prioritaires (agro-industrie, transformation des matériaux locaux, numérique africain), appuyé par des partenariats public-privé et des financements mixtes ;
        
inclusion des jeunes et des femmes : politiques actives d'emploi, soutien à l'entrepreneuriat, dispositifs d'accompagnement socio-économique et fiscal ;
        
émergence décentralisée : appui aux collectivités locales, régionalisation des investissements et renforcement des mécanismes locaux d'allocation des ressources ;
        
une gouvernance rénovée, avec plus de transparence, une responsabilisation des gestionnaires publics, un contrôle citoyen des finances publiques et une reconstruction du contrat social.
        
5. Conditions de réussite : responsabilité, leadership et reddition des comptes
 
Ce cap exige une vision claire, une stratégie cohérente et un leadership moral. Les réformes structurelles ne peuvent réussir que si elles sont portées par un appareil d'État compétent, déployé à l’échelle territoriale, et en dialogue constant avec les acteurs sociaux et économiques.
 
L’État ne peut pas seul : entreprises, syndicats, société civile, chercheurs et diaspora doivent s’unir autour d’un pacte économique patriotique. Le secteur privé doit s’engager en investissant dans l’innovation, la formation, les marchés locaux et l’économie verte. La société civile doit rester vigilante et exigeante, en demandant des comptes mais aussi en proposant des alternatives crédibles.
 
 
Conclusion : Il est temps de choisir la transformation systémique

Le Sénégal se trouve à un tournant. Il lui faut rejeter les solutions simplistes mais périlleuses et bâtir une économie résiliente, créative et souveraine. Le redressement durable ne viendra ni de la discipline imposée par les bailleurs de fonds ni d'un activisme budgétaire sans perspective. Il émergera d'un nouveau contrat collectif fondé sur le mérite, la justice économique, la sobriété stratégique et la mobilisation nationale autour d'une transformation partagée. Il est urgent que l’État réforme avec courage mais dans un esprit de dialogue, que le secteur privé investisse avec ambition mais aussi avec responsabilité et que les citoyens réclament, réfléchissent, construisent et exigent davantage. Le temps est à l’action transformatrice. Pas à la résignation. Pas à l'immobilisme. Pas à la fuite en avant.
 
Le Sénégal dispose des ressources humaines, des intelligences collectives et des leviers politiques nécessaires pour devenir un exemple de croissance africaine réfléchie, juste et souveraine. Il faut encore pour cela le vouloir ensemble.
 
Sources institutionnelles, rapports et articles cités dans l'article :
 
•          Banque mondiale. « Sénégal : la Banque mondiale approuve un financement de 115 millions pour soutenir les réformes fiscales et renforcer la gestion financière publique. » (2025)
•          Bulletin Statistique de la Dette Publique – Trésor public du Sénégal, 2024 (1er et 2e trimestres)
•          RFI. « Avec une dette réévaluée à 119% du PIB pour 2024, le Sénégal devient le pays le plus endetté d’Afrique. »
•          BBC Afrique. « Quel est l’état des finances publiques du Sénégal ? » (février 2025)
•          Ministère des Finances du Sénégal. « Situation économique et financière du Sénégal. » (décembre 2024)
•          Dakaractu. « Situation économique du pays : Le Dr Souleymane Mbengue préconise une politique de relance budgétaire fondée sur l’investissement public » (mai 2025)
•          APS. « Le gouvernement va bientôt présenter un plan de relance économique aux partenaires financiers de l’État. » (avril 2025)
•          L’Investigateur Africain. « Austérité au Sénégal : un pari risqué entre réforme et pression sociale. » (février 2025)
•          Le Soleil. « Réformes budgétaires – gestion des finances publiques. » (juin 2025)
•          Banque mondiale et FMI. « Rapports Article IV Sénégal » et « Perspectives économiques en Afrique. »
•          FMI. « Des perspectives de croissance solides pour le Sénégal. » (juillet 2023)
•          APS. « Les quotidiens redoutent d’éventuelles mesures d’austérité. » (février 2025)
•          FAOLEX. « Document de Stratégie pour la croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSRP-II) du Sénégal. »
 
Principaux ouvrages et rapports de référence sur les politiques économiques et structurelles en Afrique et au Sénégal :
•          Krugman, Paul. L’économie de la crise. Seuil, 2012.
•          Stiglitz, Joseph E. La grande désillusion. Fayard, 2002.
•          Rodrik, Dani. The Future of Economic Transformation in Developing Countries. Harvard.
•          Commission économique pour l’Afrique (CEA). Rapports sur les perspectives économiques en Afrique (annuels).
•          FMI/Banque mondiale. Rapports Article IV – Sénégal.
•          OCDE. Perspectives économiques en Afrique, éditions annuelles.
•          BID. Industrial Policy in Senegal: Review and Prospects, Inter-American Development Bank, 2020.
•          Pritchett, Lant. Getting Better: Why Global Development Is Succeeding—And How We Can Improve the World Even

More. Basic Books, 2023.
•          Rapport sur le développement dans le monde, Banque mondiale.
•          République du Sénégal. Plan Sénégal émergent (PSE) – documents institutionnels.
•          Publications scientifiques de l’ISG, de l’UCAD, de l’IPAR et du CRES sur les politiques


Mercredi 30 Juillet 2025 - 21:08


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