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Taisez-vous, Matar Ba ! Par Abdou Khoudoss Niang



Le Sénégal est un pays bizarre. Un jour, à la faveur d’un de ces remaniements qui excitent tant la population, on entend pour la première fois les noms de personnes sorties de nulle part. Ce serait excessif que ce soient tous des moins que rien : en fait, parmi les heureux élus, certains vont peu à peu impressionner par leur compétence, leur sérénité et leur respect de la chose publique. Ceux-là ont d’autant plus de mérite que l’exemple de probité et de rigueur ne vient pas d’en haut, bien au contraire. Mais les brebis galeuses sont nombreuses dans ce troupeau pompeusement appelé « gouvernement de la République » et en général ce sont des gens absolument irrécupérables.

Matar Bâ, illustre inconnu devenu ministre de la Jeunesse et des Sports en vertu d’une vieille familiarité avec le couple royal, fait partie de ces « Thiounés ». Le monsieur, convaincu de ne pas mériter une telle position, a si peu confiance en lui-même que la moindre critique lui rappelle douloureusement qu’il est un usurpateur et le met hors de lui. Il vient ainsi de braquer une bonne partie de l’opinion contre lui en chargeant sans le moindre fair-play Sadio Mané.

Rapide retour sur les faits. Le Ballon d’Or africain en titre, outré par l’état de la pelouse du stade Lat-Dior de Thiès où il venait de disputer un match amical - victorieux, il est bon de le préciser - contre le Cap Vert, déclare : « Le Sénégal mérite mieux ». Mané a-t-il calomnié le Sénégal en s’exprimant de la sorte ? Certainement, car vu l’état de Lat-Dior, y compris de ses toilettes nauséabondes, on peut juger que le Lion de la Téranga est resté poli et mesuré.

Mais voilà : Matar Bâ n’aime pas que l’on fouille dans les gigantesques poubelles que sont devenus ses stades... Ratant l’occasion de se taire, il réagit par des remarques trahissant un niveau de réflexion affligeant. Selon lui, il ne faut pas que Mané se croie à Liverpool ou à Manchester. Il est d’ailleurs appuyé par le président de la Fédération, Me Augustin Senghor, qui a pourtant toujours su forcer le respect, même au-delà du monde du football.

Si on les a bien compris, Sadio Mané doit, pour parler familièrement, marquer des buts et fermer sa gueule. Et peu importe pour ces irresponsables que le joueur pointe du doigt un problème réel et tout à fait sérieux. Une autorité dotée d’un minimum aurait vu dans la critique de l’enfant de Bambali une simple exhortation à mieux faire et même à faire vite.

En effet, si la FIFA n’avait pas décalé de quelques mois les éliminatoires pour la prochaine Coupe du monde, le Sénégal aurait été obligé de jouer à Banjul ou à Praia ou à Bamako. Et au rythme où vont les choses cette humiliante possibilité n’est pas encore tout à fait écartée. Une des questions que l’on pourrait à présent se poser c’est pourquoi Sadio Mané a choisi ce moment précis pour taper du poing sur la table.

Des personnes gravitant autour de l’équipe nationale rapportent régulièrement que l’état lamentable - et dangereux ! - de nos infrastructures sportives est au sein de Tanière un motif permanent de frustration et qu’il leur arrive souvent d’en plaisanter entre eux. Comme nous tous, ils ont du mal à comprendre que le « meilleur stade du Sénégal » soit si peu digne de ce nom. Encore heureux que certains d’entre eux n’aient jamais vu Demba Diop et Senghor... S’ils ne se sont jamais plaint publiquement, c’est à la fois par politesse et pour ne pas être accusés d’être des enfants gâtés, de petits toubabs peu conscients de nos terribles souffrances de sous-développés !

Que n’aurait dit le ministre Matar Bâ si Kalidou Coulibaly avait protesté à la place de Mané ! On l’entend d’ici rappeler au talentueux et sobre défenseur international sa naissance à St-Dié-des Vosges... Sadio Mané n’est plus ni moins patriote que les binationaux du groupe. Il est seulement moins vulnérable. C’est juste après avoir offert au Sénégal - et à son village natal de Bambali - un hôpital d’une valeur de trois cent cinquante millions de francs CFA qu’il s’est fait insulter dans la presse par Matar Bâ...

Nous parlons ici du meilleur footballeur sénégalais de tous les temps mais qui n’a jamais oublié d’où il vient et ne nous a jamais jetés à la figure ses milliards. On connait d’anciennes gloires du foot qu’il a sortis de passes difficiles en leur demandant de ne jamais en parler. Et pour ce qui est du comportement social, on peut donner Sadio Mané en exemple : jamais un mot plus haut que l’autre, si effacé que les spécialistes continuent à le juger peu doué pour être le patron d’une équipe nationale.

Maktar Bâ et Augustin Senghor ont évoqué les grosses écuries de la Premier League. C’est là où ils ont eu tout faux. Le problème ce n’est pas que nos stades soient moins bons que ceux de Manchester ou Liverpool. Le problème, c’est que les stades de Bamako, Abidjan, Lagos ou Tunis soient de loin meilleurs que les nôtres ! Et c’est ici le lieu de faire la révélation de taille que voici : les joueurs sénégalais étaient de plus en plus vexés par les reproches méprisants des équipes visiteuses africaines.
« C’est donc sur ça que vous faites jouer vos hôtes, vous la soi-disant grande nation de foot ? »

La longue panne d’électricité à la mi-temps du match contre la Zambie a été l’incident de trop; Il faut imaginer des compétiteurs de ce niveau assis pendant plus d’une demi-heure dans l’obscurité en train d’attendre le retour de l’électricité. Pour l’équipe qui reçoit, surtout dans une rencontre amicale, cela est une expérience insupportable, digne des temps préhistoriques.

Elle a été le signal de la révolte puisqu’après Sadio Mané son ami Cheikhou Kouyaté a laissé éclater sa colère, allant jusqu’à dire que les joueurs sont prêts à financer eux-mêmes les travaux de rénovation de nos stades. Dans les milieux du football le fait que nos champions de football se faisaient manquer de respect par leurs homologues africains n’était un secret pour personne. Me Augustin Senghor le savait.

Le ministre Matar Bâ le savait. Au lieu de remédier à la situation, ils ont cru pouvoir abuser de l’obligation de réserve que s’étaient imposé les Lions pour les mettre sur la défensive. La loi du silence, ça arrange bien ceux qui font de petites affaires pas nettes. Et s’il est une chose assez minable dans cette affaire, c’est qu’on s’est permis de s’attaquer à Sadio Mané à cause de son côté jeune homme sage, évitant toujours autant que possible de faire des vagues.

Tout le monde sait qu’il aurait plusieurs fois tourné sa langue dans sa bouche avant de s’attaquer à un El hadj Ousseynou Diouf par exemple ! Mais même avec Mané, il a joué de malchance. Les discussions se focalisent désormais sur l’état de nos infrastructures et en particulier des terrains de football. En outre le conflit oppose deux personnalités publiques aux parcours très différents : un ministre qui va vite retourner au néant dont on n’aurait jamais dû le tirer et un immense champion, assis aujourd’hui sur le toit du monde grâce à son travail acharné, en toute dignité.

Dans un pays normal, ce n’est pas à lui de raser les murs. Quant au nommé Matar Bâ, faute de pouvoir rénover nos stades, qu’il se taise au moins.

Par Abdou Khoudoss Niang


Vendredi 18 Juin 2021 - 12:44


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