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Conflits d'intérêts entre institutions : "On n'est même pas dans le cadre d'une séparation de pouvoir", (Jean Charles Biagui)

L'impasse politique actuelle dans le pays auquel s'ajoutent des conflits d'intérêt entre l'exécutif et le Conseil constitutionnel confirment le malaise. Le Conseil constitutionnel est comme jamais mis à une rude épreuve. Dans cet entretien, l'enseignant -chercheur en sciences politiques à l'UCAD aborde les différentes péripéties qui marque en ce moment la politique sénégalaise. Entretien.



Conflits d'intérêts entre institutions : "On n'est même pas dans le cadre d'une séparation de pouvoir", (Jean Charles Biagui)
Etes-vous d'avis que l'organisation d'un dialogue national s'imposait pour pouvoir fixer une nouvelle date de l'élection présidentielle?

Il était inopportun. Dans la mesure où le président de la République, le Conseil constitutionnel lui demandait de fixer une date. Le Conseil constitutionnel ne lui demandait nullement d'organiser un dialogue. Il s'agissait dans le cadre du respect des institutions et aussi dans le cadre de la séparation du pouvoir. Parce que nous sommes dans une République chacun a son rôle bien déterminé. Le Président la République ici, il n'a pas à interpréter. C'est le Conseil constitutionnel, en matière électorale qui à la charge de  cette responsabilité. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé.
Manifestement, le président de la République ne veut pas appliquer la décision du Conseil constitutionnel et il a cherché des subterfuges et le dialogue en fait partie. C'est un dialogue qui se dit national et on a bien vu qu'il n'en est rien. Mais c'est surtout des partisans du Président, une clientèle avec des associations qui se réclament plus ou moins de la société civile mais qui n'ont pas fondamentalement une grande autonomie par rapport au pouvoir, avec des religieux qui aussi ne peuvent pas symboliser toute la nation entière qui représente des intérêts privés, il faut le reconnaître. D'ailleurs à ce niveau-là, il faut regarder la subtilité de l'Église catholique.
J'ai vu un peu partout dans les réseaux sociaux certains citoyens se féliciter de la de la décision de l'Église. Mais ce que beaucoup de gens oublient, c'est que l'Église, les dirigeants de l'Église n'ont pas eu le courage de venir le dire. Ça témoigne en définitive, que la position de l'Église est une position très prudente. Parce que l'Église elle-même, en prenant cette décision là, n'est pas venue par ces représentants dire qu'elle voulait une organisation des élections le 2 avril. L'Église a préféré confier cette tâche à une organisation de laïcs plus ou moins. Ça témoigne. Pourquoi les hommes d'Église ne sont pas venus porter ce discours ? C'était une parenthèse pour vous montrer en définitif. Ce qui se sont présentés, n'ont pas eu le courage et n'ont pas eu la volonté de dire la vérité au président. C'est pas à eux de décider pour toute la nation entière, ce sont les institutions dans le cadre des institutions, en particulier le Conseil constitutionnel qui a cette tâche. Là, maintenant des décisions ont été prises. On verra ce que le Conseil constitutionnel va dire puisqu'on attend d'un moment à l'autre le décret et ce décret là, il est clair qu'il va être attaqué. Maintenant on verra si le Conseil constitutionnel est assez courageux pour s'opposer. Parce que fondamentalement, c'est une question de faiblesse des institutions.

Ce que vous dîtes traduit-il une faiblesse des institutions du pays?

Tout ceux qui parlent d'État de droit ne sont pas en phase avec la réalité. On n'est même pas dans le cadre d'une séparation de pouvoir. Parce que si, en définitive les institutions étaient fortes, le Conseil constitutionnel allait avoir le courage de fixer une date en sachant pertinemment, qu'il est en face de politiques qui ne sont pas de bonne foi.  Au Sénégal, lorsqu'on pense que c'est pas suffisamment clair on a l'habitude d'interpréter. Ce n'est pas la première fois. Lorsqu'il s'est agi de voir si le président la République avait la possibilité de diminuer son mandat, le problème s'est posé. Au Sénégal, on a vu qu’il y a un certain juridisme qui n'a pas trop de sens. C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel, comprenant les enjeux, aurait dû pour mettre un terme à la récréation et régler définitivement la crise, avoir le courage de fixer une date. Le Conseil constitutionnel ne l'a pas fait pour la simple raison, parce qu'il y a beaucoup de gens qui font ce que j'appelle des analyses à posteriori.

C'est quoi une analyse à posteriori ?

C'est l'idée de dire, le Conseil constitutionnel ne l'a pas fait parce que c'est le rôle du président de la République. Non, ça c'est une analyse à posteriori. Si le Conseil constitutionnel avait pris la décision, personne n'aurait rien dit parce que le Conseil constitutionnel a ce pouvoir, en vertu de la loi. Maintenant, on va voir si effectivement ça confirme la faiblesse de nos institutions. Tout cela dépendra de la décision du Conseil. Parce que le Conseil constitutionnel, je l'espère, n'ose pas se dédire ce serait la preuve non seulement d'un manque d'indépendance, mais d'une faiblesse institutionnelle qui nous laisse vraiment dans un environnement très très délicat.
 
Est-ce que le président de la République est habilité à fixer une nouvelle date  de l'élection?
 
Juridiquement c’est illégal. Juridiquement, ça n'a pas de sens. C’est lui même qui fixe la date dans le cadre d'un cadre juridique. C'est-à-dire conformément,  à la fin de son mandat. Il ne peut pas ainsi prendre comme ça n'importe quelle date. Non. Il ne peut pas sur le plan juridique ou  dans le cadre d'un dialogue imposer une date maintenant. C'est le Conseil constitutionnel qui, en dernier, ressort juge. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel va nous dire que fondamentalement ce que le Président a fait est quelque chose de légal. Et donc tout dépendra de la décision du Conseil de mais en principe ça devrait pas se passer. Le Président aurait dû prendre une date qui tienne compte du 2 avril. 
 
 
Est-ce que la date du 02 juin pourrait être entérinée par le Conseil constitutionnel, conformément aux recommandations du dialogue national?
 
 
Cela pose un problème juridique très important. Maintenant, comment régler ce problème là ? Nous sommes dans le cadre d'une République avec des institutions. Normalement ce sont les institutions et si précisément le Conseil constitutionnel qui devra dire s'il si d'aventure parce qu'on sait pas encore s'il décide pour le 2 juin, le Conseil constitutionnel nous dira si cela est conforme à la Constitution ou pas, si cela est surtout conforme à sa décision. Parce que si cela est conforme à sa décision. maintenant, si le Conseil constitutionnel décide que le le 2 juin est une date valable cela remet en cause la question c'est un problème, notamment du fait de la fin du mandat. Le conseil constitutionnel devra aussi nous dire qu'avec la vacance du pouvoir que le président de la République se chargera jusqu'à  l'installation de son successeur. C'est la logique. Si le Conseil constitutionnel dit que le début juin est bon. Je ne vois pas comment dans ce cadre-là, ils vont  dire puisque le Président n'a pas démissionné. Donc, on confie le pouvoir à quelqu'un d'autre. Ce qui n'a pas de sens. si le Conseil constitutionnel va dans le bon sens, il sera obligé de poursuivre et de lui confier. Je sais pas si on peut appeler ça la suppléance, en tout cas les affaires courantes vont jusqu'à  l'installation de son, prochain successeur. C'est un problème  mais il n'est pas tard. Parce que si le Conseil constitutionnel, fait comme ce qu'il a fait la dernière fois dire au Président de la République en  se référant sur sa décision passée,  choisir une date dans les meilleurs délais qui ne dépasse pas le 2 avril. On perd encore du temps, à mon avis, le Conseil constitutionnel a deux choix, soit il valide la décision du président la République, soit il choisit une date il ne peux pas ne pas choisir de date. Pire que le président de la République n'a pas le droit de faire ce qu'il a fait. Il ne peut pas dire les deux à  la fois. Il est obligé soit de conforter le présent à la République en disant : j'avais dit meilleur délai, donc c'est bon ou bien il dit dans ce cas je choisis une date. Ça m’étonnerait vraiment que le Conseil constitutionnel puisse choisir une date.
 
Etes-vous du même avis que ceux qui disent que la loi d'amnistie est une loi liberticide?

C'est une loi problématique. C’est une loi qui entend conforter l'impunité depuis pratiquement l'indépendance jusqu'à maintenant. Nous sommes dans un régime politique où l'impunité est la règle, où les assassinats ne sont pas élucidés ou les crimes ne sont pas élucidés ou les pouvoirs publics font en général ce que la loi ne leur permet pas  sans pour autant qu'il y ait des conséquences. Il est clair que si on considère que l'amnistie vise des faits politiques liés aux événements entre 2021 et 2024, il est évident qu'on vise des infractions ou des crimes qu’aurait probablement commis le  régime. Mais il y a quelque chose qu'il faut remarquer, c'est que la question de l'amnistie aujourd'hui, dans le monde contemporain peut ne pas avoir un grand sens, surtout s'il s'agit de crimes contre l'humanité, des crimes de torture ou de crimes de génocide. Il y a des crimes qui sont imprescriptibles.
Par conséquent, si dans le cadre d'un prochain régime, on arrive à justifier que ce qui s'est passé entre 2021 et 2024 constitue des crimes contre l'humanité ou des crimes de tortures, parce qu'on a beaucoup parlé de tortures bien sûr, l'amnistie n'aura aucun sens sur le plan international. Sur le plan interne peut-être, mais sur le plan international, non. On ne peut pas pardonner les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les crimes de torture. Ça Il faut que les acteurs en prennent conscience, mais que maintenant, sur le plan interne, il est évident que si il y a une loi d'amnistie, je ne vois pas comment elle ne s'appliquerait pas. Mais ça remet en cause la question de la justice. Mais les crimes ne sont pas effacées sur le plan international. 
 
Le ministre des affaires étrangères, Ismaila Madior Fall a précisé que l'affaire Adji Sarr - Ousmane Sonko n'est pas concernée par cette loi d'amnistie. Une épée de Damoclès sur la tête de Sonko?

 Diomaye est déjà candidat, c'est peut-être surtout pour Ousmane Sonko  mais même dans ce cas-là...Est-ce que Macky Sall ira dans le sens de remettre en cause les 19 candidats ou d'intégrer d'autres candidats ? Là aussi, c'est le Conseil constitutionnel qui va nous départager. Parce que le Conseil constitutionnel semble récemment nous dire que la liste définitive, c'est la liste des 19 candidats. Je ne vois pas par quel alchimie juridique ils vont finalement nous dire qu'il faut ouvrir. Ça va remettre en cause leur crédibilité et beaucoup de choses. Aujourd'hui, ce qui se joue, c'est la crédibilité d'une institution comme Conseil constitutionnel. Ce dernier est responsable dans une certaine mesure de cette crise. Il n'a pas voulu mettre fin à la récréation. Parce que si le présent de la République réussit à s’imposer et que le Conseil constitutionnel valide, ça pourrait faire jurisprudence. Demain, un président de la République peut décider au dernier moment en fonction de ses intérêts personnels. Il peut décider d'apprendre le processus et de choisir une autre date. C'est pour ça que ce qui se passe est quelque chose de très dangereux. Le Conseil constitutionnel aura la lourde tâche soit de mettre un terme à la récréation ou d'ouvrir le champ à une insécurité juridique terrible pour le futur.

Babou Diallo

Mercredi 28 Février 2024 - 19:43


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