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Kenya : les dangers de «l'instrumentalisation politique du fait ethnique»

Des élections cruciales pour l’avenir du Kenya s’ouvrent lundi 4 mars. Ce sont les premières élections générales depuis les violences de 2007-2008, qui avaient fait plus d’un millier de morts. Christian Thibon est historien, directeur de l’IFRA, l’Institut français de recherche sur l’Afrique basé à Nairobi, au Kenya. Au micro de Sonia Rolley, il fait le point sur les enjeux du scrutin et les risques de violences post-électorales.

RFI : Christian Thibon, avant de parler de la présidentielle, quels sont les autres scrutins de ce lundi ?

Christian Thibon : Normalement il y a six scrutins. C’est le fait nouveau. C'est-à-dire qu’il y a une présidentielle, les législatives, la sénatoriale. C’est un scrutin tout à fait nouveau concernant les gouverneurs de « counties » (équivalents des départements, ndlr), en relation avec la décentralisation. Puis, il y a des élections locales et il y a des élections de représentantes des femmes.



Kenya : les dangers de «l'instrumentalisation politique du fait ethnique»

’est un fait nouveau qui fait que ces six scrutins vont se réaliser le même jour. Donc, il y a un processus électoral qui est relativement lourd, ce qui aura deux incidences pratiques. Une première, technique : la difficulté de gestion des résultats, puisqu’il y aura six élections. Et une seconde, qui peut être un élément positif, c’est qu’au terme de la première journée, les gouverneurs, les parlementaires, les sénateurs, seront élus. On aura une situation assez ambiguë, avec une inconnue concernant l'élection présidentielle, puisqu’il est fort probable qu’au soir du premier tour aucun candidat ne dépasse les 50 %.

Ce sont des élections à haut risque, puisque les dernières élections avaient été le prélude à des violences politiques, qui avaient tout de même duré deux mois. Des violences politiques mais aussi ethniques...

Oui. Tout simplement parce que dans la culture politique kényane, le fait ethnique est toujours instrumentalisé par les hommes politiques. L’histoire politique impose, on pourrait dire, sa marque. C’est aussi le cas durant cette campagne électorale, puisque la bipolarisation, disons la construction des alliances politiques et surtout l’apparition de deux alliances, s’est réalisée sur des bases pluriethniques, mais de fortes composantes ethniques, essentiellement autour des quatre grandes ethnies qui composent le Kenya.A cette époque-là, donc en 2007-2008, c’était un bras de fer entre le président sortant, Mwai Kibaki et Raila Odinga, le Premier ministre qui est à nouveau candidat. Cela avait abouti à la signature d’un accord de partage du pouvoir. Qu’est-ce qui a été fait, depuis, pour éviter de nouvelles violences ?

De façon pratique, il y a eu la nouvelle Constitution, avec une incidence pratique concernant surtout la justice. Les réformes institutionnelles ont beaucoup plus tardé, en particulier concernant des institutions de sécurité, donc la police.

En revanche, le fait marquant de ces cinq dernières années, c’est la montée en puissance de la société civile, la montée en puissance des médias, l’importance du débat politique. Ce sont des faits nouveaux qui peuvent agir comme un élément de modération dans les circonstances actuelles. C’est-à-dire dans une période où, demain, les passions politiques vont s’aiguiser.La campagne électorale s’est déroulée dans un calme relatif. Il n’y a pas eu d’incidents majeurs. Est-ce que vous pensez que les pratiques politiques ont changé ?

Ça avait été le cas aussi en 2007. Les incidents majeurs avaient débuté en 2007, à l’annonce des résultats, et donc de la contestation de ces résultats. Le personnel politique n’a pas tellement changé. C’est toujours le même depuis l’Indépendance, si ce n’est que ce sont les héritiers, la deuxième génération de l’élite politique des années 1960, qui aujourd’hui entrent en conflit, ou disons en concurrence. Donc, les hommes sont presque les mêmes, les courants politiques, là aussi, se sont maintenus avec des fortes variations.

Le fait, peut-être nouveau, qui peut intervenir, est que ces hommes politiques représentent une bourgeoisie qui, elle, s’est considérablement enrichie au cours de ces dernières années, et qui a peut-être une appréhension au regard des événements politiques. Effectivement, une crise politique qui durerait trop longtemps les pénaliserait, non pas au niveau politique, mais au niveau économique. C’est peut-être l’élément qu’il faut prendre en considération.Quand vous parlez des héritiers, ce sont les deux favoris. Le président Mwai Kibaki ne se présente pas. Il est allé au bout de ses deux mandats. Dans la présidentielle, huit candidats sont en lice : deux sont au coude à coude, Raila Odinga, le Premier ministre sortant, et Uhuru Kenyatta, qui est poursuivi par la Cour pénale internationale pour les violences post-électorales. Raila Odinga, avait contesté les résultats de l’élection de 2007. Il dit au Financial Times que, s’il perd cette élection, ce sera à cause de fraudes et de manipulations. Celadénote quand même un climat, une situation particulièrement tendue, avec Raila Odinga qui attend finalement de remporter cette présidentielle depuis longtemps...

Oui. On est dans une situation qui s’apparente à de la prédiction créatrice. C'est-à-dire que l’on annonce déjà ce qui va se passer, en étant pas sûr du cours des événements. Les hommes politiques se positionnent déjà sur ce qui pourrait être un deuxième tour post-électoral. C’est là où on a l’impression que l’histoire se répète, l’histoire bégaie.L’élément inconnu, c’est la capacité de la Commission électorale nationale à donner très rapidement et sans contestation, les résultats. C’est l’élément qui va être déterminant.

Ce qui peut être inquiétant aussi, c’est que Uhuru Kenyatta a la possibilité, s’il était élu, d’échapper à l’inculpation de la Cour pénale internationale, tout comme son second, William Ruto. Est-ce que cela ne va pas accentuer le risque d’avoir un troisième tour post-électoral ?

Peut-être moins, parce que effectivement, il faut voir comment cette question est perçue par les Kenyans. Kenyatta a commencé sa campagne électorale il y a un an et demi. Il a construit une image qui fait de lui quasiment une victime, une personne qui est injustement attaquée. Il a particulièrement bien joué, en instrumentalisant bien la dimension religieuse, qui est une dimension importante au Kenya. Il a une démarche quasiment rédemptrice. Il se fait régulièrement pardonner par les différents membres des églises au Kenya. Il a retourné ce qui pouvait être un élément en sa défaveur.

Le Kenya a un rôle central dans la région, notamment par rapport à la crise en Somalie. Si le pays basculait à nouveau dans la violence, les conséquences seraient dramatiques...

Oui. Le Kenya a un rôle géo-économique et géostratégique majeur dans l’Afrique de l’Est. C’est la porte d’entrée de l’Afrique des Grands Lacs. C’est aussi un élément de stabilité régionale. On pense essentiellement à la Somalie, mais en fait il y a toute la frontière nord du Kenya. Donc là, l’instabilité qui durerait, une crise qui durerait, pénaliserait la croissance économique que l’on est en train d’observer. Et donc là, il y aurait un impact direct sur les économies de l’Afrique des Grands Lacs, c'est-à-dire l’Ouganda, le Sud-Soudan, le Rwanda, le Burundi.



Lundi 4 Mars 2013 - 14:37


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