Dans sa suite, Alassane Dramane Ouattara, alias ADO, a sans doute songé à l'immensité du chantier qui l'attend. Tandis que chambre 468, Laurent Gbagbo, le sortant que l'on eut tant de mal à sortir, ressassait son amertume, entre dépit et incrédulité; à moins que l'immense lassitude qui, peu après sa capture, se lisait sur son visage, eût tout balayé. Non, il n'achèvera pas son parcours ici-bas en icône et martyr de la lutte contre l'hydre néocolonialiste. Non, il ne rejoindra pas le Congolais Patrice Lumumba, jeune Premier ministre assassiné en janvier 1961 par des soudards katangais avec l'aval du futur maréchal Mobutu et de ses parrains occidentaux, au panthéon des héros de l'Afrique insoumise et souveraine.
Mais le squatteur de Cocody aura, comme Lumumba, connu l'humiliation. "Laurent ne sortira pas vivant de son bunker", avait prédit son ami socialiste Guy Labertit. Illusion lyrique. Si l'on en croit le récit du commandant "Vetcho", l'un des chefs de guerre des Forces républicaines de Ouattara, ses premiers mots lors de l'irruption du commando d'assaillants furent ceux-ci: "Ne me tuez pas!"
Des images déjà entrées dans l'histoire
Ensuite, vinrent ces images dont on sait déjà qu'elles trouveront leur place dans les archives du despotisme en déroute, entre l'arrestation des époux Ceausescu et "l'exhumation" de l'Irakien Saddam Hussein. Le gilet pare-balles qu'on lui fait enfiler, et qu'un combattant ouattariste brandira plus tard tel un trophée, le casque qu'il faut coiffer. Le fils Michel, métis né de l'union avec sa première épouse française, échappant de peu au lynchage. Le "Première Dame" Simone, virago messianique rudoyée, injuriée, puis hirsute, hagarde, prostrée en prière sur un canapé rouge au faux cuir craquelé. Après la mêlée du Golf, on verra même l'un de ses persécuteurs mettre à l'encan une mèche de cheveux arrachés. Laurent de nouveau, assis sur le lit de la 468, s'épongeant le front et les aisselles, avant de passer une chemise verte propre et de "poser" au côté de ses geôliers.
Ce mardi matin, à 5H00 locales, soit 7H00 à Paris, on entendait de la terrasse du Golf l'appel à la prière du muezzin d'une mosquée voisine. Mais pas le moindre coup de feu. La première nuit de l'après-Gbagbo aurait-elle été calme? Non, bien sûr. Elle fut aussi rythmée par les appels angoissés d'un ami abidjanais du quartier de Cocody, secteur d'Attoban. Une bande de soudards en treillis avait investi sa ruelle, frappant à chaque porte, exigeant les clés de voitures. Un voisin sera même embarqué, avant que son logis soit pillé de fond en comble. L'un des agresseurs portait au poignet une montre à l'effigie de Laurent Gbagbo. Il reste donc, de toute urgence, à mettre partout les pendules à l'heure.