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Communication présidentielle l’épreuve de opinion publique

La meute, le lynchage et la diabolisation, sont devenus les bourreaux du génie politique sénégalais. C’est que trop longtemps, le camp présidentiel s’est laissé submerger par la logique communicationnelle de ses adversaires et n’a développé comme stratégie que la dénégation, la défensive et la polémique stérile.



Communication présidentielle l’épreuve de opinion publique
Le pire dans cette stratégie c’est que le principal concerné, le Président de la République, Me Abdoulaye Wade est quotidiennement au front là où une bonne division du travail devrait le mettre à l’abri de la vindicte populaire.
Une communication structurée et offensive a été le tendon d’Achille du régime de l’alternance et il n’est pas exagéré de dire que la bataille de l’opinion est très mal engagée dans la perspective de 2012. La politique n’est pas de l’angélisme et le premier ressort d’un projet de communication agressive doit être la prise de conscience du caractère non spontané de l’opinion publique.

Dans le Contrat social déjà Rousseau l’exprimait de façon non équivoque en ces termes : « De lui-même le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelque fois tels qu’ils doivent lui paraître, lui monter le jugement qu’elle cherche, la garantir de la séduction des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l’attrait des avantages présents et sensibles par le dangers des maux éloignés. Les particuliers voient le bien qu’ils rejettent, le public veut le bien qu’il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides » !

Que Rousseau en tant que philosophe des Lumières fasse preuve d’un pragmatisme aussi mordant dans la stratégie de la communication pour guider l’opinion publique n’a rien d’étonnant.

La révolution française a été une aventure noble et généreuse et pourtant les résistances qu’elle a rencontrées ont nécessité un long combat intellectuel et des joutes verbales impressionnantes.
Il est facile de dire que les réalisations et les projets d’un homme d’État se vendent d’eux-mêmes, mais c’est ignorer que la réalité ne nous apparaît jamais de la même manière et que chacun est dans une station à partir de laquelle il appréhende les choses.

Si tout le monde pouvait avoir une lecture correcte de la réalité sociale et politique, on n’aurait pas besoin d’hommes politiques et des fameux politologues ou autres spécialistes des sciences sociales.
Les autoroutes, les échangeurs, les ponts et les aéroports sont eux-mêmes utiles et nantis d’une haute portée économique et sociale, mais la façon dont ils sont appréciés dépend d’autres paramètres qui leur sont extérieurs.
Il faut d’ailleurs rappeler qu’en politique comme en sport, la meilleure façon de se défendre, c’est d’attaquer et qu’en ce qui concerne la communication politique, la mise à nu des défauts de ses adversaires peut être plus payante que l’affirmation de soi.

Des images existent pour montrer, au lieu d’énumérer, les fautes de gestion des actuels détracteurs du régime, des souffrances dues aux errements de la gestion socialiste du pays sont toujours visibles et il suffit simplement d’y mettre le doigt pour disqualifier certaines critiques et leurs auteurs.

Malheureusement, dans le camp présidentiel n’importe quel quidam politique s’improvise communicateur. Or quand l’information technique tombe dans l’oreille de celui qui ne parle et ne pense que politique, il y a confusion et dénaturation.

Inversement, lorsqu’on n’a que l’information politique en tant que technicien et qu’on veuille faire le travail du technicien avec un dispositif aussi bricolé, on devient ridicule.

La forfaiture démocratique sur la prétendue affaire des 20 milliards de la SUDATEL orchestrée par une certaine société civile en connivence avec quelques stras de la presse, n’a pas eu le traitement requis de la part du gouvernement.

De même, l’exploitation politique et erronée qu’on a faite de la question de « Global Voice » aurait pu être évitée, si le gouvernement avait réussi à imposer les cadres et les paradigmes du débat. Sur cette question, l’État est largement dans son bon droit et il a, sans le savoir, bénéficié d’une légitimité populaire circonstancielle, mais il a faibli dans la gestion de l’information et dans le mode de communication.

Ce n’est pas parce qu’on est dans le côté du droit ou qu’on est véridique qu’on a automatiquement raison en démocratie d’opinion : reconnaitre ce principe n’est pas faire l’apologie du sophisme, c’est seulement être politiquement réaliste. Même les prophètes et les Saints avaient besoin d’élaborer des stratégies de communication, eux qui sont pourtant censés porter la parole de Dieu et incarner vertu.

Dans ses Carnets, Samuel Butler fait une analogie fort intéressante dans la tentative de compréhension de l’opinion publique : « L’opinion publique : le public achète ses opinions comme il achète sa viande ou se fait apporter son lait, selon le principe que cela coûte moins cher que d'avoir une vache ».

Si tout le monde est enclin à faire référence à l’opinion publique et à en faire une sorte de déesse omnisciente et omniprésente, c’est surtout parce qu’il est plus facile de croire, que de penser. Beaucoup de gens préfèrent se contenter de « on a dit » au lieu d’avoir à fonder et à justifier leur position ; d’autres préfèrent faire semblant d’avoir une opinion alors qu’ils n’en ont guère : dans les deux cas, l’opinion (mythe ou réalité) satisfait le citoyen de la société démocratique.
Dans les démocraties modernes, plus on est superficiel davantage on a une image resplendissante et la croyance à une opinion publique toujours droite et souveraine légitime la superficialité.
Ce n’est donc pas étonnant de voir que les gens aiment fuir le débat argumenté en s’’opposant à l’inquisition de leur interlocuteur par des sentences du genre « tout le monde sait que … », « tout le monde est d’avis que… », « tout le monde reconnaît aujourd’hui que. .. ».Dans les médias, dans les places publiques et dans les moyens de transport, dès que quelqu’un est astreint à fonder son affirmation, il s’en sort avec la même feinte : c’est-à-dire en faisant observer la quasi-unanimité de l’opinion publique sur la question. Tout cela donne l’impression d’une société où tout le monde est cultivé, une société où tout le monde sait ce que cuisine le gouvernant.

Dans un univers aussi confus et délétère, la communication de l’homme politique, et principalement du Président de la République, est constamment la cible des faiseurs d’opinions. La difficulté ici est qu’un chef d’État doit rendre des comptes à son peuple, expliquer certains de ses choix et en même temps, faire face à une armée de détracteurs dont ni les motivations ni les arguments ne sont les mêmes.

Les opinions en politiques sont plus opiniâtres et plus puissantes que les idées : le Président a beau avoir de belles et fécondes idées, s’il ne trouve pas une armée aguerrie de communicateurs engagés et armés de science, ses idées apparaîtront comme des chimères.

Dans un univers où le marché évalue tout et régule tout, toute idée qui trouve preneur peut en fin de compte s’imposer. Or quand une opinion défavorable au régime se crée et trouve un monde de relayeurs et d’amplificateurs comme celui des politologues et des propagandistes, le pouvoir perd une partie de ses mécanismes.
Au 19e siècle déjà A. Comte suggérait le caractère essentiel de l’opinion dans la gouvernance du monde, lorsqu’il affirmait dans ses Cours de philosophie positives : « ce n'est pas aux lecteurs de cet ouvrage que je croirai jamais devoir prouver que les idées gouvernent et bouleversent le monde, ou, en d'autres termes, que tout le mécanisme social repose finalement sur des opinions ».

Comte savait déjà que la différence entre le pouvoir sur les hommes et celui sur les choses, c’est que les premiers sont doués de conscience et de volonté là ou les choses en sont dépourvues. Et puisqu’ils sont des êtres de volonté et de consciences, c’est le SENS qui est, en dernière instance, la racine profonde de tout pouvoir sur les hommes. Dès qu’ils ne trouvent plus de sens dans un régime ou que celui-ci tombe dans l’incapacité de leur en proposer un, c’est sa terne décadence.

Nous sommes dans des sociétés libres qui consacrent et réalisent effectivement la liberté individuelle, mais où l’homme est broyé et étouffé par une illusoire nécessité de se conformer à une opinion publique que nous créons tout en la subissant. Nous l’enfantons en y référant nos actions et nos jugements ; nous lui donnons la chaîne avec laquelle elle séquestre nos membres et étouffe notre liberté de penser.

« Selon une large opinion, le Président de la République doit démissionner, parce les tendances du vote pour les élections locales lui sont défavorables », « l’opinion publique est outrée par la déclaration du Président de la République sur la grève des enseignants», etc. De telles expressions inondent la littérature politique et journalistique et semblent partout attester de la vivacité de la démocratie.

Pensez-vous que la manière avec laquelle le Président Wade a utilisé les fonds politiques peut déboucher sur une révolte comme celle tunisienne ? Voilà une question à laquelle certains journalistes convient des citoyens à répondre, or tout le monde sait que ce n’est point une question.

De toute façon la personne à laquelle est destinée une telle question n’est peut-être même pas en mesure de faire une association aussi complexe. Les réflexions de N. Chomsky (Manufacturing consent) dans ce domaine, montrent que dans le choix des invités déjà, lors des débats initiés par la presse, il y a un jeu d’entrainement du public : les invités ne sont jamais choisis au hasard.

Le plus impressionnant, c’est la force avec laquelle l’animateur du débat met en demeure son invité récalcitrant, lui demandant alors d’être « concis », « précis » etc. : ces formules sont en fait des mesures de coercition intellectuelle destinées à « encercler » son invité pour l’empêcher subtilement d’aller au bout de son argumentaire.
Cette façon de procéder est héritée des systèmes totalitaires dont toute la force résidait dans la dissuasion et la persuasion suivant le style des grands rhétoriciens de l’antiquité qu’on appelait des sophistes.

Le problème pour ceux qui font référence à l’opinion publique pour faire valoir la justesse de leur thèse et pour ceux qui la subissent, c’est que l’opinion publique est tellement informe et subtile qu’elle est difficile à saisir. Pour les gouvernants, l’opinion publique est comme une sorte de partenaire ou (le plus souvent) d’adversaire invisible.
Elle est réelle, mais ses contours et sa dimension sont difficiles à cerner. Et s’il en est ainsi, c’est parce que chacun de ceux qui l’évoquent pensent que l’opinion publique lui est extérieure, qu’elle est une réalité objective coercitive contre laquelle rien ne doit être tenté : on doit s’y conformer autant que possible.

On comprend pourquoi la démocratie est un régime politique difficile à gouverner : gouverner les hommes tout en leur étant soumis ne sera jamais une tâche facile. Alfred Sauvy a dit de l'opinion publique, quelle est « souvent une force politique, et cette force n'est prévue par aucune Constitution».

La question est alors de savoir, comment gouverner avec ou contre une force politique, qu’aucune Constitution n’a prévue ? L’opinion est une force politique car elle influe sur les décisions politiques, mobilise des foules, conteste -avec des fortunes diverses- l’option politique et économique ponctuelle ou à long terme, des gouvernants.
Rarement on s’interroge sur la légitimité de cette béatitude immaculée de l’opinion publique. Et si l’opinion publique était devenue la nouvelle tyrannie de démocraties ?

Le problème dans nos sociétés technocratiques, c’est justement qu’il y a une caste de pseudos intellectuels, qui prétendent détenir un savoir mystifié dans un discours ésotérique, mais vide.

Le savoir est confisqué par des gens qui n’en sont pas forcément dépositaires. Ce paradoxe vient du fait qu’en usurpant l’espace public par une présence discontinue dans les sphères médiatiques, les politologues et autres faiseurs d’opinion congédient les vrais débats au rang de préoccupations futiles et purement spéculatives.
C’est d’ailleurs très regrettable de constater que, malgré le pluralisme médiatique dont on parle, il y a déficit d émissions culturelles où le débat purement intellectuel prévaut. Ces politologues sont en vérité de piètres idéologues propagandistes : ils ont des idées politiques mais n’ont guère le courage de les assumer.

La différence entre ces politologues et un propagandiste déclaré comme Bernays, c est le courage d’affirmer clairement ses convictions ou de vendre sa technique. Ils prétendent rendre des services à la démocratie, mais leurs choix et méthodes propagandistes leur ôtent la lucidité et la tolérance d’un esprit de démocrate.
Bref, pour une meilleure communication le régime de Wade, dans l’optique d’une reconquête de l’opinion publique, devra miser sur les actes plus que sur les mots.

Laisser parler la réalité, quelle que soit sa nature, est parfois plus significatif sur les plans du message et de la morale, que toutes les professions de foi. Nier l’évidence d’un mal en politique, c’est s’accuser implicitement d’incapacité à le juguler ; par contre l’avouer c’est déjà suggérer qu’on s’inscrit dans la perspective de sa résorption.
Il suffit d’une solidarité étroite et sincère entre les différents acteurs d’un groupe, pour que la communication soit cohérente et efficiente. Mais lorsque dans un même groupe des éléments se servent de la faiblesse d’autres éléments pour les vilipender dans la presse, la machine est désormais grippée et la communication s’avère laborieuse, contradictoire et mensongère.

La communication politique est une des sphères où le politique et les sciences sociales doivent faire preuve d’une synergie parfaite pour plus d’opérationnalité.
Un homme politique voudra beau être pertinent, éloquent et charismatique, s’il ne maîtrise pas les rouages de la communication, son discours peut rater sa cible.
Inversement, le professionnel de la communication a beau être expert dans son domaine, s’il ne se retrouve pas dans la vision de l’homme politique pour qui il travaille, son apport restera stérile.

Dans la communication comme dans l’art, il faut en plus du génie, avoir une sensibilité qui vit son monde : il faut sentir l’homme politique pour prétendre lui prodiguer un quelconque conseil en matière de communication.
Une des difficultés du régime de l’alternance est que ceux qui sont censés porter sa parole ne le sentent pas profondément dans leur chair et dans leur âme. C’est vrai qu’on ne peut plus, comme Joseph Goebbels, penser aujourd’hui que « c'est l'un des droits absolus de l'Etat de présider à la constitution de l'opinion publique », mais un État ne peut pas, sous le prétexte qu’il est libéral et démocratique, rester inerte face à la construction de l’opinion.
Celle-ci est certes volatile, frivole, intermittente et franchement déconcertante, mais on ne peut pas faire de la politique par ce qui devrait être : il faut prendre le monde humain tel qu’il est et avoir le courage et le temps d’analyser l’opinion publique dans un pays.

De même que les sciences de la nature permettent de pouvoir prévoir les évènements et variations des phénomènes, la connaissance des mécanismes sociaux de construction de l’opinion devrait donner à l’homme politique plus de moyens pour rehausser sa popularité lorsqu’elle décline dans l’opinion.

La politique n’est ni de l’idéalisme pur, ni du pragmatisme pur : c’est un mélange des deux. Il faut savoir circonscrire une cible avant de s’employer à l’atteindre, or dans le domaine de la communication politique, on est dans un terrain comparable à celui de la drague.
Pape Sadio THIAM
Journaliste
Doctorant en science politique
thiampapesadio@yahoo.fr
77 242 50 18/76 587 01 63



Samedi 2 Juillet 2011 - 02:01


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