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Gabon : une victoire électorale, et après ?



Gabon : une victoire électorale, et après ?
En légitimant le putschiste Oligui Nguema, les Gabonais tournent la page Bongo. La France, elle, consolide un rare bastion dans une Afrique en rupture.

Les électeurs gabonais n'auront pas à se rendre aux urnes pour le second tour. La messe a été dite dès le 12 avril 2025. La « performance » rappelle sans doute l'époque des partis uniques de la première décennie post-indépendance, mais ce score soviétique (plus de 90 % des suffrages) traduit une réelle adhésion autour de la personne du général Brice Clotaire Oligui Nguema. L'auteur du coup d'État du 30 août 2023 qui mit fin à la dynastie des Bongo, qu'il aura servie jusqu'au bout, dispose d'une indéniable assise populaire.

Ses opposants l'accusent (sans doute à raison) d'avoir mobilisé des moyens financiers disproportionnés et d'avoir aussi largement usé de son statut de chef d'État sortant pour battre campagne. Arrivé deuxième avec un peu plus de 3 % des suffrages, Alain-Claude Bilie By Nze, figure majeure de la vie politique gabonaise, dernier Premier ministre d'Ali Bongo Ondimba et principal challenger du général Oligui, a reconnu sa défaite non sans déplorer une « victoire arrachée dans des conditions opaques et contestables ».
 
Comme souvent en Afrique, le processus électoral n'a sans doute pas été exempt de tout reproche, mais en vérité le sort de l'élection était scellé depuis plusieurs mois. Et plus personne ne doutait de l'issue de l'élection. Mais l'ampleur de la victoire et le taux élevé de participation (près de 87 %), dont rêveraient les plus grandes démocraties de la planète, ne cessent d'interroger. Trois raisons au moins, peuvent expliquer celle-ci :
 
D'abord, ce militaire, lui-même issu de l'ancien monde, a su, par une extraordinaire métamorphose, se présenter en homme nouveau.
 
Ensuite, il a su faire rêver les populations. Celui qui se présente désormais comme un bâtisseur – c'était, en même temps, son projet politique et le nom de sa très large et très hétéroclite coalition électorale – a, dès les premiers mois de la transition, transformé le Gabon en un immense chantier à ciel ouvert.
 
De surcroît, alors qu'il avait annoncé dans un premier temps qu'il rendrait le pouvoir aux civils à l'issue d'une transition qui devait prendre fin en août 2025, le général Nguema, prenant de court la classe politique, a fait preuve d'habileté en menant au pas de course, en moins de deux ans, la transition militaire : coup d'État en août 2023 ; dialogue national en avril 2024 ; référendum en novembre 2024, présidentielle en avril 2025. Ce passage en force, parfois discutable, lui a permis de refermer en un temps record la parenthèse militaire et légitimer son pouvoir aux yeux de la communauté internationale.
 
 
Il est vrai que le contexte sous-régional a beaucoup joué en sa faveur. Le 14 mars 2024, à peine sept mois après avoir suspendu le Gabon, les pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), tenant compte « des avancées significatives dans le processus de retour à l'ordre constitutionnel marqué par l'adhésion du peuple et la mise en place d'un chronogramme pour une transition de 24 mois », avaient décidé de réintégrer le pays au sein de l'instance régionale. Pendant ce temps, à l'extrême ouest de l'Afrique, les juntes malienne, burkinabée, nigérienne et guinéenne s'enlisent dans un bras de fer à l'issue incertaine avec la Cedeao…
 
Que peut faire le nouveau président de sa victoire ?
Le pouvoir crépusculaire d'Ali Bongo, diminué par la maladie depuis plusieurs années, n'en finissait pas de se déliter. Au fond, c'est cette longue parenthèse qui se clôt avec l'élection du 12 avril. Et voilà que se referme définitivement la page du règne des Bongo, commencé avec Omar en 1967, poursuivi par Ali, mais, aussi, de tout un écosystème politique largement dominé par une poignée de fratries, de familles et de dynasties, d'une économie bâtie sur la captation des richesses par une minorité, d'un équilibre ethno-régionaliste extrêmement complexe et d'une administration pléthorique.
 
Tout le monde en convient désormais : de ce Gabon où l'argent coulait à flots, il faut observer la minute de silence. Reste qu'il faut en réinventer un autre. Mais alors même que tout pouvoir a besoin de contre-pouvoir, ne serait-ce que pour se prémunir de ses propres démons mais aussi pour la vitalité démocratique, l'opposition gabonaise, éclatée, décline chaque jour encore plus. Un score honorable de ce qui reste de l'opposition aux prochaines élections législatives serait salutaire pour le pays.
 
Les faibles scores cumulés des huit candidats de l'opposition à l'élection présidentielle devraient alerter. Comme, du reste, la très nette victoire du président élu, qui, loin d'être un chèque en blanc, est la dernière supplique d'une population majoritairement pauvre dans un pays riche mais surendetté, où tout est à « rebâtir ». À commencer par l'État, mais aussi le climat des affaires et la sécurité juridique qui, longtemps, ont été le talon d'Achille de ce pays. Rebâtir, aussi les infrastructures. Rebâtir enfin, les mentalités – c'est le président nouvellement élu lui-même qui l'affirme.
 
Sur le plan diplomatique, ce président, qui, étonnamment, a beaucoup voyagé durant la transition (36 fois, selon ses services), a compris que le Gabon, qui n'a jamais été un pays fermé sur lui-même, devait très vite reprendre toute sa place dans la sous-région et dans le monde. Il se trouve que les changements de politiques actés ou à venir entre la France et ses anciennes colonies d'Afrique subsaharienne pourraient profiter au Gabon. Ce pays, longtemps considéré jusqu'à la caricature, comme le laboratoire vivant de la Françafrique, du fait de la relation singulière qui liait Omar Bongo à la France, semble avoir misé pour la continuité avec Paris, qui, en retour, prend grand soin de son ancienne colonie. L'heure, ici, n'est pas à la fermeture de la base militaire française, mais au changement de vocation. Les 200 militaires français présents au Gabon en 2025 (contre près de 1 200 éléments il y a encore une décennie) se consacrent désormais essentiellement à la formation des forces de défense du pays.
 
On est bien loin du temps où les gouvernements français se concoctaient dans le bureau présidentiel du Palais de bord de mer, mais l'axe Paris-Libreville, pour dire vrai, est plus solide que jamais, et ce, depuis le début de la transition. Fait inédit dans les relations franco-africaines, à peine quelques mois après son coup d'État, le général Brice Clotaire Oligui Nguema a effectué une visite officielle en France en mai 2024, avant d'être de nouveau invité, quelques mois plus tard, en août 2024, aux cérémonies marquant les 80 ans du débarquement de Provence.
 

Par deux fois, les Gabonais ont répondu à l'appel du général Oligui Nguema : une première fois, en plébiscitant son coup d'État du 30 août 2023. Puis, une seconde fois, le 12 avril 2025. Le score obtenu par le chef de l'État et, plus encore, le taux exceptionnel de participation, ne sont rien d'autre que le reflet des défis, immenses, qui se dressent sur son chemin. Il s'est donné comme ambition de rebâtir le pays. On saura alors, à l'issue de son mandat de sept ans, s'il n'a pas été qu'un putschiste de trop dans la longue liste des coups d'État africains ou une brève parenthèse dans l'histoire du Gabon.
Il sait qu'il n'a pas droit à l'erreur. C'est pourquoi, lorsqu'il prêtera serment dans quelques jours, remonteront dans la mémoire de cet homme qui a si assidûment pratiqué la famille Bongo les souvenirs de l'an 2009. Cette année-là, un certain Ali Bongo Ondimba avait présenté à ses compatriotes un plan stratégique Gabon Emergent Vision 2025, articulé autour d'un nouveau projet de société « L'Avenir en confiance » et d'une nouvelle ambition : faire du Gabon un pays émergent en moins d'une génération. On sait ce qu'il advint de cette noble ambition.
 
 
 

Le Point

Jeudi 17 Avril 2025 - 21:50


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