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Le printemps des sociologues médiatiques



Le printemps des sociologues médiatiques
Quel est l’apport des sociologues dans la compréhension de notre vécu ? A quoi servent nos sociologues ? Les sénégalais se posent toujours ces questions légitimes face aux analyses au rabais des sociologues médiatiques. Cette nouvelle caste d’intellectuels médiatiques apporte des réponses à tout. Une prétention encyclopédique qui dévoile au grand jour la platitude de leurs interprétations. En réalité, ces gens sont appelés sociologues mais beaucoup de leurs pairs ont du mal à les reconnaître comme tels. Le simple fait que les humoristes se proclament sociologues est le reflet d’une image négative que l’opinion publique tienne de ces gens. Personne ne les prend au sérieux. Au lieu de procéder à l’étude scientifique des faits grâce à une méthodologie rigoureuse de recherche, les nouveaux sociologues préfèrent plutôt donner leurs avis, leurs opinions. Or, dans une société chaque acteur a une opinion (doxa) sur un fait donné. En fait, ce qui doit différencier le discours sociologique à celui du non-savant, c’est la méthode. C'est-à-dire le cheminement pour accéder à la vérité. Dans une interview croisée entre Kaly Niang et Djiby Diakhaté portant sur lesbianisme au Sénégal, les deux sociologues délivrent des analyses déroutantes. Selon Kaly Niang : « Le lesbianisme ou l’homosexualité féminine est une déviation, un comportement qui s’écarte de la norme. C’est une blessure de la conscience collective. Mais, plus qu’une simple dépravation, c’est une révolte contre l’harmonie des sexes voulue par Dieu. C’est la turpitude des turpitudes ». La première remarque à cette assertion concerne la formule « une révolte contre l’harmonie des sexes voulue par Dieu ». L’évocation de Dieu dans une analyse scientifique est un contresens. M. Niang oublie ou ignore que la croyance en Dieu est une construction sociale. Donc quelque chose qui n’est pas naturelle. En plus, de quel Dieu parle-t-il ? Puisqu’il existe une multitude de Dieu selon les croyances. L’islam, le christianisme, le judaïsme, le brahmanisme, le Shintoïsme, l’indouisme, etc., chacune de ces religions prône des valeurs parfois différentes des autres. Par conséquent un fait peut être accepté dans une société au nom de la religion et prohibé dans une autre société en référence aux valeurs religieuses. C’est l’exemple de la polygamie acceptée chez les musulmans et récusée par la foi chrétienne. « Vérité en deçà des Pyrénées et erreur au-delà », disait Pascal. Pour cela lorsque M. Niang parle de la « turpitude (qui signifie  laideur morale, action honteuse) des turpitudes », il émet un jugement de valeur sur une pratique.

Ce qui n’est pas le rôle du sociologue. D’ailleurs, son discours est plus proche du sermon des imams que de l’analyse scientifique qui doit déterminer les causes efficientes du phénomène. Il est aveuglé par des idées préconçues. Or, la première tâche d’un chercheur est de se départir des idées reçues qui obscurcissent la réalité véritable du fait social. C’est tout le sens du conseil d’Emile Durkheim qui demande au sociologue de considérer les faits sociaux comme des choses. Dans les règles de la méthode sociologique qui est le bréviaire de tous les étudiants en sociologie, Emile Durkheim recommande au chercheur de se départir de ses préjugés vulgaires, des prénotions qui empêchent de saisir les faits sociaux de manière objective. Dans la même lancée, Pierre Bourdieu dénonce les évidences qui nous cachent la réalité sociale parce que « nous sommes aveuglés par la détermination culturelle de nos habitus ». Toutes ces pensées s’inscrivent dans la logique Bachelardienne selon laquelle : « il n’y a de science que ce qui est caché ». Le sociologue comme tout homme de science doit aller au-delà des données immédiates, du sens commun pour découvrir les vérités cachées, sous-jacentes voilées par l’illusion de la transparence. Pour comprendre l’étiologie d’une pathologie, le médecin ne se suffit pas seulement aux causes apparentes. Il cherche à trouver des choses dont le malade ne parle pas, parce qu'il n'en est pas conscient ou qu'il oublie de les mentionner. Cela vaut aussi pour une science sociale qui s'occupe de connaître et de comprendre les causes réelles du malaise, lequel ne se fait jour que par des symptômes sociaux difficiles à interpréter. Ce péché originel, Khaly Niang l’a commis.

Plus loin dans le même texte, Kaly Niang dit ceci en parlant du lesbianisme : «  logiquement, on peut dire que ces traits culturels se sont développés du fait de la mondialisation de la culture, mais aussi de l’occidentalisation progressive des valeurs et civilisations ». Dans cette optique, il épouse la même idée de Djiby Diakhaté qui dit : « on a un système éducatif avec des curricula qui sont totalement travestis. C’est-à-dire, orientés plus vers les valeurs culturelles des pays du Nord que vers nos réalités locales ». Leur compère, Aly Khoudia Diao soutient la même chose lorsqu’il dit : « Nous sommes victimes de la mondialisation et de la globalisation. Comme toutes les autres sociétés, nous suivons le rythme immuable caractéristique de l'évolution. Nous sommes en contact avec d'autres cultures, nous sommes à un clic de l'Occident et la religion musulmane recule au Sénégal, dans sa forme "croyance". Notre culture est perpétuellement agressée par les chocs que nous recevons, aidée en cela par les nouvelles technologies de l'information et de la communication ». Ces analyses manichéistes oppose tradition/ occident. C’est un postulat selon lequel «  nous avons une tradition aseptisée alors que l’occident représente tout ce qui est pervers, mauvais et laid ». Cette idée souvent soutenue est fausse dans la simple mesure où chaque culture crée ses propres valeurs. Le mariage précoce ou l’excision sont des faits culturels appréciés en Afrique alors que la science prouve qu’ils sont la cause de drames sociaux effroyables. De telles idées (fondées sur une hiérarchisation des cultures) défendues par des penseurs comme Lucien Levi Bruhl ont donné une caution scientifique à la colonisation. Qui plus est, l’homosexualité n’est pas un fait importé de l’occident. C’est une réalité présente dans nos sociétés avant la colonisation et la mondialisation.
Des errements de cette nature sont notés dans d’autres analyses livrées par nos sociologues. Dans un reportage sur le couloir de la mort de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, intitulé mythe ou réalité Djiby Diakhaté tente de percer le mythe du « couloir de la mort ». Il dit : «  Le couloir de la mort  signifie tous les problèmes auxquels sont confrontés les étudiants pour accéder au savoir et à des études décentes. Les conditions d’études sont déplorables et le cadre social d’évolution précaire. Lorsque le nouvel étudiant emprunte ce couloir, il se dit qu’il a quatre ans de sévices marqués par un poids démographique exagéré, des conditions d’apprentissage difficiles, de logement et des conditions d’alimentation exécrable.  L’entamer est source d’incertitude et d’inquiétude. En traversant ce couloir, l’étudiant sort du domaine trouble des désirs pour entrer dans le monde merveilleux des idées. Le couloir tue le corps mais assure l’épanouissement. Ceci renvoie à l’interprétation psychologique de la mort qui est de lutter contre les désirs charnels et de privilégier la vie et l’esprit. D’autre part, la présence des étals renvoie l’image d’une ville qui se désorganise, où le commerce est partout présent». Cet éclairage du sociologue est assez surprenant. Il fait une analyse qui n’a rien à voir avec la réalité. Parce que la question du journaliste est la suivante : Pourquoi on appelle cette allée couloir de la mort ? Cette réponse doit surtout venir d’historien. J’estime que pour un sociologue se prononcer sur un tel sujet dénote un manque de rigueur. en plus, s’il avait pris la précaution d’interroger des étudiants sur l’origine du nom donné cette allée, une grande partie serait incapable d’y répondre. Donc, les étudiants n’ont pas forcément une relation émotionnelle ou psychologique avec cet endroit. C’est comme quelqu’un qui traverse un cimetière tout en ignorant qu’il marche sur des tombes. En plus, ce couloir n’a rien à voir avec les conditions d’étude et le cadre social. Tout cela explique sa réponse n’est qu’une simple logomachie.

C’est ainsi que nos sociologues tentent d’apporter leur contribution dans le débat public. S’il en est ainsi, tout le monde peut se revendiquer sociologue puisqu’il s’agit simplement de donner son point de vue sur un sujet donné. Loin d’être des benêts, ces sociologues visent plutôt à se faire en vue d’une promotion professionnelle. Pour y parvenir, ils usent de « sociologie spontanée » afin d’occuper constamment les médias.
Boubacar Diagne


Mercredi 15 Juin 2011 - 01:01


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