Certains se dénudent pour le plaisir, d'autres par conviction. En une dizaine d'années, militer nu est devenu (presque) une habitude dans les milieux écologiques, altermondialistes et pacifistes.
Samedi 3 octobre, Greenpeace vous a proposé de poser nu dans un vignoble du sud de la Bourgogne pour défendre le vin français, menacé par le changement climatique. Pas loin de 700 personnes se sont prêtés à l'exercice. L'ONG réédite sa collaboration avec le photographe Spencer Tunick, spécialisé dans les mises en scène de figurants nus. Elle n'est pas la seule à user de la nudité. La PETA est rompue à l'exercice du happening anti-fourrure, spécialisation jolies filles et le World Naked Bike Ride organise des promenades cyclistes à poil dans les grandes métropoles.
De façon moins formelle, des rassemblements fleurissent à l'occasion de grands raouts capitalistes ou sur les lieux de méfaits environnementaux, forêt amazonienne, barrages hydrauliques ou exploitations minières... On voit aussi dans les usines menacées de fermeture, des employés se mettre à nu. «Une peau d'ouvrier, ça coûte combien?», question posée par les ouvriers de Chaffoteaux, usine de chaudières des Côtes d'Armor, qui se sont dénudés devant un objectif. L'arme du nu est toute désignée pour ces causes. «C'est un moyen d'insister sur la fragilité, le côté organique de chacun et de toucher de façon directe et symbolique», m'a expliqué Philippe Colomb, fondateur de Vélorution, qui organise l'édition parisienne du World Naked Bike Ride.
Méthodes diverses
Les manifestations nues ressemblent parfois à un défilé classique où le corps peinturé sert de banderole. Dans ce cas, la logistique oblige à prévenir les pouvoirs publics, qui, souvent, imposent le port de la culotte. Pour déjouer la censure, les manifestants s'inspirent parfois des méthodes des «streakers» anglo-saxons, qui profitent d'événements médiatisés, souvent des matchs, pour courir nus sous les projecteurs. Certaines, enfin, revêtent une dimension esthétique. «Je pense par exemple à ces femmes, qui, en 2002, se sont allongées devant le Capitole en dessinant avec leurs corps les mots NO BUSH ou au photographe Spencer Tunick», commente Francine Barthe, sociologue, auteur de l'essai Géographie de la nudité, être nu quelque part (éditions Bréal).
Aucune célébration du corps, toutefois, dans ces manifestations où il se montre brut, poilu, moche parfois. Alors que l'on voit, placardée dans l'espace public, une nudité esthétisée, épilée, qui cache sexes et défauts, cette rhétorique du poil garde son pouvoir et parvient à choquer ou, au moins, intriguer. L'esprit n'est pas celui du naturisme, où la nudité sert son propre plaisir. Selon la sociologue, la filiation ne se situe pas dans les grands mouvements de libération sexuelle des années 70 ni dans la tradition naturiste, mais plutôt chez les anarchistes de la fin du XIXe, qui considéraient la nudité comme un acte public de révolte contre la société et l'ordre établi.
Pas des nudistes
Les gens qui manifestent nus ne sont donc pas forcément ceux qui se mettent à poil chez eux, dans leur jardin, ou à la plage. Il en va ainsi de Vincent, jeune directeur financier chez Lush, marque de cosmétiques naturels venue d'outre-Manche. La société anglaise a persuadé ses employés de se dévêtir, le 5 juin dernier, pour lutter contre le suremballage des produits (et lui faire un coup de pub). Cueilli lors de son baptême du nu, rue du Faubourg Saint-Antoine, Vincent affirmait: «C'est un challenge pour moi, au début c'est dur». On le comprend, même si son tablier nous dévoilait seulement son dos et ses fesses.
Rien de bien méchant, mais assez pour faire venir quelques caméras. Contrairement aux manifestations syndicales, dont le succès se mesure à l'aune de la participation, un spécimen à poil suffit à faire son petit effet. «Rien ne vaut une fesse ou deux pour attirer les médias», souligne Sylvane, employée de Lush et militante de la PETA. Commentaire de David, jeune activiste écolo, qui préfère, lui, éteindre les néons: «Si ça marche, pourquoi pas. Les meufs à poil ont un plus gros impact sur la gent masculine que le panda trop cool vu et revu». Cette remarque, un peu connotée, n'est pas du tout dans l'esprit de ces manifestations qui se veulent totalement asexuées.
Version trash
Il existe néanmoins une version plus trash où les militants copulent pour la planète. Pour collecter des dons, un couple de Norvégiens, acteurs pornos en herbe, a lancé le site Fuck For Forest en 2003. Pour 15 dollars, FFF propose un accès illimité d'un mois à «des centaines de photos et de vidéos de baiseurs idéalistes» et des «performances hebdomadaires en live». On peut aussi adhérer à la grande famille des «fuckers» et soumettre ses propres ébats, de préférence en milieu champêtre. Depuis ses débuts, le site aurait récolté plus de 100.000 euros. D'aucuns trouvent qu'ils y vont fort, WWF, par exemple, qui refuse les dons sulfureux de FFF.
Jusqu'où peut-on aller pour sauver la planète? D'un point de vue légal, la réponse est fonction du degré de tolérance des pouvoirs publics. A Londres, 1.200 cyclistes nus pédalaient dans les rues le 14 juin dernier. A Paris, aucun. Vélorution, l'organisateur des éditions de 2007 et 2008, a dû se rhabiller devant l'intransigeance de la Préfecture de Police. «Delanoë ne s'est pas mouillé et, malgré le soutien, en sous-main, de certains élus verts, nous avons dû annuler», explique Philippe Colomb, son fondateur. Au regard du code pénal, ces manifestations nues entrent dans le champ de l'article sur la répression de l'exhibition sexuelle, délit par lequel les militants écologiques ne se sentent pas du tout concernés. «On ne peut pas dire que le spectacle de quelqu'un nu sur un vélo soit une provocation sexuelle», rétorque Philippe Colomb. Argument recevable mais, en France, l'espace public reste un espace pudique.
D'un point de vue militant, ces manifestations sont un moyen efficace d'éveiller l'intérêt des journalistes en quête de sujet vendeur. Au risque que ces sexes nus occultent le message environnemental. On voit peu, dans les JT, d'images du massacre des phoques à la matraque, de déforestation à l'œuvre, d'élevage en batterie... Plutôt que dans le spectacle des culs nus, c'est là, peut-être, que sont les véritables tabous.
Anne de Malleray (Slate.fr)
Samedi 3 octobre, Greenpeace vous a proposé de poser nu dans un vignoble du sud de la Bourgogne pour défendre le vin français, menacé par le changement climatique. Pas loin de 700 personnes se sont prêtés à l'exercice. L'ONG réédite sa collaboration avec le photographe Spencer Tunick, spécialisé dans les mises en scène de figurants nus. Elle n'est pas la seule à user de la nudité. La PETA est rompue à l'exercice du happening anti-fourrure, spécialisation jolies filles et le World Naked Bike Ride organise des promenades cyclistes à poil dans les grandes métropoles.
De façon moins formelle, des rassemblements fleurissent à l'occasion de grands raouts capitalistes ou sur les lieux de méfaits environnementaux, forêt amazonienne, barrages hydrauliques ou exploitations minières... On voit aussi dans les usines menacées de fermeture, des employés se mettre à nu. «Une peau d'ouvrier, ça coûte combien?», question posée par les ouvriers de Chaffoteaux, usine de chaudières des Côtes d'Armor, qui se sont dénudés devant un objectif. L'arme du nu est toute désignée pour ces causes. «C'est un moyen d'insister sur la fragilité, le côté organique de chacun et de toucher de façon directe et symbolique», m'a expliqué Philippe Colomb, fondateur de Vélorution, qui organise l'édition parisienne du World Naked Bike Ride.
Méthodes diverses
Les manifestations nues ressemblent parfois à un défilé classique où le corps peinturé sert de banderole. Dans ce cas, la logistique oblige à prévenir les pouvoirs publics, qui, souvent, imposent le port de la culotte. Pour déjouer la censure, les manifestants s'inspirent parfois des méthodes des «streakers» anglo-saxons, qui profitent d'événements médiatisés, souvent des matchs, pour courir nus sous les projecteurs. Certaines, enfin, revêtent une dimension esthétique. «Je pense par exemple à ces femmes, qui, en 2002, se sont allongées devant le Capitole en dessinant avec leurs corps les mots NO BUSH ou au photographe Spencer Tunick», commente Francine Barthe, sociologue, auteur de l'essai Géographie de la nudité, être nu quelque part (éditions Bréal).
Aucune célébration du corps, toutefois, dans ces manifestations où il se montre brut, poilu, moche parfois. Alors que l'on voit, placardée dans l'espace public, une nudité esthétisée, épilée, qui cache sexes et défauts, cette rhétorique du poil garde son pouvoir et parvient à choquer ou, au moins, intriguer. L'esprit n'est pas celui du naturisme, où la nudité sert son propre plaisir. Selon la sociologue, la filiation ne se situe pas dans les grands mouvements de libération sexuelle des années 70 ni dans la tradition naturiste, mais plutôt chez les anarchistes de la fin du XIXe, qui considéraient la nudité comme un acte public de révolte contre la société et l'ordre établi.
Pas des nudistes
Les gens qui manifestent nus ne sont donc pas forcément ceux qui se mettent à poil chez eux, dans leur jardin, ou à la plage. Il en va ainsi de Vincent, jeune directeur financier chez Lush, marque de cosmétiques naturels venue d'outre-Manche. La société anglaise a persuadé ses employés de se dévêtir, le 5 juin dernier, pour lutter contre le suremballage des produits (et lui faire un coup de pub). Cueilli lors de son baptême du nu, rue du Faubourg Saint-Antoine, Vincent affirmait: «C'est un challenge pour moi, au début c'est dur». On le comprend, même si son tablier nous dévoilait seulement son dos et ses fesses.
Rien de bien méchant, mais assez pour faire venir quelques caméras. Contrairement aux manifestations syndicales, dont le succès se mesure à l'aune de la participation, un spécimen à poil suffit à faire son petit effet. «Rien ne vaut une fesse ou deux pour attirer les médias», souligne Sylvane, employée de Lush et militante de la PETA. Commentaire de David, jeune activiste écolo, qui préfère, lui, éteindre les néons: «Si ça marche, pourquoi pas. Les meufs à poil ont un plus gros impact sur la gent masculine que le panda trop cool vu et revu». Cette remarque, un peu connotée, n'est pas du tout dans l'esprit de ces manifestations qui se veulent totalement asexuées.
Version trash
Il existe néanmoins une version plus trash où les militants copulent pour la planète. Pour collecter des dons, un couple de Norvégiens, acteurs pornos en herbe, a lancé le site Fuck For Forest en 2003. Pour 15 dollars, FFF propose un accès illimité d'un mois à «des centaines de photos et de vidéos de baiseurs idéalistes» et des «performances hebdomadaires en live». On peut aussi adhérer à la grande famille des «fuckers» et soumettre ses propres ébats, de préférence en milieu champêtre. Depuis ses débuts, le site aurait récolté plus de 100.000 euros. D'aucuns trouvent qu'ils y vont fort, WWF, par exemple, qui refuse les dons sulfureux de FFF.
Jusqu'où peut-on aller pour sauver la planète? D'un point de vue légal, la réponse est fonction du degré de tolérance des pouvoirs publics. A Londres, 1.200 cyclistes nus pédalaient dans les rues le 14 juin dernier. A Paris, aucun. Vélorution, l'organisateur des éditions de 2007 et 2008, a dû se rhabiller devant l'intransigeance de la Préfecture de Police. «Delanoë ne s'est pas mouillé et, malgré le soutien, en sous-main, de certains élus verts, nous avons dû annuler», explique Philippe Colomb, son fondateur. Au regard du code pénal, ces manifestations nues entrent dans le champ de l'article sur la répression de l'exhibition sexuelle, délit par lequel les militants écologiques ne se sentent pas du tout concernés. «On ne peut pas dire que le spectacle de quelqu'un nu sur un vélo soit une provocation sexuelle», rétorque Philippe Colomb. Argument recevable mais, en France, l'espace public reste un espace pudique.
D'un point de vue militant, ces manifestations sont un moyen efficace d'éveiller l'intérêt des journalistes en quête de sujet vendeur. Au risque que ces sexes nus occultent le message environnemental. On voit peu, dans les JT, d'images du massacre des phoques à la matraque, de déforestation à l'œuvre, d'élevage en batterie... Plutôt que dans le spectacle des culs nus, c'est là, peut-être, que sont les véritables tabous.
Anne de Malleray (Slate.fr)
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