Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Crimes de guerre à Gaza: la justice française mise au défi face à l’impunité israélienne

Un dépôt de deux plaintes contre deux soldats franco-israéliens a été déposé ce 1ᵉʳ juillet à Paris par plusieurs ONG auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris. Elles accusent ces deux snipers d'« exécutions sommaires » de civils dans la bande de Gaza. Cette démarche pourrait représenter un virage dans le traitement judiciaire du massacre en cours dans l’enclave palestinienne.



La Fédération internationale des droits humains (FIDH) ainsi que ses organisations membres palestiniennes et françaises (Al-Haq, Al Mezan, le Palestinian Center for Human Rights et la Ligue des droits de l’homme), ainsi que l’Association France Palestine solidarité, demandent l’ouverture d’une enquête à l’encontre de deux soldats franco-israéliens, Sasha A. et Gabriel B. Ces ONG ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris, un pôle à la fois compétent pour les crimes contre l'humanité, les crimes et délits de guerres, les actes de torture et les disparitions forcées, mais aussi compétent quand des victimes françaises sont concernées par ces crimes, quand sont impliqués des auteurs de nationalité française ou encore quand ce sont des auteurs de crimes de nationalité étrangère, mais qui seraient présents ou résidents habituels sur le territoire français et qui auraient commis des crimes à l'étranger sur des victimes étrangères.
 
Sasha A. et Gabriel B appartiennent à l’unité 888 de tireurs d’élite de l’armée israélienne, le 9ᵉ peloton de la compagnie auxiliaire du 202ᵉ bataillon parachutiste. « Ghost Unit », ou « Refaim » en hébreu, est désignée comme une unité « fantôme » de quelques dizaines de soldats chargés d’effectuer des missions de « neutralisations ciblées ». « Ghost Unit » est majoritairement formée de bi-nationaux, israélo-éthiopien, israélo-américain, israélo-belge etc. Or, en ce qui concerne les Franco-Israéliens, cette bi-nationalité les expose à des poursuites lancées dans l’Hexagone.
 
Ces deux soldats ont participé au sein de cette unité aux opérations dans la bande de Gaza et sont accusés « d’atteintes volontaires à la vie », constitutives de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide. Quelque 4 000 ressortissants français serviraient actuellement dans les rangs de l’armée israélienne. Et selon la résolution de l’ONU que la France a voté le 18 septembre 2024, Paris a l’obligation de prendre des mesures contre les militaires franco-israéliens qui interviennent dans le territoire palestinien occupé.
 
« Il n'y a pas une “exception Israël”, il faut que la justice avance, pointe Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la FIDH. C'est la lutte contre l'impunité, parce qu'on sait bien que c'est l'impunité qui nourrit les crimes suivants. Et en fait, comme disent beaucoup d'observateurs juristes internationaux, il faudrait absolument une condamnation pour crime de guerre, crime contre l'humanité, voire génocide. Une première condamnation pour que d'autres puissent suivre. Ça marquerait le coup, ça marquerait la fin de l'impunité et ça changerait probablement la donne sur place. Mais ce ne sera pas suffisant pour arrêter le génocide en cours à Gaza. Parce que le temps de la justice est toujours un temps long, alors que l'urgence humanitaire, elle est là. Il faut un cessez-le-feu immédiat. Et ça, on sait bien que c'est politiquement que ce cessez-le-feu doit être obtenu, par la force de la diplomatie, pas par la force des armes mais par la force des sanctions, par la force de l'action de nos gouvernements. »

 
Une minutieuse enquête
Cette plainte repose sur un travail d'investigation réalisé en octobre 2024 par un journaliste palestinien indépendant, Younis Tirawi. Il a enquêté sur cette unité d'élite de l’armée israélienne et réalisé un documentaire de trente-huit minutes mis en ligne sur son compte X.
 
Le reportage de Younis Tirawi présente des vidéos sur le terrain, ainsi que des scènes filmées par des Palestiniens où l’on peut, entre autres, voir des civils, dont des enfants, des paramédicaux, tomber sous les balles des snipers. L’un des tirs mortels est lancé depuis plus d’un kilomètre... Les faits dénoncés se sont déroulés entre novembre 2023 et mars 2024, près des hôpitaux al-Nasser et al-Quds à Khan Younès, cibles de violents raids israéliens dès le lendemain du 7-Octobre. « Ghost Unit » opère dans des zones qui se situent hors de celles des combats. La vidéo dévoile également l'organigramme de cette unité fantôme avec l'identification de chacun des soldats d'élite. 
 
On y découvre aussi une interview du sergent-chef américano-israélien de l’unité de snipers, Daniel Raab, qui explique, face caméra, comment lui et ses hommes tirent sur des civils gazaouis non armés aux abords des deux hôpitaux. Les tireurs d’élite tirent sur les Palestiniens « s’ils se trouvent dans une zone désignée comme une zone de combat et s’il s’agit d’hommes en âge de servir dans l’armée. La question des femmes et des enfants fait l’objet d’un débat avec le commandement. (…) En tant que tireur d’élite, vous avez beaucoup d’indépendance, de responsabilité et de capacité de jugement (…). Dans certains cas, ils vous disent oui ou non, et dans d’autres cas, ils vous disent oui alors que vous avez l’impression que ce devrait être non (…) et alors, c’est à vous de décider. Vous tirez ». Daniel Raab affirme en outre fièrement avoir tué avec son unité au moins 120 Palestiniens dans le territoire assiégé en moins de cinq mois.
 
Les organisations à l’origine de la plainte déposée aujourd’hui affirment avoir recueilli des éléments de preuves importants permettant de corroborer les faits énoncés dans la vidéo du journaliste palestinien. « Grâce à nos organisations membres, à la FIDH, on a pu récolter des témoignages de victimes directes de snipers dans la zone et dans l'espace temps documentés par Younis Tirawi et ces témoignages précis de victimes, de snipers ou de membres de leur famille qui ont eu des proches tués par des snipers à l'entrée des deux hôpitaux en question, note Alexis Deswaef. Ces témoignages viennent compléter ce travail de récolte de preuves fait par ce journaliste palestinien. Et en ça, je pense que le dossier est exceptionnel. »
 
Pour afficher ce contenu X (Twitter), il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.
 
Accepter
Gérer mes choix
Ce que dit le droit
« La convergence des récits des témoins oculaires et de la documentation présentée par Tirawi indique clairement l’implication des mêmes tireurs d’élite dans une campagne coordonnée d’exécutions extrajudiciaires dans divers endroits de Gaza », note le communiqué de la FIDH. Prendre délibérément pour cible et tuer des civils dans l’intention de détruire une population viole des règles fondamentales du droit international, y compris des actes prohibés par la Convention sur le génocide.
 
« Dans les zones où l'unité intervient, stipule la plainte, la stratégie semble consister à ouvrir le feu sur toute personne en âge de servir dans l'armée, même en l'absence de menace manifeste. (...) Chaque tir effectué par les snipers a pour objectif non pas de blesser, mais de tuer (...) Ces crimes sont susceptibles de revêtir non seulement la qualification de crimes de guerre, mais aussi de génocide et d'autres crimes contre l'humanité. »
 
L'armée israélienne est de plus en plus pointée du doigt pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis dans la bande de Gaza. Dans ce contexte, puisque la France adhère à plusieurs traités internationaux -notamment les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, ainsi que de l'appartenance de la France au Statut de Rome de la Cour pénale internationale - les autorités françaises ont l'obligation juridique d'enquêter puis, si les faits sont avérés, de punir leurs ressortissants coupables de crimes relevant du droit international.
 
Cette plainte déposée le 1ᵉʳ juillet n’est pas une première depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza. En fin d’année dernière, la FIDH a annoncé porter plainte contre Yoel O. lui aussi soldat franco-israélien, pour faits de torture sur des prisonniers palestiniens. À cette heure, aucune enquête n’a été ouverte. Une première plainte classée sans suite au sujet du même soldat avait été classée sans suite par le Parquet national antiterroriste (Pnat) quelques mois plus tôt. Il y a un mois, deux informations judiciaires ont été ouvertes par le Pnat à l’encontre de deux Franco-Israéliens accusés de participation aux blocages de l’aide humanitaire.
 
À quelques kilomètres de la bande de Gaza, les Franco-Israéliens installés dans des colonies juives sont aussi visés par une plainte en France. L'association Avocats pour la justice au Proche-Orient (AJPO) a indiqué vendredi 4 juillet avoir déposé une plainte à Paris visant des Franco-Israéliens et des entités françaises qui se rendent, selon elle, auteurs ou complices du crime de colonisation. La plainte vise aussi des entités françaises, notamment des associations, qui recrutent en France des personnes souhaitant faire leur alyah (l'acte pour un juif de s'installer en Israël) afin qu'elles « intègrent des colonies de peuplement illégales ».
 
D’autres plaintes visant des soldats binationaux membres de « l’Unité fantôme » doivent être prochainement déposées en Italie et devant d’autres juridictions européennes. Des enquêtes sont déjà en cours en Afrique du Sud et en Belgique.
 
« La grande particularité de ce dossier, c'est que de manière tout à fait exceptionnelle, on a le matériel de preuve dès le dépôt de la plainte, des éléments de preuve importants, voire suffisants pour mener à des poursuites et à une condamnation, explique Alexis Deswaef. Ces éléments sont probants, accablants pour les personnes mises en cause. On a donc suffisamment d'éléments pour pouvoir les juger comme auteurs de crimes sur base des éléments de preuve recueillis, ou à tout le moins comme co-auteurs, voire comme complices en tant que membres de la “Ghost Unit” opérant collectivement à Gaza. Dans le documentaire, il y a notamment les vidéos, mais aussi cette interview du sergent-chef. Ce serait le cauchemar de n'importe quel avocat qui l'assisterait : voir son client s'auto-incriminer de la sorte quand il explique que, à 1,2 kilomètre de distance, en tant que snipers, ils tirent sur des civils non armés, ne présentant nullement une menace, tirent délibérément pour les tuer. C'est la définition même du crime de guerre. »

RFI

Dimanche 6 Juillet 2025 - 10:15


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter