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Fadi Wazni : « De nombreux pays africains investissent pour se doter localement de filières de transformation »



 
C’est désormais l’une des priorités des gouvernements africains pour assurer leur développement socio-économique. La politique du local content et de la transformation domestique des minerais semble avoir de beaux jours devant elle. Le premier enjeu permettrait de faire monter en compétences les travailleurs africains et de créer un réseau qualifié de sous-traitants. Le second serait même le « but ultime (…) pour l’ensemble des pays africains avec un puissant potentiel en minerais » selon Fadi Wazni , Président du conseil d’administration de la Société minière de Boké (SMB) et Président du conseil d’administration deUnited Mining Supply (UMS). 
 
Notion à la mode et programme politique 
 
Local content ( « contenu local » en français) : en Afrique, ces deux mots résonnent dans tous les palais présidentiels, ministères, sièges des grandes entreprises et des organisations régionales et continentales. Le principe est simple : les investisseurs étrangers doivent recruter à l’échelle d’un bassin d’emploi ; mobiliser un tissu de sous-traitants et fournisseurs locaux ; et surtout, déployer les outils nécessaires pour permettre une transformation locale des produits extraits des sols africains. Ce dernier aspect est d’ailleurs perçu comme leSaint-Graal pour valoriser la rente minière et faire passer le continent africain au niveau économique supérieur, en suivant, par exemple, la voie de développement des pays asiatiques. Un triptyque pour une notion désormais incontournable sur le continent. 
 
Plusieurs pays se sont ainsi dotés d’une solide législation relative au contenu local, tandis qu’au niveau régional plusieurs grands textes communautaires de l’UEOMA ou de la CEDEAO se sont alignés sur des standards similaires. Le local content est perçu comme l’une des réponses auxproblématiques systémiques du continent : des taux de chômage stratosphériques, un déficit de développement humain, des inégalités structurelles et des capacités de transformation des richesses naturelles encore marginales. 
 
D’autant que le continent africain ne manque pas de ressources. Naturelles autant qu’humaines. Le Sénégal possède par exemple une population de jeunes de 16 à 35 ans estimée à 5,5 millions en 2018. Un chiffre qui devrait grimper à 8,5 millions d’ici 2035. À l’échelle du continent, la moyenne d’âge est de 19 ans, contre 38 aux États-Unis et 43 en Europe. Pourtant, le taux d’activité des jeunes n’est que de 55 %, dont moins de 5 % en emploi formel. Un vivier inexploité, alors même que la question du coût ne se pose pas. « Il est (…) moins onéreux d’embaucher localement plutôt que de faire venir un expatrié », souligne ainsi le journaliste économique Christophe Le Bec. 
 
Un paradoxe qui s’explique largement. Ce vivier de bras se heurte à un déficit de compétences techniques et universitaires, résultant de la faiblesse des filières d’enseignement en Afrique subsaharienne. Les entreprises sont ainsi parfois obligées de rivaliser d’ingéniosité pour mettre en œuvre une politique effective de local content. Au Burkina Faso, le géant minier canadien Iamgold a déployé un programme ambitieux pour offrir aux citoyens burkinabè la possibilité effective de s’intégrer aux plus hautes fonctions du groupe : identification des hauts potentiels, mise en œuvre d’un plan de développement individuel et proposition de stages dans certaines universités ou au siège du groupe, au Canada, pour les plus prometteurs. Mais le choix d’importer des expatriés pour les postes de direction et de managements reste encore le modèle de base. Le recrutement local n’est cependant que la première étape pour réussir la transition manufacturière de l’Afrique, qui demeure encore trop marginale. Et qui apparaît comme un non-sens aux yeux de nombreux observateurs.
 
Fadi Wazni : « de nombreux pays africains investissent pour se doter localement de filières de transformation » 
 
« Lorsque les matières premières sont expédiées à l’état brut et les produits finis réexpédiés vers les marchés africains, nous assistons à la pire des tragédies, car non seulement il y a destruction de la planète, mais les coûts explosent », déplore le Professeur Kevin Urama dans un interview pour le journal français La Tribune Afrique . Plus question donc d’exporter à moindre-coût des minerais en Occident et en Asie pour importer ensuite des produits manufacturés. Un non-sens économique, mais aussi écologique. 
 
Dans de nombreux pays, les gouvernements fourbissent ainsi leurs armes pour faire s’installer des industries de transformation. Et ce, avec la perspective de faire émerger des champions africains, durablement implantés sur toute la chaîne de valeur. « Ce n’est pas un hasard si de nombreux pays africains investissent pour se doter localement de filières de transformation », affirme Fadi Wazni. Le choix apparaît d’autant plus comme particulièrement stratégique pour de nombreux pays, qui aspirent logiquement à se protéger de la volatilité des cours internationaux des matières premières pour se concentrer sur des productions plus stables et à plus hautes valeurs ajoutées.
 
Pressions gouvernementales pour transformer localement
 
En Guinée, par exemple, les opérateurs miniers ont dû présenter à la fin du premier semestre 2022 un plan d’action pour construire des raffineries de bauxite dans le pays. Mi-décembre, la RDC et la Zambie ont signé un protocole d’accord, sous la houlette des États-Unis, pour doter leurspays de capacités de production de batteries — aujourd’hui construites en Asie et en Occident — pour les voitures électriques, à partir de ressources extraites localement. Au Ghana, la Giadec supervise depuis 2018 la filière intégrée de l’aluminium et aspire à terme à l’ouverture de trois nouvelles mines, la construction de deux raffineries et la modernisation d’une fonderie. Fadi Wazni, qui a acquis la société française Alteo, numéro un mondial de l’alumine de spécialité, compte quant à lui désormais déployer une raffinerie en Guinée. Fadi Wazni est d’ailleurs un fervent soutien de la politique de local content, qu’il applique dans ses installations guinéennes : « Dans le cas de la filière mine, (il faut) activer des mécanismes de soutien à la création de sous-traitants compétents et efficaces et développer des outils en faveur de l’amélioration des conditions de travail et de formation des employés », souligne-t-il au magazine FinancialAfrik . 
 
La conquête du local content n’a pas vocation à se circonscrireà l’industrie minière mais pourrait désormais englober la quasi-totalité des secteurs économiques, comme l’agroalimentaire, où le modèle d’exportation de ressources et d’importation de produits transformés reste la norme. « Ce modèle fonctionnant sur les importations a vécu. Et, quand on sait que l’on dispose de tout ce qu’il faut sur place pour réaliser des sodas — eau, noix de cola, gomme arabique, sucre, fruits… —, c’est même un non-sens », explique ainsi à Jeune Afrique Emmanuel de Tailly, ancien dirigeant de la SABC, filiale de Castal au Cameroun .
 
L’Afrique encore très loin du compte 
 
Si les volontés gouvernementales ne manquent pas, certains freins demeurent. La transformation domestique des minerais est très gourmande en énergie et demande ainsi des investissements structurels préalables massifs. Les infrastructures, qu’elles soient routières, ferroviaires et portuaires, doivent aussi être prêtes à encaisser une montée en charge, tandis que la disponibilité du réseau de sous-traitants qualifiés demeure limitée. Dans le même temps, le déficit de compétences ne peut être contrecarré que par une montée quantitative et qualitative des centres d’enseignement qui ne devrait montrer ses premiers résultats qu’au bout de plusieurs années, même si la volonté politique est suffisante. Le chemin à parcourir est encore long avant d’en finir avec ce « non-sens » : le secteur manufacturier africain ne représente que 15 % du PIB en Afrique subsaharienne, contre 25 % en Asie du Sud-Est.



Lundi 30 Janvier 2023 - 11:43


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