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La Côte d’Ivoire au Fipadoc: «Aya est la première héroïne avikam du cinéma»

Lahou-Kpanda, une petite presqu’île en train d’être engloutie par la mer et une fille de 14 ans qui vit la disparition de son paradis au large de la Côte d’Ivoire se trouvent au cœur du film du réalisateur Simon Coulibaly Gillard. Présenté au Festival international du documentaire (Fipadoc) à Biarritz, « Aya » est à la fois un portrait des dangers du changement climatique et d’une fille en train de devenir adulte. Entretien.



RFI : Comment un réalisateur vivant en Belgique se retrouve-t-il sur une petite presqu’île au large de la Côte d’Ivoire ?
 
Simon Coulibaly Gillard : J’ai rencontré cette île un peu au hasard. J’étais en repérage en Côte d’Ivoire et mon véhicule est tombé en panne aux portes de cette île. Cela m’a donné la chance de rencontrer tous ces personnages de cette ethnie Avikam, leur beauté et leur problématique. Cela m’a donné envie de construire avec eux un film qui raconte leur quotidien.
 
Cette presqu’île coincée entre mer et lagune paraît au début très idyllique. Est-ce un film paradisiaque ?
 
C’est la raison pour laquelle je me suis intéressé en premier lieu à cet endroit. C’est un lieu sans électricité, il n’y a pas de routes, pas de véhicules, pas de moteurs… Tout est fait de sable, on s’éclaire à la bougie, on entend le son de la mer en continu, il y a des cocotiers… on pense vraiment à un paradis. Puis on découvre les problématiques du lieu, par exemple l’exhumation du cimetière, parce qu’il est dévoré par l’avancée des eaux, le fait de devoir déménager l’intégralité du village, parce que la mer est en train de recouvrir cette île. En comprend finalement que le paradis n’existe plus et qu’il y a une problématique urgente à régler.
 
La montée des eaux est omniprésente dans le film, mais la question du pourquoi n’est jamais ouvertement abordée dans le film.
 
La raison de la montée des eaux est multiple. Moi, j’ai choisi d’axer cette empathie et la compréhension de ce phénomène géologique autour de l’empathie qu’on peut avoir avec cette jeune fille et raconter ce qui se passe quand on a 14 ans, quand on a grandi dans un territoire, une identité, une langue, et quand tout cela va disparaître…
 
De mon point de vue de cinéaste, il est plus important de vivre les conséquences de ce problème que de connaître les causes de ce problème. C’est ainsi qu’on peut davantage toucher le spectateur et essayer de s’approcher d’une possible solution.
La première est évidemment le réchauffement climatique, qui ne fait pas nécessairement monter le niveau à cet endroit, mais qui a changé les courants marins. Il s’agit d’une banque de sable, donc ces courants marins viennent éroder le littoral et mange le sable sous les maisons qui s’écroulent et disparaissent sous la mer.
 
Mais, il y a encore une autre raison à cela. Quand les colons sont arrivés et pendant tout le temps où ils étaient présents dans ce port, ils ont stabilisé la lagune – en rajoutant des pierres, des brise-lames, etc. Ainsi, ils ont stabilisé le littoral et construit une ville en dur, une mairie, des églises, des bâtiments… Ils ont construit une ville qui n’était plus nomade comme elle l’a pu être dans le passé avec les pêcheurs, mais une ville sédentaire. Et quand les colons sont partis, ils ont laissé très peu de savoir-faire et aucune machine. Donc, ils n’ont pas laissé la possibilité aux locaux de faire perdurer cette stabilisation qui, petit à petit, s’est érodée, et a laissé place à la mer pour faire son travail de sape.
 
Vous présentez votre film dans le cadre d’un festival du documentaire. Pour construire votre récit, vous avez utilisé beaucoup de faits réels, mais vous avez également eu recours à une part de fiction. Où se situe pour vous la frontière entre le documentaire et la fiction ?
 
La frontière est très poreuse. En tant qu’auteur, je travaille avec des outils de cinéma qui sont un peu les mêmes dans le documentaire et la fiction : on a besoin d’empathie, de compréhension, de personnages qui font véhiculer des émotions. Là où se situe le documentaire dans ce film, c’est certainement dans sa fiction. Tout le film est écrit à plusieurs mains, avec les gens du village qui, en me racontant leurs anecdotes et leurs expériences de vie, m’ont permis de tisser une histoire autour d’un personnage unique. Et la fiction de ce film est d’avoir choisi une héroïne et de l’avoir choisie comme porte-parole de tous les problèmes de ce village. Finalement, tout ce qu’on voit dans le film est vrai. Ce n’est peut-être pas l’histoire originelle de Marie-José qui interprète le premier rôle d’Aya, mais Aya porte sur ses épaules tous les problèmes du village que les gens du village ont pu me partager.
 
Aya est en compétition dans la catégorie Documentaire impact. Pendant le tournage d’un an, vous avez vu avec vos propres yeux une centaine de maisons disparaître suite à la montée des eaux. Quel impact espérez-vous provoquer avec votre film ?
 
Je ne peux avoir la prétention de dire que le film peut changer le destin de ce village. Mais, peu à peu, ce village et de nombreuses autres populations qui souffrent de problèmes environnementaux permettent de faire comprendre à des personnes plus éloignées du problème, que le problème est ici et maintenant pour d’autres personnes. Des personnes pour lesquelles on doit avoir de l’empathie, parce que ce sont nos frères et nos sœurs. L’humble récit de ce film est de raconter que des personnes sont en danger et se battent pour leur survie et la survie de leur identité.
 
Vous êtes né en Bulgarie, adopté en France, vous avez étudié en Belgique où vous vivez aujourd’hui. Et vous avez réalisé déjà quatre films en Afrique. Ce lien très fort avec le continent africain, par qui ou par quoi a-t-il été créé ?
 
C’est une relation que je tisse depuis presque dix ans. Mais j’ai du mal à expliquer pourquoi. C’est comme avec une relation amoureuse qu’on a du mal à expliquer. C’est quelque chose qui est lié à des rencontres. Quand je filme des personnes sur l’ile de Lahout-Kpanda ou dans une mine d’or au Burkina Faso ou des enfants du Mali, les personnes que je filme me renvoient un besoin, une nécessité d’exister bien plus forte et importante que lorsque j’essaie de filmer mes modèles français ou belges. Leur besoin d’exister aux yeux des autres me donne du courage de faire un film. Faire un film, c’est long, et leur énergie et leur besoin de défendre leur identité et leur langue font que j’ai envie de faire un film avec eux.
 
De tourner en langue avikam, est-ce pour vous l’un des éléments les plus précieux de votre film ? 
 
Ce qui est précieux est le fait qu’il y a quelque chose d’unique, d’exceptionnelle dans le fait d’avoir une héroïne avikam. Peut-être Aya est la première héroïne avikam du cinéma. En tout cas, c’est quelque chose qui me touche particulièrement. Cette langue avikam est déjà très peu parlée et elle le sera de moins en moins. C’est important de véhiculer cette diversité de cultures, d’habitus et de diversité linguistique.

RFI

Mercredi 19 Janvier 2022 - 08:32


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