RFI : Qu’est-ce que la Zlec, une zone de libre-échange, comme le dit son nom ? Certains analystes parlent de « marché commun » ou d’ « union économique » ? Quel serait le terme le plus adéquat pour décrire le projet ?
Jean-Joseph Boillot : Le traité constitutif de la Zlec, soumis à la signature et ratification dès mars 2018, propose de créer une zone de libre-échange au sein de laquelle les pays s’entendent pour abaisser les barrières commerciales existantes entre eux. L’objectif est d’aller à terme vers une entité continentale qui ressemblera à l’Union européenne actuelle, c’est-à-dire vers une zone de libre-échange, doublée d’un marché commun caractérisé par la libre circulation des investissements et des travailleurs, et d’une union douanière qui implique une politique commerciale commune à l’endroit des pays extérieurs à la zone. Si les négociations sont bien avancées sur la question de la libre circulation des facteurs de production et de l’union douanière, elles s’avèrent particulièrement difficiles pour la création d’une union douanière. Pourquoi ? À cause des relations privilégiées que la plupart des pays africains entretiennent avec leurs partenaires européens et les nouveaux partenaires issus du monde émergeant, notamment la Chine. L’Union européenne qui a servi de modèle aux Africains est aussi partiellement une union économique, dotée d’une monnaie commune.
L’objectif avoué des pères fondateurs de la Zlec est de donner un coup de fouet au commerce intra-africain qui stagne à 15% contre environ 47% en Amérique, 61% en Asie et 67% en Europe. Comment s’explique cette faiblesse du commerce intracontinental africain ?
Cette situation est un legs de l’époque coloniale. Les axes commerciaux dont les pays africains indépendants ont hérité reposent sur les routes développées d’une part pour acheminer vers les côtes les matières premières exportées à destination des métropoles impériales, et pour transporter d’autre part des produits manufacturés importés, plutôt que pour permettre le négoce à l’intérieur du continent. Depuis, les Africains n’ont jamais réussi à changer leur positionnement dans le commerce international : le continent est resté un grand pourvoyeur de matières premières pour les pays industrialisés, et aujourd’hui, pour les pays émergents comme la Chine. Rien n’illustre mieux cette situation que l’état catastrophique des infrastructures routières à l’intérieur des pays. Les seules routes praticables sont celles qui sont orientées vers les ports. Il n’est donc pas étonnant que cela coûte moins cher aux marchands ougandais de faire venir des machines à laver de Shanghai que du Nigeria, pourtant beaucoup plus proche géographiquement !
Jean-Joseph Boillot : Le traité constitutif de la Zlec, soumis à la signature et ratification dès mars 2018, propose de créer une zone de libre-échange au sein de laquelle les pays s’entendent pour abaisser les barrières commerciales existantes entre eux. L’objectif est d’aller à terme vers une entité continentale qui ressemblera à l’Union européenne actuelle, c’est-à-dire vers une zone de libre-échange, doublée d’un marché commun caractérisé par la libre circulation des investissements et des travailleurs, et d’une union douanière qui implique une politique commerciale commune à l’endroit des pays extérieurs à la zone. Si les négociations sont bien avancées sur la question de la libre circulation des facteurs de production et de l’union douanière, elles s’avèrent particulièrement difficiles pour la création d’une union douanière. Pourquoi ? À cause des relations privilégiées que la plupart des pays africains entretiennent avec leurs partenaires européens et les nouveaux partenaires issus du monde émergeant, notamment la Chine. L’Union européenne qui a servi de modèle aux Africains est aussi partiellement une union économique, dotée d’une monnaie commune.
L’objectif avoué des pères fondateurs de la Zlec est de donner un coup de fouet au commerce intra-africain qui stagne à 15% contre environ 47% en Amérique, 61% en Asie et 67% en Europe. Comment s’explique cette faiblesse du commerce intracontinental africain ?
Cette situation est un legs de l’époque coloniale. Les axes commerciaux dont les pays africains indépendants ont hérité reposent sur les routes développées d’une part pour acheminer vers les côtes les matières premières exportées à destination des métropoles impériales, et pour transporter d’autre part des produits manufacturés importés, plutôt que pour permettre le négoce à l’intérieur du continent. Depuis, les Africains n’ont jamais réussi à changer leur positionnement dans le commerce international : le continent est resté un grand pourvoyeur de matières premières pour les pays industrialisés, et aujourd’hui, pour les pays émergents comme la Chine. Rien n’illustre mieux cette situation que l’état catastrophique des infrastructures routières à l’intérieur des pays. Les seules routes praticables sont celles qui sont orientées vers les ports. Il n’est donc pas étonnant que cela coûte moins cher aux marchands ougandais de faire venir des machines à laver de Shanghai que du Nigeria, pourtant beaucoup plus proche géographiquement !
C’est une critique qui vous paraît recevable ?
J’ai une approche moins idéologique, et, je crois, plus balancée de la question. Tout comme la Belgique, le Luxembourg ou l’Irlande dans l’Union européenne, les petits pays africains ont besoin de s’appuyer sur un grand marché pour se développer. Il n’est donc pas accidentel que ce soit sous la présidence de Kagame du Rwanda – un petit pays - que le projet de la Zlec se soit concrétisé. Mais les Nigérians n’ont pas tort de parler d’ingérence ou d’invasion car cette zone de libre-échange continentale dont la création a été applaudie des deux mains par les partenaires non-Africains des pays du continent est aussi l’opportunité pour les multinationales étrangères, déjà présentes en Afrique, pour renforcer leurs investissements afin de toucher l’ensemble du marché africain. Ainsi, Renault qui fait fabriquer ses voitures au Maroc va pouvoir les exporter vers le Nigeria, mais les industries automobiles de cette dernière ne peuvent pas rivaliser avec les industries plus efficaces et hautement technologiques d’Europe. D’où l’importance des négociations en cours pour déterminer quelle proportion d’intrants africains est nécessaire dans un produit pour qu’il soit considéré comme africain, donc exempt de droits de douane au titre de la préférence continentale. Le Nigeria milite pour une valeur ajoutée d’origine africaine de 70%, alors que d’autres partenaires jugent cette proportion trop élevée. La bataille risque de durer un certain temps.
Les économistes de l’Union africaine ou proches de l’UA estiment pour leur part que l’entrée en vigueur de la zone de libre échange continentale bénéficierait aussi les petits pays parce que les usines des grands pays vont s’approvisionner chez eux, relançant l’économie et l’emploi. Qu’en pensez-vous ?
J’ai une approche moins idéologique, et, je crois, plus balancée de la question. Tout comme la Belgique, le Luxembourg ou l’Irlande dans l’Union européenne, les petits pays africains ont besoin de s’appuyer sur un grand marché pour se développer. Il n’est donc pas accidentel que ce soit sous la présidence de Kagame du Rwanda – un petit pays - que le projet de la Zlec se soit concrétisé. Mais les Nigérians n’ont pas tort de parler d’ingérence ou d’invasion car cette zone de libre-échange continentale dont la création a été applaudie des deux mains par les partenaires non-Africains des pays du continent est aussi l’opportunité pour les multinationales étrangères, déjà présentes en Afrique, pour renforcer leurs investissements afin de toucher l’ensemble du marché africain. Ainsi, Renault qui fait fabriquer ses voitures au Maroc va pouvoir les exporter vers le Nigeria, mais les industries automobiles de cette dernière ne peuvent pas rivaliser avec les industries plus efficaces et hautement technologiques d’Europe. D’où l’importance des négociations en cours pour déterminer quelle proportion d’intrants africains est nécessaire dans un produit pour qu’il soit considéré comme africain, donc exempt de droits de douane au titre de la préférence continentale. Le Nigeria milite pour une valeur ajoutée d’origine africaine de 70%, alors que d’autres partenaires jugent cette proportion trop élevée. La bataille risque de durer un certain temps.
Les économistes de l’Union africaine ou proches de l’UA estiment pour leur part que l’entrée en vigueur de la zone de libre échange continentale bénéficierait aussi les petits pays parce que les usines des grands pays vont s’approvisionner chez eux, relançant l’économie et l’emploi. Qu’en pensez-vous ?
Tous les économistes sérieux vous le diront que le libre-échange permet de gagner en productivité en réalisant des économies d’échelle. Si on gagne en efficacité, c’est obligatoirement aux dépens de l’emploi. C’est l’un ou l’autre.
Quoi qu’il en soit, l’idée la création de la zone de libre-échange, débouchant éventuellement sur l’avènement d’une Communauté économique africaine, est populaire en Afrique car elle est perçue comme l’aboutissement du rêve panafricain. ? N’est-ce pas paradoxal puisque la Zlec relève avant tout de l’idéologie afrolibérale ?
Les grandes voix de l’indépendance africaine, dont Kwame Nkrumah, ont tous été des panafricanistes, qui souhaitaient développer le libre-échange au niveau du continent, tout en se protégeant des impérialismes occidentaux. Une dimension qui manque dans cet accord de libre-échange, que les pays africains sont en train de ratifier. J’étais très très désagréablement surpris à la lecture du document final du traité de libre-échange qui n’affirme nulle part la nécessité pour l’Afrique de protéger son industrie naissante. On a sacrifié le développement endogène.
Quoi qu’il en soit, l’idée la création de la zone de libre-échange, débouchant éventuellement sur l’avènement d’une Communauté économique africaine, est populaire en Afrique car elle est perçue comme l’aboutissement du rêve panafricain. ? N’est-ce pas paradoxal puisque la Zlec relève avant tout de l’idéologie afrolibérale ?
Les grandes voix de l’indépendance africaine, dont Kwame Nkrumah, ont tous été des panafricanistes, qui souhaitaient développer le libre-échange au niveau du continent, tout en se protégeant des impérialismes occidentaux. Une dimension qui manque dans cet accord de libre-échange, que les pays africains sont en train de ratifier. J’étais très très désagréablement surpris à la lecture du document final du traité de libre-échange qui n’affirme nulle part la nécessité pour l’Afrique de protéger son industrie naissante. On a sacrifié le développement endogène.
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