Traverser Dakar-Plateau sans l’image de son mythique marché Sandaga, c’est comme si la ville a été amputée de son cœur. Ce dernier ayant été arraché, depuis dimanche, la capitale ne respire plus. Elle est à l’agonie. La grouillante rue qui mène vers l’avenue Emile Badiane et où voitures et passants se disputaient la chaussée, est vide de ses occupants habituels. Sans âme ! L’image de carte postale, qu’aucun touriste ne voulait rater, disparaît également avec la démolition du plus grand marché de la capitale, poumon de l’activité commerciale. Le grand bâtiment de style néo-soudanais au centre de Dakar Plateau, construit en 1935, n’est plus qu’un amas de pierres et de ferrailles. « Hé hé hé, c’est à toi que je parle ou bien tu fais le sourd ? Je te demande de laisser la table là où tu l’as trouvée. Si tu veux de la ferraille, il faut demander ok ?», dit un homme, l’allure imposante, à un jeune « Budjuman » (enfant de la rue récupérateur d’ordures) qui essayait de s’emparer d’une barre de fer dont la vente aurait pu lui assurer son déjeuner.
Rien ne reste du bâtiment construit sur deux étages et qui accueillait des vendeurs de produits alimentaires, de cosmétiques, de tissus, d’appareils électroménagers, de téléphones portables, des tailleurs etc. Bref, tout se vendait et se faisait à Sandaga. Un vieux marché qui était presque en ruine et qui a résisté à plusieurs pouvoirs avant de tomber sous Macky Sall. Ce qui fait que certains considèrent cette démolition du vieux marché comme un exploit face à la résistance des commerçants depuis plus de 20 ans. L’idée d’en faire un musée avait été agitée sous la magistère du président Abdou Diouf sur proposition de l’ancien ministre de la Culture, Abdoulaye Elimane Kane. Enfin tombé, Sandaga se résume aujourd’hui à un amas de pierres et de ferraille que des « budjumen » se disputent avec l’espoir de ramasser un trésor dans ce qui était certainement une banque pour les commerçants. Et de fait, depuis dimanche, tous les misérables de la ville se retrouvent à Sandaga dans l’espoir d’y ramasser un trésor.
Nullement indisposés par l’odeur repoussante et la poussière, ces miséreux vaquent tranquillement à leurs activités. L’espace donne les allures d’un Mbeubeuss (Ndlr, décharge publique de la capitale) avec des tas d’ordures de toutes sortes. En plus des débris de cantines, de la ferraille, de tables démembrées etc. il y a aussi des restes de nourritures, des appareils électriques et même des capotes, preuve que Sandaga accueillait aussi des rendez-vous interdits. Rien ne pouvait empêcher les « budjumen », ces rebuts de la société, de fouiller dans les décombres alors que le soleil dardait ses rayons sur la capitale plongée dans une forte chaleur caniculaire.
Derniers instants d’un symbole de la capitale
En face du rond-point Sandaga, des commerçants devisent tout en assistant aux derniers instants de démolition de leurs cantines, attendant certainement de regagner leur nouveau site de recasement, le temps que la capitale reprenne vie. Lamine Diba, la trentaine, fait des va-et-vient et discute avec ses aînés. Le jeune homme n’est pas trop affecté par la démolition de Sandaga qu’il trouve normale. « Je suis à Sandaga depuis dix ans. Tout déguerpissement est difficile mais je pense que c’est raisonnable. Nous ne pouvons que saluer la décision du ministre de l’Urbanisme. Quand on veut développer un pays, il faut vraiment que les populations acceptent certaines choses qu’on leur impose. Nous, qui sommes à Sandaga, savons pertinemment que c’est ça la bonne solution pour la ville. Il faut aussi noter que le ministre a fait son devoir et il nous a donné des cantines. Ce que nous avons, nos collègues des autres marchés ne l’ont pas. On ne peut que remercier Dieu pour ça. Même si actuellement nos activités sont à l’arrêt », a expliqué le jeune commerçant, un papier à la main.
A côté de lui, ils sont nombreux à parler et répondre aux questions des journalistes qui ont investi les lieux. Réfugié à l’ombre d’une cantine, Abdou Khadre, la cinquantaine, reste optimiste sur leur avenir et souhaite que leur site de recasement soit meilleur que Sandaga tout en doutant qu’il puisse remplacer la popularité de ce vieux marché . « Avec la démolition de Sandaga, c’est beaucoup de souvenirs qui s’évaporent. Certains d’entre nous sont venus ici alors qu’ils étaient en culottes courtes. Ce sont nos pères et nos oncles. Mais la vie est ainsi faite et le monde change de visage à chaque fois. Par exemple, ce qui se faisait du temps de Abdou Diouf ne peut plus se faire aujourd’hui sous le magistère de Macky Sall. Il faut aussi reconnaître qu’il était temps de reconstruire le marché, car il y avait énormément de risques à cause de la vétusté des bâtiments. Comme ils (Ndlr, les gens du gouvernement) nous ont promis de nous donner des places, et c’est aussi notre vœu, il ne faut pas oublier non plus que le président avait dit qu’on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Nous sommes d’accord sur cette décision. J’ai fait 40 ans à Sandaga. J’étais tout petit à l’époque, quand je débutais ici », informe-t-il tout en se rappelant les bons moments vécus dans ce marché.
D’autres commerçants , loin de ce tintamarre, filmaient les dernières heures du poumon commercial de la capitale. Le septuagénaire Samba Kassé, marchant à pas feutrés et accompagné de son enfant, s’entretient avec ses collègues commerçants avant de s’engouffrer dans son véhicule 4x4. « Je crois en Dieu et je remets tout entre Ses mains. Je suis à Sandaga depuis 1959. Ce n’est pas nous qui décidons. On ne peut que se résigner et accepter ce qu’on nous donne. Cette démolition est normale. Il y a aujourd’hui beaucoup de bâtiments qui n’étaient pas encore construits dans les parages alors qu’aujourd’hui, la ville est remplie d’immeubles. Juste pour vous dire que le monde marche ainsi. Le seul hic est que depuis la démolition du marché, on ne travaille pas. C’est difficile mais on ne peut que prendre notre mal en patience », a-t-il lancé avant de s’en aller.
Le président de l’association « And Tawaxu Sandaga » (ATS), Daouda Diouf, qui exerce à Sandaga depuis 1978, estime qu’il y a eu plus de peur que de mal. Le ressortissant de Dahra se félicite du fait que ses collègues n’ont pas subi de dégâts lors de la démolition parce qu’ils ont été avertis à temps et ont fini par faire déménager tous leurs bagages. « Nous sommes les premiers à avoir demandé au président de la République de nous reconstruire le marché et il a accepté. Donc, c’est normal que cette démolition se fasse. Les commerçants avaient juste décrié quelques désagréments, mais tout est rentré dans l’ordre. Ce qui est clair, nous n’avons jamais dit qu’on ne partirait pas. A vrai dire, on peut dire que la démolition n’a pas fait de dégâts puisque les 99 % des commerçants ont tous pris leurs bagages. Il n’y a aucun problème à ce niveau, même si cette démolition a trouvé certains dans leurs villages pour la Tabaski », a indiqué le natif de Dahra qui salue l’initiative de ceux qui veulent faire de Sandaga un centre moderne. « Nous demandons juste aux autorités de continuer de faire le suivi dans nos nouveaux locaux. Car, il faut aussi qu’on se dise la vérité, dans une place d’un mètre carré, un commerçant ne peut travailler normalement. C’est impossible », dit-il.
Soutien au déguerpissement
Traversant le rond-point Sandaga, Abass Tall, cheveux poivre-sel, soutient le déguerpissement même s’il n’est pas sûr d’obtenir une place dans le nouveau site de recasement. « Nous n’y pouvons rien. Ils nous ont dit qu’ils vont reconstruire le marché. Donc, nous ne pouvions que nous rallier à leur décision. Personnellement, je n’ai pas encore de place sur le nouveau site. Mais le préfet nous a demandé de patienter. Nous le croyons parce que c’est luimême qui est venu recenser les gens », confie-t-il optimiste. Ainsi le plus grand marché de Dakar vivait ses dernières heures. Un marché qui n’a pas seulement accueilli des analphabètes. Des étudiants venus de leur Baol se sont exercés dans ce milieu de l’informel tout en poursuivant leurs études. Certains se sont fait à la force du poignet et ont pu rallier l’Europe par la suite.
Avec la grande solidarité dans ce milieu, les boutiques se transmettent de père en fils. En tout cas, de grandes familles règnent dans ce milieu de l’informel tenu pour la plupart par des Baol- Baol. Le temps de la reconstruction, Sandaga continuera à vivre. Mais certainement pas avec cette frénésie qui a fait sa popularité. Pour la petite histoire, le grand économiste Moustapha Kassé y aurait tenu boutique à une autre époque...
Le Témoin
Rien ne reste du bâtiment construit sur deux étages et qui accueillait des vendeurs de produits alimentaires, de cosmétiques, de tissus, d’appareils électroménagers, de téléphones portables, des tailleurs etc. Bref, tout se vendait et se faisait à Sandaga. Un vieux marché qui était presque en ruine et qui a résisté à plusieurs pouvoirs avant de tomber sous Macky Sall. Ce qui fait que certains considèrent cette démolition du vieux marché comme un exploit face à la résistance des commerçants depuis plus de 20 ans. L’idée d’en faire un musée avait été agitée sous la magistère du président Abdou Diouf sur proposition de l’ancien ministre de la Culture, Abdoulaye Elimane Kane. Enfin tombé, Sandaga se résume aujourd’hui à un amas de pierres et de ferraille que des « budjumen » se disputent avec l’espoir de ramasser un trésor dans ce qui était certainement une banque pour les commerçants. Et de fait, depuis dimanche, tous les misérables de la ville se retrouvent à Sandaga dans l’espoir d’y ramasser un trésor.
Nullement indisposés par l’odeur repoussante et la poussière, ces miséreux vaquent tranquillement à leurs activités. L’espace donne les allures d’un Mbeubeuss (Ndlr, décharge publique de la capitale) avec des tas d’ordures de toutes sortes. En plus des débris de cantines, de la ferraille, de tables démembrées etc. il y a aussi des restes de nourritures, des appareils électriques et même des capotes, preuve que Sandaga accueillait aussi des rendez-vous interdits. Rien ne pouvait empêcher les « budjumen », ces rebuts de la société, de fouiller dans les décombres alors que le soleil dardait ses rayons sur la capitale plongée dans une forte chaleur caniculaire.
Derniers instants d’un symbole de la capitale
En face du rond-point Sandaga, des commerçants devisent tout en assistant aux derniers instants de démolition de leurs cantines, attendant certainement de regagner leur nouveau site de recasement, le temps que la capitale reprenne vie. Lamine Diba, la trentaine, fait des va-et-vient et discute avec ses aînés. Le jeune homme n’est pas trop affecté par la démolition de Sandaga qu’il trouve normale. « Je suis à Sandaga depuis dix ans. Tout déguerpissement est difficile mais je pense que c’est raisonnable. Nous ne pouvons que saluer la décision du ministre de l’Urbanisme. Quand on veut développer un pays, il faut vraiment que les populations acceptent certaines choses qu’on leur impose. Nous, qui sommes à Sandaga, savons pertinemment que c’est ça la bonne solution pour la ville. Il faut aussi noter que le ministre a fait son devoir et il nous a donné des cantines. Ce que nous avons, nos collègues des autres marchés ne l’ont pas. On ne peut que remercier Dieu pour ça. Même si actuellement nos activités sont à l’arrêt », a expliqué le jeune commerçant, un papier à la main.
A côté de lui, ils sont nombreux à parler et répondre aux questions des journalistes qui ont investi les lieux. Réfugié à l’ombre d’une cantine, Abdou Khadre, la cinquantaine, reste optimiste sur leur avenir et souhaite que leur site de recasement soit meilleur que Sandaga tout en doutant qu’il puisse remplacer la popularité de ce vieux marché . « Avec la démolition de Sandaga, c’est beaucoup de souvenirs qui s’évaporent. Certains d’entre nous sont venus ici alors qu’ils étaient en culottes courtes. Ce sont nos pères et nos oncles. Mais la vie est ainsi faite et le monde change de visage à chaque fois. Par exemple, ce qui se faisait du temps de Abdou Diouf ne peut plus se faire aujourd’hui sous le magistère de Macky Sall. Il faut aussi reconnaître qu’il était temps de reconstruire le marché, car il y avait énormément de risques à cause de la vétusté des bâtiments. Comme ils (Ndlr, les gens du gouvernement) nous ont promis de nous donner des places, et c’est aussi notre vœu, il ne faut pas oublier non plus que le président avait dit qu’on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Nous sommes d’accord sur cette décision. J’ai fait 40 ans à Sandaga. J’étais tout petit à l’époque, quand je débutais ici », informe-t-il tout en se rappelant les bons moments vécus dans ce marché.
D’autres commerçants , loin de ce tintamarre, filmaient les dernières heures du poumon commercial de la capitale. Le septuagénaire Samba Kassé, marchant à pas feutrés et accompagné de son enfant, s’entretient avec ses collègues commerçants avant de s’engouffrer dans son véhicule 4x4. « Je crois en Dieu et je remets tout entre Ses mains. Je suis à Sandaga depuis 1959. Ce n’est pas nous qui décidons. On ne peut que se résigner et accepter ce qu’on nous donne. Cette démolition est normale. Il y a aujourd’hui beaucoup de bâtiments qui n’étaient pas encore construits dans les parages alors qu’aujourd’hui, la ville est remplie d’immeubles. Juste pour vous dire que le monde marche ainsi. Le seul hic est que depuis la démolition du marché, on ne travaille pas. C’est difficile mais on ne peut que prendre notre mal en patience », a-t-il lancé avant de s’en aller.
Le président de l’association « And Tawaxu Sandaga » (ATS), Daouda Diouf, qui exerce à Sandaga depuis 1978, estime qu’il y a eu plus de peur que de mal. Le ressortissant de Dahra se félicite du fait que ses collègues n’ont pas subi de dégâts lors de la démolition parce qu’ils ont été avertis à temps et ont fini par faire déménager tous leurs bagages. « Nous sommes les premiers à avoir demandé au président de la République de nous reconstruire le marché et il a accepté. Donc, c’est normal que cette démolition se fasse. Les commerçants avaient juste décrié quelques désagréments, mais tout est rentré dans l’ordre. Ce qui est clair, nous n’avons jamais dit qu’on ne partirait pas. A vrai dire, on peut dire que la démolition n’a pas fait de dégâts puisque les 99 % des commerçants ont tous pris leurs bagages. Il n’y a aucun problème à ce niveau, même si cette démolition a trouvé certains dans leurs villages pour la Tabaski », a indiqué le natif de Dahra qui salue l’initiative de ceux qui veulent faire de Sandaga un centre moderne. « Nous demandons juste aux autorités de continuer de faire le suivi dans nos nouveaux locaux. Car, il faut aussi qu’on se dise la vérité, dans une place d’un mètre carré, un commerçant ne peut travailler normalement. C’est impossible », dit-il.
Soutien au déguerpissement
Traversant le rond-point Sandaga, Abass Tall, cheveux poivre-sel, soutient le déguerpissement même s’il n’est pas sûr d’obtenir une place dans le nouveau site de recasement. « Nous n’y pouvons rien. Ils nous ont dit qu’ils vont reconstruire le marché. Donc, nous ne pouvions que nous rallier à leur décision. Personnellement, je n’ai pas encore de place sur le nouveau site. Mais le préfet nous a demandé de patienter. Nous le croyons parce que c’est luimême qui est venu recenser les gens », confie-t-il optimiste. Ainsi le plus grand marché de Dakar vivait ses dernières heures. Un marché qui n’a pas seulement accueilli des analphabètes. Des étudiants venus de leur Baol se sont exercés dans ce milieu de l’informel tout en poursuivant leurs études. Certains se sont fait à la force du poignet et ont pu rallier l’Europe par la suite.
Avec la grande solidarité dans ce milieu, les boutiques se transmettent de père en fils. En tout cas, de grandes familles règnent dans ce milieu de l’informel tenu pour la plupart par des Baol- Baol. Le temps de la reconstruction, Sandaga continuera à vivre. Mais certainement pas avec cette frénésie qui a fait sa popularité. Pour la petite histoire, le grand économiste Moustapha Kassé y aurait tenu boutique à une autre époque...
Le Témoin
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