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CHEIKH OUSMANE SOUNTOU BADJI, MON AMI DISPARU.



CHEIKH OUSMANE SOUNTOU BADJI, MON AMI DISPARU.
   Tu nous as donc quittés le premier jour du Ramadan ! Dieu ne pouvait pas mieux choisir pour toi. Tu étais mon ami. Tu étais mon inspirateur. Tu cernais mes quatre horizons. Jamais je n’ai rencontré un esprit spirituel si puissant. Tu n’étais pas un homme, tu étais en totalité un esprit. Rien en toi, rien en ce que tu disais, en ce que tu enseignais,ne ressemblait en ce monde que nous vivons et subissons. Je me posais sans cesse, sans répit, la question de savoir d’où tu venais. C’est avec le temps, en te regardant, en t’écoutant, que j’ai compris que tu venais de très loin dans la connaissance, puissamment nourri du Saint Coran avec cette différence que tu en connaissais l’encre et le goût de l’encre qui en avait produit les versets. Comme tu étais saisissant! Je cherchais à comprendre comment en me citant Descartes, Heidegger, Nietzche, tu étais arrivé chez eux jusqu’à les lire mais surtout à les comprendre, alors que tu répondais absent à l’école française. Tu parlais une langue sans l’avoir apprise. Je ne prêtais même pas une oreille quand tu parlais français. Tout semblait aller de soi avec, en prime, la mélodie que les récitals du Coran avaient imprimée à ta voix, la dextérité et surtout la conviction de ton argumentation toujours prompte et éblouissante. Je me rappelle que tu me précédais toujours en me disant avec ton sourire unique et soyeux: « Mon français boite bas ». Même pas, pensais-je, car ta pensée habille tout, fortifie tout, embellit tout. Je pensais plutôt que c’est  parce que la pensée moderne  boite haut, que le monde s’est métamorphosé, que le mal et le désordre ont pris le pas sur nous.
 
En écrivant ces lignes, je suis loin de mon pays, mais pas loin de ton corps, pas loin de l’hôpital Principal où tu dors avant le voyage vers ton dernier lit de sable. Tu n’as d’ailleurs jamais quitté ce lit de terre en esprit. Tu n’avais pas peur de la mort. Elle te faisait même sourire, car tu vivais avec elle et tu l’avais apprivoisée. Pas nous. On n’apprivoise pas le néant, du moins ce que certains pourraient croire n’être que le néant après la mort. Ton grand et fidèle ami Senghor le disait : « Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur du néant ».Tu l’as rejoint désormais et je sais que si le néant arrivait à pouvoir exister là où la mort vous réunit aujourd’hui, tu le remplirais toi l’ami de Dieu, car ton esprit sur terre présageait déjà d’une capacité certaine à faire pousser des fruits sur un arbre jamais préparé pour en recevoir. Dieu donne à qui Il aime !
 
            Je vais ressortir les vieilles cassettes audio où j’avais empilé les longues et précieuses conversations que nous avons eues ensemble dans nos retraites solitaires, loin de Dakar la pourrie. C’est là-bas, loin de la fièvre des usines, de la ferraille, du bruit, de l’air empoisonné et de la misère nue dans les rues et devant les feux rouges que l’on souhaiterait  toujours verts, que j’ai découvert l’homme de Dieu en vous. Jamais le temps et la couleur du ciel n’ont été pareils en ta présence. Jamais les nuits n’ont été si éclairées. Jamais des chiens ne se sont tus tout le long de la nuit en ces lieux reculés et obscurs. J’avais compris que « quelque chose » était venu habiter ici avec toi. J’ai repensé à  l’histoire de nos saints. Tu n’avais pas une réponse « humaine » aux questions que je te posais. J’ai beaucoup, beaucoup lu. J’ai beaucoup, beaucoup voyagé. J’ai beaucoup, beaucoup regardé,  écouté, rencontré des hommes et des femmes hors norme, pour le dire de cette manière. Mais Le Cheikh Ousmane Sountou Badji, l’enfant de Sidian, en cette belle et odorante Casamance, était Cheikh Ousmane Sountou Badji, c’est à dire unique. Souvent, quand j’évoquais ton nom de loin ou de près, ceux de ta génération ou ceux plus jeunes, priaient pour la paix de ton âme. Je m’en étonnais. Pas un seul, en effet, ne te croyait vivant. Tu étais depuis longtemps une légende, toi qui avais été l’ami invincible de Senghor, toi qui avais fait de la Casamance ton chant du coq, toi qui avait été le premier chef d’une communauté islamique à remettre main à main au Pape Jean-Paul II un exemplaire du Saint Coran, toi l’ami du roi Hassan II qui avais poussé le magnifique et glorieux royaume du Maroc à accepter d’installer un ambassadeur au Vatican. Tu as été un tisserand infatigable de la paix entre les chrétiens et les musulmans. Tu étais un bonheur. Tu étais une fête de l’esprit. Une joie de l’âme.
 
Avec Birame Sarr, ancien Gouverneur à Ziguinchor, tu nous as donné à tous les deux, à la fin de ton impressionnante vie sur terre, le meilleur de toi, le plus secret de toi. L’acquisition de biens matériels te mettait dans tous les états. Tes jumeaux si irréels, si attachants, si affectueux ont beaucoup soufferts et souffrent encore d’être si démunis. Ils ont fini par comprendre que tu ne leur laisseras que le nom d’Allah et Sa Protection. Ils savent que ce que tu leur laisses comme héritage est irremplaçable. Ils sont apaisés, silencieux, remplis de hautes et ardentes prières. Nous veillerons sur eux comme tu as veillé sur nous, en sachant que tu leur as donné ce que nous ne pouvions leur donner.
            Avec toi, j’avais appris que Dieu acceptait de tout donner, sauf Son âge. Avec ta mort, je découvre qu’Il pouvait donner jusqu’à Son âge. Il n’était pas  possible que tu aies pu être ce que tu as été, sans porter Son âge! Tu as détricoté pour moi des énigmes qui m’ont grandi. Ce que l’on n’a pas défendu par la foi, m’as-tu appris, entre autre, sera difficile à défendre avec l’argent ou les armes !
           Je ne te pleure pas en pensant à ce que mon écrivain préféré disait : « On ne sait pas quand viendra la mort, mais la mort, elle, le sait ». Tu étais dans le même mode de pensée, la même posture d’accueil. Rien ne t’ébranlait. Rien ne te faisait peur. Tu as découvert et éclairé le 20ème siècle de ta pensée. Puisse notre malaise de civilisation découvrir ta pensée et ton action pour guérir. Je te regardais comme on regarde une étoile. Aujourd’hui, elle vient de se détacher et elle tombe. Je sais que tu me diras un jour prochain là où elle s’est accrochée. Pour moi, elle ne s’éteindra jamais.
           Je suis si triste et si fatigué mais tellement rassuré de te savoir parti en ce mois béni comme Dieu t’a béni tout le long de ta vie de vertu et de bonté ! Tu avais très tôt aboli dans tes relations les fonctions et les privilèges. Ce qui comptait c’est l’être, tout court. C’est avec toi que j’ai appris à découvrir dans la vie des marchés achalandés mais sans fruit. Cela ne pouvait s’imaginer ! Une autre leçon de vie apprise avec toi : on peut se plier, mais pas se courber !
           Que la tendresse de la terre sénégalaise soit ton lit et ta lampe !
 

Amadou Lamine Sall, Poète

Mercredi 8 Juin 2016 - 23:00


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