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En Guinée-Bissau, un "coup de force" qui reflète l'instabilité du pays



En Guinée-Bissau, un "coup de force" qui reflète l'instabilité du pays
Trafic massif de cocaïne et assassinats politiques sont les deux facteurs qui sous-tendent le nouveau "coup de force" de l’armée en Guinée-Bissau, où le chef d’état-major adjoint, Antonio Ndjai, s’est imposé jeudi 1er avril comme l’homme fort du pays avec l’appui d’un revenant, l’ex-chef de la marine bissau-guinéenne, le contre-amiral Bubo Na Tchuto. En apparence, le flottement à la tête de l’Etat et de l’armée en Guinée-Bissau est le reflet de l’instabilité du petit pays d’Afrique de l’Ouest, l’un des plus pauvres du monde, soumis à de nombreux coups d’Etat et à une guerre civile depuis son indépendance en 1974.
Le premier ministre, Carlos Gomes Junior, dit "Cadogo", a été arrêté jeudi matin par des soldats à son bureau de Bissau, avant d’être assigné à résidence et enfin rendu à la liberté vendredi dans une ambiance de flottement. Dans ces hésitations se dessine la lutte entre factions au sein de l’armée, capables d’arrêter un premier ministre. Le président bissau-guinéen, Malam Bacai Sanha, qui rentre à peine d’un séjour en France pour raisons médicales, semble n’avoir que peu d’emprise sur la situation.

Parallèlement, le chef d’état-major José Zamora Induta, allié du premier ministre, a également été arrêté et remplacé par son propre adjoint, Antonio Njai. Ces arrestations sont à mettre en rapport avec l’irruption d’un autre personnage-clé de l’armée bissau-guinéenne, l’ex-patron de la marine, Bubo Na Tchuto. Celui-ci, ennemi di premier ministre et de son allié, Zamora Induta, campait depuis le mois de janvier dans le Bureau des Nations unies de Bissau pour éviter d’être arrêté. Jeudi, des soldats sont venus le sortir de ce bureau où il avait trouvé refuge lors de son retour clandestin dans le pays.

"PLUS JAMAIS DE COUPS D’ÉTAT"

Vendredi, Carlos Gomes Junior était libre, mais Bissau a compris qui a la haute main sur les affaires de l’Etat. Alors que des partisans du premier ministre avaient commencé à manifester jeudi pour demander sa libération aux cris de "plus jamais de coups d’Etat !", une conférence de presse des nouveaux maîtres du petit pays d’Afrique de l’Ouest a donné le ton. "Nous vous demandons d'éviter tout attroupement dans les rues. Si vous ne le faites pas, cela peut nous amener à tuer Cadogo", a affirmé Antonio Njai.

Le contre-amiral Bubo Na Tchuto, à ses côtés, a lui aussi proféré des menaces équivalentes. La présence de l’ex-patron de la marine est l’élément-clé de ce coup de théâtre. Il est accusé par des sources concordantes, diplomates, policiers et enquêteurs du Bureau des Nations unies qui travaillent sur l’étendue du trafic de stupéfiants en Guinée-Bissau, d’avoir été l’un des hommes ayant transformé le pays en tête de pont des narcotrafiquants d’Amérique latine en Afrique de l’Ouest, nouvelle route de la drogue vers l’Europe. Plusieurs factions de l’armée, parfois en concurrence, se sont rapprochées de cartels sud-américains pour organiser la réception de grosses quantités de cocaïne en provenance notamment du Venezuela, plus court chemin à travers l’Atlantique, à bord d’avions spécialement équipés.

Les appareils transportant plusieurs tonnes de cocaïne atterrissent en Guinée-Bissau, notamment dans l’archipel des Bijagos, ou parachutent leur cargaison en mer, avant qu'elle soit récupérée puis acheminée par d’autres réseaux vers l’Espagne et l’Angleterre, leurs principales destinations.

Depuis son développement vers 2005, ce trafic a connu des hauts et des bas liés aux luttes au sein de l’armée et du pouvoir. Le réseau du contre-amiral Bubo Na Tchuto, selon des sources concordantes à Bissau, avait été sérieusement entravé par les actions menées par l’ex-chef d’état-major, Tagmé Na Waié. Impliqué dans un coup d’Etat en août 2008, avant d’être arrêté, de s’échapper et de se réfugier en Gambie. Depuis cet exil, a-t-il pris part à l’organisation de l’attentat contre Tagmé Na Waié ? Acte fondateur d’une série de vengeances encore en cours, ce meurtre avait aussitôt entraîné dans la foulée celui du président Nino Vieira, attaqué par des militaires dans sa résidence, torturé et assassiné. Zamora Indura avait alors pris le contrôle de l’armée en devenant chef d’état-major, nouant une alliance avec Carlos Gomes Junior.

En décembre, le PAIGC (Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) avait remporté les élections législatives, et Carlos Gomes Junior était devenu premier ministre de Guinée-Bissau. Après ces assassinats, la Guinée-Bissau s’est stabilisée, des élections ont permis à un nouveau président et à un nouveau premier ministre d’arriver au pouvoir. Puis, fin décembre, Bubi Na Tchuto est rentré en Guinée-Bissau sur une pirogue, déguisé en pêcheur. Le gouvernement de Carlos Gomes Junior avait annoncé être "plus que jamais déterminé à le juger pour tentative d’attentat contre la vie du président Nino Vieira".


Le Monde

Dimanche 4 Avril 2010 - 14:14


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