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Corruption de la jeunesse : Infraction, ou moyen de commission d’infraction ?



(Provocation pour un retour à la rédaction de l’article 324 du code pénal)

En traitant de la Section V intitulée « attentats aux mœurs » d’un Chapitre premier sur le grand groupe des « crimes et délits contre les personnes », le législateur sénégalais a consacré à côté d’infractions courantes telles que harcèlement sexuel, viol, prostitution, d’autres incriminations moins familières comme :

- l’outrage public à la pudeur (Article 318),
- l’attentat à la pudeur consommé ou tenté avec ou sans violence... ; l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant ou toute personne ayant autorité sur…… (Article 319 et 320)
- Le fait de favoriser la corruption d'un mineur (Article 320 ter (Loi n° 99-05 du 29 janvier 1999)
Et à l’article 323, il a consacré également le proxénétisme en ces termes : « Sera considéré comme proxénète et puni d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de 250.000 à 2.500.000 francs…celui ou celle qui… »

Dans cette série, l’article 324 en alinéa 1 viendra aggraver la peine prévue par cet article 323 en la portant à « un emprisonnement de deux à cinq ans et une amende de 300.000 à 4.000.000 de francs dans le cas où (par exemple) ce proxénétisme a été commis à l'égard d'un mineur, ou « accompagné de menace, de contrainte, de violence, de voie de fait, d'abus d'autorité ou de dol… ».

Et c’est en son alinéa 2 que cet article 324 semble consacrer l’infraction d’attentat aux mœurs proprement dit en ces termes :
« Sera puni aux peines prévues au présent article, quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse (suggère un pluriel) de l'un ou l'autre sexe au-dessous de l'âge de vingt et un ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de seize ans ».

Dans cette disposition législative, l’incrimination (l’infraction) est donc l’attentat aux mœurs en tant qu’« acte d’immoralité ayant pour but soit la propre satisfaction de celui qui agit…, soit la stimulation des passions d’autrui… », et ce par divers moyens dont la corruption de la jeunesse (ici complément circonstanciel de manière).

Dans ce texte, l’expression « par corruption de la jeunesse » répond donc à une des questions : comment ? de quelle manière ? en quoi faisant, et indique par conséquent la manière par laquelle peut se commettre l'attentat aux mœurs.
Si donc à l’occasion d’un litige la qualification ou la requalification de faits est recherchée dans cet article 324 al 2, il semblerait plus judicieux de retenir l’« attentat aux mœurs par… », dès lors qu’en elle-même, la corruption de la jeunesse (quand bien même, elle est perversive), n’est pas consacrée incrimination, avec une définition claire de ses éléments constitutifs.
Il en est de même du fait de « favoriser ou faciliter la débauche » quand notre législateur parle d’attentat aux mœurs « en favorisant ou facilitant habituellement la débauche ».

Quant au participe présent du verbe exciter « en excitant », il est énoncé ici sans aucune suite, et ne désigne donc rien, ni personne qui serait le cas échéant une victime, encore moins, à quoi on exciterait, ajoutant ainsi au flou rédactionnel de notre 324 § 2.

Par analogie, notons au passage que les notions de menace, de contrainte, de violence, de voie de fait, d'abus d'autorité ou de dol, appelées au paragraphe premier de cet article, sont bien consacrées infractions dans notre ordonnancement juridique, mais quand on veut les utilisées pour qualifier des faits, on ne vise jamais cedit article, parce qu’elles y sont des circonstances aggravantes, comme la corruption de la jeunesse est au paragraphe deuxième un moyen.

Il semble donc que le législateur voulait faire un tas, d’un ensemble de comportements socialement répréhensibles, sans oser souffrir les exigences de la légistique. Aussi, il dira mal, que tout ce qui est excitation (de qui ?), favorisation ou facilitation de la débauche, favorisation ou facilitation de la corruption de la jeunesse, serait constitutif d’attentat aux mœurs.
Ainsi, et pour faire court (par paresse intellectuelle voire par inattention), on semble se convaincre qu’il y’a dans l’article 324 §2 des incriminations autonomes dites « favorisation ou facilitation de la débauche », ou « favorisation ou facilitation de la corruption de la jeunesse ».

Conclusion 
Le sacro-saint principe de légalité des délits et des peines (souvent exprimé par son adage latin Nullum crimen, nulla poena sine lege), s’accommode mal du flou.
Il s’agit en effet, de n’ériger un fait, un comportement actif ou passif déterminé en infraction, que par une délibération inéquivoque du « pouvoir législatif », faute de quoi la responsabilité pénale de la personne ne pourra que difficilement être mise en jeu (sauf à dire autre chose que le droit, sauf à faire autre chose que juger.
Au total, la pertinence d’un texte d’incrimination réside dans sa clarté (entre autres), sans quoi, elle s’assujettit à toutes sortes d’interprétation aux antipodes de la sécurité juridique des citoyens et des affaires.
 
Par Dr. Moustapha DIOUF, magistrat
 


Mercredi 14 Juin 2023 - 20:50


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