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Le père du nationalisme corse, Edmond Simeoni, est mort



Avec Edmond Simeoni, mort à Ajaccio (Corse-du-Sud) le 14 décembre, à l’âge de 84 ans, disparaît la figure politique corse la plus marquante des cinquante dernières années, à la fois père fondateur du nationalisme insulaire, militant écologiste avant l’heure et conscience parfois controversée d’un courant d’idées traversé par de profondes lignes de fracture.

Né le 6 août 1934 à Corte, dans la Corse montagneuse, le jeune gastro-entérologue exerce à Bastia au milieu des années 1960 après des études de médecine à Marseille. L’époque est propice à l’indignation d’un jeune médecin acquis aux idées régionalistes – on ne dit pas encore « autonomistes ». Saignée démographiquement, son littoral guigné par des groupes financiers internationaux, l’île se trouve à l’état de quasi-abandon, les clans politiques locaux y règnent sans partage et distribuent prébendes et emplois publics dans un climat de fraude électorale généralisée.

A la tête de l’Action régionaliste corse (ARC), fondée en 1970, le « docteur Simeoni » soutient une revendication nouvelle et protéiforme, à la fois dénonciation de la mainmise des clans sur la vie politique locale, redécouverte de la culture traditionnelle corse, lutte contre la spéculation et pour la défense de l’environnement. Son engagement lui vaudra, ainsi qu’à plusieurs militants et proches, menaces et plasticages. Il prendra, surtout, un tour tragique avec « l’affaire d’Aleria », du nom d’un gros bourg situé de la Plaine orientale. Le 21 août 1975, celui que tout le monde appelle désormais « Edmond », prend la tête d’une quinzaine d’hommes et y investit une cave viticole pour dénoncer les passe-droits et l’impunité dont bénéficient les agriculteurs pieds-noirs réinstallés en Corse après la révélation de plusieurs scandales financiers.

Michel Poniatowski, alors ministre de l’intérieur, fait donner l’assaut par 2 000 gendarmes appuyés par des blindés. Deux militaires ne s’en relèveront pas. Arrêté puis incarcéré sur le continent, Edmond Simeoni doit faire face à la fronde de l’aile dure de l’ARC, composée des plus jeunes militants, qui finit par fonder le Front de libération nationale corse (FLNC) en mai 1976. « Edmond », lui, sera amnistié en 1981, avant d’être élu, un an plus tard, sur les bancs de la première Assemblée de Corse.
«Regrets»

Victime d’un infarctus en 1983, il se place cependant en retrait de la vie publique pendant quatre ans avant de signer son retour sur la scène politique en 1987 en exprimant publiquement ses « regrets d’homme et de médecin » pour la mort des deux gendarmes mobiles au cours de l’assaut de la cave d’Aleria. La confession lui vaudra l’opprobre des mouvements indépendantistes les plus radicaux, qui oublient un peu vite sa prédiction, dès le début des années 1980, des risques d’affrontements fratricides, qui finiront par ensanglanter les factions rivales entre 1994 et 1996.

Tout au long de son parcours politique, Edmond Simeoni tentera de composer avec les tenants d’une « libération » de la Corse par les armes, au point de susciter les critiques de tous bords sur ses « atermoiements » : opposé à la violence clandestine, il n’en défend pas moins les « prisonniers politiques » condamnés pour des attentats et prendra la tête de la coalition Corsica Nazione aux élections territoriales de 1992, au côté des indépendantistes favorables à la lutte armée.

En dépit d’un franc succès – deux listes nationalistes recueillent 25 % des suffrages –, il démissionnera deux ans plus tard pour cause de poursuite des attentats, se représentera en 1998, y subira un échec, obtiendra devant le Conseil d’Etat l’annulation du scrutin et se fera élire un an plus tard dans l’Assemblée de Corse, où il siégera pour la dernière fois de 2004 à 2010.

Homme politique, Edmond Simeoni aura aussi été un infatigable militant associatif doublé d’un véritable graphomane, auteur de plusieurs ouvrages et multipliant jusqu’à récemment les tribunes sur les réseaux sociaux et Internet, paradoxe incarné d’une génération d’insulaires biberonnée au roman national français et qui s’en détournera pourtant au profit d’un engagement en faveur de la langue et de l’identité corses.

Une histoire de famille liée à celle de la Corse

L’émergence de cette prise de conscience, un engagement antiraciste précoce et un humanisme parfois revendiqué avec emphase, Edmond Simeoni les devait aussi à l’influence de son épouse Lucie, rencontrée à l’âge de 20 ans, militante communiste issue d’une famille juive polonaise émigrée en Alsace, qui comptera dans ses rangs nombre de saint-cyriens et de serviteurs de l’Etat. Encore un paradoxe pour « Edmond », fils d’un élu qu’il décrira dans les colonnes du Monde en 2004 comme un «petit maire de droite, claniste comme tous les autres » et vichyste sans surprise, et lui-même ancien officier parachutiste à Pau, très engagé dans l’accueil des rapatriés d’Algérie, un épisode militaire dont il conservera le visage creusé et la silhouette de chat maigre des Centurions immortalisés par Jean Lartéguy.

L’histoire familiale des Simeoni, du reste, est indissociablement liée à cinquante années de soubresauts insulaires et de revendications nationalistes. Marc, le fils cadet, par la voix duquel la mort de son père a été confirmée au Monde, sera condamné en 2013 pour avoir aidé dans sa cavale Yvan Colonna, dont Gilles, l’aîné, sera l’avocat. En 2015, peu après le quarantième anniversaire des événements d’Aleria, ce dernier parachèvera la geste des Simeoni en devenant le premier nationaliste à présider le Conseil exécutif – le mini-gouvernement de la Corse. Depuis, Edmond Simeoni se faisait publiquement discret mais conservait un œil attentif sur les affaires publiques de l’île, au point d’avoir déménagé de Bastia, où il résidait depuis soixante ans, pour s’installer à Ajaccio, siège du pouvoir régional et filial.
 
Distingué il y a trois semaines par la Fondation Coppieters, un think tank européen centré sur les questions liées à la diversité et aux droits des minorités, il écrivait sur son blog, le 24 novembre : « Avant de nous quitter provisoirement, n’oubliez jamais que la liberté seule guide nos pas, inscrits dans le droit (…), que la lutte exclusivement démocratique est nécessaire, capitale et que la non-violence est notre arme absolue. »

lemonde.fr

Vendredi 14 Décembre 2018 - 21:06


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