Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Répression sans frontières: la dérive autoritaire en Afrique de l’Est

En Tanzanie, en Ouganda, et désormais au Kenya, la répression des voix dissidentes s’intensifie à l’approche des élections. Tundu Lissu, toujours en détention, a entamé une grève de la faim. Kizza Besigye, lui, y a mis fin, mais reste derrière les barreaux depuis six mois. Tous deux poursuivis pour trahison, leurs cas illustrent une tendance régionale à criminaliser l’opposition. Arrestations arbitraires, harcèlement judiciaire, enlèvements transfrontaliers : désormais, les opposants sont traqués jusque de l’autre côté des frontières.



Répression sans frontières: la dérive autoritaire en Afrique de l’Est
C’est un enlèvement qui a fait l’effet d’un électrochoc. Le 16 novembre dernier, Kizza Besigye, figure historique de l’opposition ougandaise, séjourne discrètement au Kenya. Jusqu’à ce matin-là, où, apparemment sans mandat, il est arrêté, transféré de force en Ouganda et présenté devant un tribunal militaire.
 
Un coup de filet transfrontalier, symptôme d’une répression qui ne connaît plus de frontières. « C’est une démonstration de force », analyse Florence Brisset-Foucault, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris I. « Le régime montre qu’il garde la main et qu’on ne peut plus critiquer le pouvoir, même de l’étranger. »
 
Un message brutal, révélateur d’un climat de fébrilité croissante. « Les gouvernements d’Afrique de l’Est sont sous pression, en raison de conditions économiques dégradées et de leur incapacité à convaincre par les urnes », explique Nic Cheeseman, politologue et auteur de Democracy in Africa.
 
Face à ce discrédit, l’appareil d’État se referme… et réprime.
 
Une mécanique bien rodée
Ce qui frappe, c’est la coordination croissante entre régimes. Besigye n’a pas été arrêté en Ouganda, mais au Kenya. « Cela montre que même en exil, les opposants ne sont plus en sécurité », alerte Nic Cheeseman.
 
Amnesty International parle de « répression transnationale » : enlèvements, transferts illégaux, poursuites croisées. « Des dizaines d’Ougandais ont été arrêtés au Kenya avant d’être renvoyés en Ouganda », précise Florence Brisset-Foucault. « Et d’autres opposants étrangers – Turcs, Sud-Soudanais – ont subi le même sort ces derniers mois. »
 
Autre tactique, plus institutionnelle : l’usage détourné de la justice. En Ouganda, plus de 1 000 opposants ont été traduits devant les tribunaux depuis 2021, selon Florence Brisset-Foucault. « C’est du lawfare, la guerre par la loi », explique Nic Cheeseman. « On ne tue plus systématiquement. On poursuit, on enferme, on fait taire. »
 
Certains, comme Besigye, parviennent à faire transférer leur dossier devant une juridiction civile. Mais beaucoup restent détenus sans procès, privés d’accès à leurs familles ou à un avocat. Parfois dans un état de santé préoccupant. C’est le cas de Tundu Lissu, leader de l’opposition tanzanienne. « Il a survécu à 16 balles. Il suit un traitement à vie », rappelle Roland Ebole, chercheur régional pour l’Ouganda et la Tanzanie au sein du bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est.
 
Poursuivi pour propos séditieux, après avoir appelé à des manifestations, Tundu Lissu dénonce un procès politique, dans un climat de tension, à cinq mois de la présidentielle. Sa première audience s’est tenue par visioconférence, une procédure qu’il a refusée, réclamant une comparution en présentiel pour mieux défendre ses droits. Pendant ce temps, plusieurs de ses partisans ont été battus, certains abandonnés en forêt. « C’est une stratégie d’intimidation ciblée, destinée à dissuader toute mobilisation pacifique », alerte Roland Ebole.
 
« Il était prévisible que la pression sur l’opposition s’intensifie et c’est exactement ce qu’il se passe », explique Alex Vines, directeur du programme Afrique à Chatham House. « En Ouganda, l’échéance de janvier 2026 approche, et on sent déjà la répression s’accentuer. Les opposants sont harcelés, le contexte se resserre à mesure que l’élection se rapproche. »
 
La peur comme méthode
En avril, Bobi Wine, chef de l’opposition ougandaise, a affirmé que son garde du corps principal, Eddie Mutwe, avait été personnellement torturé par le fils du président Museveni.
 
Fermement démentie par l’État, sa détention a été confirmée quelques jours plus tard lorsque Mutwe a fait sa réapparition devant un tribunal. « C’est devenu la norme », observe Florence Brisset-Foucault. « L’opposition s’attend désormais à ce genre de traitements. »
 
Une communauté internationale silencieuse
Malgré les alertes, peu de pressions concrètes sont exercées de l’étranger. « Les bailleurs ont perdu la volonté ou la capacité d’agir », déplore Nic Cheeseman. Le rôle stratégique de certains pays comme l’Ouganda dans l’accueil des réfugiés (venus du Soudan du Sud ou de l’est de la RDC) pèse lourd.
 
Selon Florence Brisset-Foucault, ce statut « d’allié utile » détourne le regard de ses dérives internes.
 
Cette logique répressive a un coût démocratique élevé. « Les citoyens comprennent que leurs forces de sécurité sont mobilisées contre eux », alerte Cheeseman.
 
En réaction, des mouvements émergent. Au Kenya, des jeunes manifestants parlent désormais de leur pays comme d’une république de l’« Abductistan », le pays des disparitions forcées.
 
Résister par le rire
Mais face à la peur, la satire résiste. En Ouganda, en juillet 2024, des citoyens lambda ont lancé les « exhibitions » : des expositions virtuelles sur les réseaux sociaux, dénonçant avec humour la dégradation des services publics, routes accidentées, écoles délabrées, hôpitaux en ruine.
 
À l’origine du mouvement : Jim Spire Ssentongo, intellectuel, caricaturiste et professeur de philosophie. Grâce à ses dessins et à son humour grinçant, il mobilise une jeunesse désabusée, mais encore combative.
 
« Ce type d’initiative désamorce les accusations de propagande ou de radicalisation », explique Florence Brisset-Foucault. « Ils ne dénoncent pas, ils exposent. Ils montrent la réalité sans en avoir l’air. Et ça fonctionne. »

RFI

Dimanche 11 Mai 2025 - 13:08


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter